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Ce volume présente les communications faites au colloque « Modernité et religion au Québec » tenu en avril 2008 à l’Université Laval. Dans l’introduction, Robert Magner et Serge Cantin expliquent que les intellectuels québécois ont rejeté la religion, gênés de leur passé, et n’ont pas pu, ou voulu, étudier le rapport entre la religion et la modernité. Par ailleurs, puisque le Québec ne peut pas définir son identité sans une référence au catholicisme, l’étude scientifique de cette référence constitue un projet important. On peut lire ce volume comme une suite au dossier « La religion au Québec : Regards croisés sur une intrigue moderne » paru dans Globe, Revue internationale d’études québécoises, vol. 10, nº 2, 2007/vol. 11, nº 1, 2008.

Le volume ici recensé est un recueil de 24 chapitres, de longueur et de qualité inégales, qui contient plusieurs études originales et éclairantes. Dans ce court compte rendu, je ne commente que les études qui m’apparaissent les plus intéressantes.

Quelques chapitres essayent de mieux comprendre ce qui s’est passé à la Révolution tranquille. Pierre Lucier présente une analyse des démarches par lesquelles la société québécoise s’est séparée de l’Église catholique. Dans ce contexte, il explique ce que Marcel Gauchet comprend par « la sortie de la religion ». Quelques auteurs, présents même dans ce livre, voient dans cette expression l’annonce de la disparition de la religion dans la modernité, tandis que, pour Gauchet, cette sortie signifie que la religion cesse de structurer et de légitimer la société. C’est la fin de la religion comme norme imposée par le haut, mais pas nécessairement la fin de la religion vécue en bas.

Dans une étude des éditoriaux de Maintenant de l’an 1962, Maxime Allard montre que cette revue envisageait la réconciliation de l’Église avec la modernité, la décléricalisation de la société québécoise et un catholicisme ouvert aux valeurs de liberté, égalité et solidarité. On se demande pourquoi ce courant n’a pas réussi à éviter la sécularisation rapide à la fin des années soixante. Une réponse se trouve dans le chapitre de Gilles Routhier qui montre qu’en réorganisant l’Église catholique au début des années soixante, les évêques du Québec ont suivi le modèle de l’État et son nouvel accent sur la régionalisation, sans aucune référence au concile Vatican II ni au courant représenté par Maintenant. Ce n’est qu’à la fin des années soixante que la Commission Dumont a appuyé une nouvelle orientation, mais c’était déjà trop tard.

Le chapitre le plus substantiel (70 pages) est une étude empirique de la transformation du catholicisme de 1970 à 2006 faite par É.-Martin Meunier, Jean-François Laniel et Jean-Christophe Demers. Après une présentation détaillée de leurs recherches, ils arrivent à la conclusion qu’il y a un « désalignement » ou une incohérence entre trois traits qui caractérisent la religion catholique au Québec : i) la méfiance croissante à l’égard de l’institution, révélée par la baisse radicale de la pratique dominicale et des mariages bénits dans une église, ii) une identification presque inchangée au catholicisme et une très faible diminution du baptême des nouveau-nés, résultats qui confirment ce que Raymond Lemieux appelle le catholicisme culturel, et iii) une absence d’unanimité de croyances chez les catholiques, ce qui exprime une indifférence vis-à-vis le magistère ecclésiastique. Les auteurs de ce chapitre se demandent si le manque de cohérence entre ces trois facteurs peut durer longtemps.

Ce que cette étude importante basée sur des sondages ne souligne pas, ce sont les mouvements dans l’Église, leurs conflits et leur créativité. Dans son chapitre, Jacques Racine fait ressortir un conflit à l’intérieur même de la conférence épiscopale du Québec, où se confrontent deux façons de comprendre l’Église. Pour les uns, l’Église est l’unique communauté de salut et a mandat de se propager à travers le monde, tandis que, pour les autres, l’Église, située au coeur du monde, vise à coopérer avec les humains de bonne volonté à la promotion du bien commun de l’humanité. Pour sa part, le chapitre de Michel Despland reprend une citation de Michel Gauchet qui disait que, dans les années soixante-dix, le catholicisme français est passé d’une religion de réception à une religion de quête. É.-Martin Meunier a exploré ce thème dans Le pari personnaliste (Fides, 2007). Le présent volume n’offre cependant pas d’étude sur les conflits et les expressions de vitalité dans le catholicisme québécois.

Quatre chapitres sur la relation entre l’Église et l’État font suite au grand débat québécois sur la laïcité et le Rapport Bouchard-Taylor, présentant des positions diverses avec des arguments nouveaux. Certains auteurs appuient la laïcité ouverte, tandis que d’autres préfèrent une laïcité plus stricte. Dans son chapitre à caractère philosophique, Georges Leroux distingue entre « la laïcité d’ignorance » qui ne veut pas reconnaître le pluralisme religieux dans la société et « la laïcité intelligente » qui, elle, veut comprendre les religions pratiquées par la population. Trois chapitres traitent de la place de la religion à l’école : ils expriment tous de la sympathie pour le nouveau programme introduit par le ministère de l’Éducation du Québec. Cinq chapitres répondent par des réflexions philosophiques à la question de savoir s’il y a une place pour la religion dans la société moderne.

Plusieurs auteurs reconnaissent « l’esprit antithéologique » ou le ressentiment contre la religion largement répandu au Québec, mais aucun n’étudie ce phénomène culturel important. Patrice Brodeur a l’habitude de dire que ce ressentiment non résolu habitant les Québécois les porte à le projeter sur la religion des immigrants musulmans, faisant souffrir les innocents.

J’ai lu la plupart des chapitres de ce livre avec un grand intérêt. Mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’un recueil d’actes d’un colloque arrive à une conclusion. Cet excellent livre fait avancer le débat sur l’identité du peuple québécois à l’âge de la modernité. On se laisse inspirer par certaines études, on y apprend de nouvelles idées et ainsi on élargit l’horizon de sa propre recherche.