Comptes rendus

Pierre Hébert, La littérature québécoise et les fruits amers de la censure, Montréal, Fides, 2010, 74 p. (Les grandes conférences.)[Notice]

  • Jonathan Livernois

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Les hommes et les femmes qui participent à la collection « Les grandes conférences » des Éditions Fides n’ont pas besoin de présenter leurs lettres de créance. Il en va ainsi pour Pierre Hébert, professeur au Département des lettres et communications de l’Université de Sherbrooke, dont les travaux sur la censure sont reconnus par tous : notons en ce sens le Dictionnaire de la censure au Québec : littérature et cinéma (Fides, 2006), qu’il a codirigé avec Yves Lever et Kenneth Landry, ainsi que Censure et littérature au Québec (Fides, 1997 et 2004) en 2 volumes. Sa conférence, présentée d’abord à la BAnQ en novembre 2007 et augmentée dans la présente édition, s’attache donc à l’influence réelle et au « pouvoir effectif de la censure cléricale au Québec » (p. 8) sur la littérature, de l’époque de Mgr Bourget à la fin de l’Index, en 1966. Pierre Hébert s’astreint d’abord à un long travail définitionnel, qui cherche à cerner la notion de censure, et ce, en allant jusqu’à convoquer les causes aristotéliciennes. Malheureusement, ce souci de clarté alourdit le propos, lequel aurait pu se limiter à la distinction qu’opère le spécialiste entre la censure constitutive – elle « fonde la loi ou, plus précisément, elle est la Loi » (p. 17) – et la censure institutive – elle « s’appuie sur la loi (cléricale en l’occurrence) pour distribuer les interdictions » (p. 16) – et à leurs effets respectifs sur chacune des étapes de la production littéraire. En outre, et malgré les nombreuses références qui émaillent le propos de Pierre Hébert, on pourrait s’étonner de l’absence de renvois au Michel Foucault de L’ordre du discours, même si le philosophe français et sa théorie des pouvoirs capillaires sont évoqués à la toute fin de la conférence (voir p. 73). Foucault a justement montré que les conditions d’énonciation des discours dépendaient de normes préexistantes qui ont pour but « d’en conjurer les pouvoirs et les dangers ». Pierre Hébert ne dit pas autre chose. La suite est beaucoup plus convaincante : passant en revue le contrôle de la censure sur le sujet, sur le manuscrit, sur l’éditeur, sur l’imprimeur, sur le livre, sur la bibliothèque et sur la librairie, le spécialiste de la censure montre à quel point la machine fut, à une certaine époque, bien huilée. Ses exemples, toujours pertinents, rappellent notamment les péripéties de Jean-Charles Harvey, Louis Dantin, Arsène Bessette et Rodolphe Girard. À la lumière de ce portrait fascinant de la première moitié du vingtième siècle, dirons-nous pour faire vite, le professeur de l’Université de Sherbrooke se croit capable de répondre par l’affirmative à la question qui l’aura préoccupé tout au long de cette conférence : « La censure cléricale a-t-elle à ce point contraint la littérature québécoise au point de mériter de tels adjectifs accusateurs [une littérature dite étroite, mesquine et médiocre] ? » (p. 66). Refusant de minimiser l’impact réel du contrôle de l’Église sur la vie littéraire, ce qui aurait pu participer du vaste mouvement historiographique qui ménage actuellement la chèvre et le chou de l’institution ecclésiastique en parlant de continuité plutôt que de rupture (voir p. 5), Pierre Hébert montre que la « censure programmatique » a causé de grands torts, notamment en soutenant « un ’génie censorial’ qui a présidé au destin de l’écrivain et de la littérature » (p. 71) au Canada français. Cela dit, il est justice de se demander si la Révolution tranquille a véritablement libéré ce destin. D’autres pouvoirs, économiques et politiques, apparaissent insidieusement. Bref, La littérature québécoise et les fruits amers de la censure permet de …