Comptes rendus

Allen Greer, La Nouvelle-France et le Monde, Montréal, Boréal, 2009, 310 p.[Notice]

  • Jeanne Valois

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Cet ouvrage présente essentiellement des traductions de textes d’Allen Greer, un historien formé à l’Université York et professeur à l’Université McGill. Ces détails ne sont pas anodins. Comme il s’intéresse à l’histoire « coloniale » d’ici, c’est-à-dire à celle de la Nouvelle-France, son regard est essentiellement canadien, mais il arrive quand même à intégrer non seulement l’influence de l’école française ainsi que celle de ses collègues québécois, mais aussi celle des historiens colonialistes américains : le résultat est surprenant, déroutant parfois. Il qualifie lui-même sa position d’instable et d’ambiguë (p. 13). Les textes, dont la plupart datent des années 2000, parlent essentiellement des Amériques et non du « monde » comme le titre de l’ouvrage le laisse entendre. Il se divise en trois parties traitant tour à tour d’historiographie, d’identité et de socioculturel. Son approche n’est jamais cartésienne, mais c’est un excellent conteur de qui il faut parfois se méfier puisqu’il utilise des notions accrocheuses, mais trop modernes pour s’appliquer à une société du 17e ou du 18e siècle, et des façons de dire étonnantes. Par exemple, à la page 139 il utilise le mot « racisme » pour parler de pratiques racistes ou, dans le chapitre 7 qui traite du jésuite Chaumonot, il est souvent question de la « puissance de l’amour maternel » (p. 152) ; or selon plusieurs données cette notion d’amour maternel est aussi résolument moderne, une construction sociale qui n’apparaît qu’au 19e siècle quand les parents ne font plus appel à des nourrices et que le taux de mortalité infantile baisse de façon appréciable. Pour ce qui est de son éloquence impétueuse, voici un exemple : en parlant d’échanges de connaissances médicales et de la popularité de la saignée, Greer écrit : « Quand les femmes des villages sauteux [voient arriver le jésuite], elles se mettent en rang pour que cet étranger euro-américain leur ouvre les veines » (p. 255) ! Si la forme est particulière, le fond demeure parfaitement conforme à la méthode historienne : il se tient très près de ses sources. Sauf pour la partie historiographique – qui est fort intéressante par ailleurs –, Greer puise abondamment dans les récits des missionnaires qu’il semble avoir analysés sous plusieurs angles, habituellement historiques, mais souvent ethnologiques. Sans aller jusqu’à généraliser à partir d’un seul témoignage, il interprète à sa façon des données factuelles, prêtant ainsi flanc à la critique de ses pairs. Maintes fois il oppose l’expérience des autochtones en Amérique du Nord à celle du Sud : pas de coercition de la part de la France, c’est strictement une affaire commerciale où chaque partie sort gagnante, tandis que la mentalité de l’Espagnol est celle du conquérant, pour qui il fallait à tout prix assujettir les autochtones, ces gens « inférieurs de sang impur » ! Or, les études plus récentes, sur les Hurons notamment, tendent à nuancer de tels énoncés : avec l’accord de la France, les jésuites auraient été par trop paternalistes avec les Amérindiens, les maintenant sous leur tutelle comme s’ils étaient d’éternels enfants. Le chapitre intitulé « La mutinerie de Louisbourg en décembre 1744 » m’a particulièrement plu, peut-être parce que c’est un épisode que la plupart des gens, dont moi, connaissent moins bien. En fait, la mutinerie comme telle tient peu de place dans le récit. Ce qui est intéressant est de découvrir ce qu’est la vie militaire dans un poste où il n’y a pas moyen de fuir la dure vie que mènent les soldats des troupes de la Marine. Qui dit militaire dit hiérarchie : capitaines qui répondent à un état-major, mais aussi …