Comptes rendus

Natacha Gagné, Thibault Martin et Marie Salaün (dirs), Autochtonies. Vues de France et du Québec, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, 530 p.[Notice]

  • Martin Papillon

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Existe-t-il une perspective francophone à l’étude des peuples autochtones ? Comme son titre l’indique, cet ouvrage, dirigé par Natacha Gagné, Thibault Martin et Marie Salaün, s’intéresse aux regards que portent les chercheurs du Québec et de la France sur l’autochtonie. Comment les sciences sociales québécoises et françaises abordent-elles l’étude des peuples autochtones ? Que peut-on apprendre d’un dialogue transatlantique autour d’un objet d’étude aussi divers ? Les vingt-huit chapitres du livre proposent autant de réponses fort nuancées à cette question. Le débat est lancé dès le départ. « L’autochtonie » est-elle en soi une catégorie d’analyse valide ? Peut-on parler, de manière objective, d’une réalité autochtone qui serait universelle ? Comme le soulignent Natacha Gagné et Marie Salaün dans la présentation de l’ouvrage, les traditions intellectuelles française et anglo-saxonne – cette dernière étant plus présente au Québec – ne réservent pas le même sort au concept même d’autochtonie. Dans la tradition française, républicanisme et héritage colonial obligent, la notion même d’une identité autochtone ayant une portée analytique et normative, voire juridique, universelle apparaît problématique. Qui est autochtone et qui ne l’est pas ? Comment définir, sociologiquement, les « habitants originels » d’un lieu ? Plus problématique encore, en quoi une culture ou une identité dite autochtone aurait-elle une légitimité différente, au plan moral, mais aussi politique ? Le danger, comme le souligne Alban Bensa dans sa contribution à l’ouvrage, est de favoriser, par la production de telles catégories scientifiques, la reproduction des dynamiques d’exclusions associées au colonialisme, ou encore de légitimer des politiques discriminatoires favorisant la majorité « autochtone ». Les terrains de prédilections de l’anthropologie et de la sociologie françaises, en Afrique et en Océanie en particulier, viennent confirmer cette tendance à l’instrumentalisation de l’identité autochtone par un groupe dominant. Ces débats sur l’objectivité du fait autochtone marquent moins la tradition anglo-saxonne, qui s’inscrit, il faut le dire, dans un contexte différent. Aux États-Unis, en Australie ou au Canada, l’identité autochtone est plus facile à cerner. Associée aux luttes pour la décolonisation et pour la reconnaissance de la diversité culturelle, l’autochtonie renvoie à des collectivités minoritaires bien spécifiques. L’identité autochtone est mobilisée d’abord par des minorités, afin de revendiquer, au nom de l’antériorité de l’occupation du territoire, des droits collectifs assurant la protection des terres et des modes de vie, mais aussi un statut politique duquel découle le droit à une certaine autonomie politique. C’est le sens donné à l’expression « peuples autochtones » dans la Déclaration des Nations unies sur le droit des peuples autochtones. Cette perspective plus politico-juridique sur le « fait » autochtone marquerait nettement les sciences sociales québécoises. Ces différences ontologiques s’estompent cependant à la lecture des divers chapitres. On note une remarquable convergence autour du caractère historique, et éminemment politique, de la production d’une identité autochtone. Que ce soit à Hawaii (Friedman), à Fidji (Creton), chez les Innus au Québec (Vincent) ou encore au Mexique (Beaucage et Lopez Caballero), on comprend bien que l’autochtonie n’est pas une réalité abstraite ni une catégorie figée dans un passé idéalisé. La définition même de ce qu’est l’autochtone varie en fait considérablement dans le temps et dans l’espace, en fonction des circonstances, mais aussi des stratégies de mobilisation et de représentation des acteurs se réclamant de cette identité. Il ne s’agit pas non plus d’une catégorie neutre. L’autochtonie est à la fois un outil de contrôle, voire de répression, et un outil de libération. Tout dépend des circonstances. Un autre thème ressortant de cet ouvrage est celui de la place de l’État et des structures juridiques dans la production et la reproduction des communautés autochtones. La deuxième section …