Comptes rendus

Éric Bédard et Serge Cantin (dirs), avec la collaboration de Daniel Lefeuvre, L’histoire nationale en débat. Regards croisés sur la France et le Québec, Paris, Riveneuve, 2010, 240 p.[Notice]

  • Patrick-Michel Noël

…plus d’informations

Ce collectif jette un regard croisé sur le destin de l’histoire nationale en France et au Québec et fait état des défis auxquels celle-ci se trouve confrontée. Il traite du rapport entre identité nationale et passé national dans ces deux territoires. Au coeur du rapport se trouve l’enjeu à la fois philosophique et historiographique de l’écriture de l’histoire nationale, enjeu qui renvoie « autant au rôle de la mémoire dans la mise en forme de ‘l’identité narrative’ d’un peuple qu’à la recherche et à l’écriture de l’histoire proprement dite » (p. 11). L’ouvrage rassemble douze contributions. Elles prennent la forme d’essais, d’études de cas, de réflexions épistémologiques et de réflexions politico-idéologiques. Leur rigueur méthodologique, à cet égard, est foncièrement inégale. Si certaines contributions se fondent sur une documentation étoffée ou sur une argumentation solide, d’autres laissent place davantage à des intuitions ou impressions très subjectives. De fait, le mérite de l’ouvrage réside moins dans sa valeur scientifique – il n’apporte pas vraiment de connaissance neuve sur le passé des nations française ou québécoise – que dans la pertinence de ses nombreux questionnements sur l’avenir de l’identité nationale française ou québécoise. Serge Cantin s’interroge sur la difficulté et la légitimité d’écrire une histoire nationale en identifiant les obstacles culturels et politiques auxquels ce projet est confronté. Il montre que la question du rapport à la mémoire et à l’identité nationale se pose autant pour les petites nations, comme le Québec, que les grandes, comme la France. Le projet de l’écriture de l’histoire nationale au Québec comme en France participe de la survie de l’identité nationale et exige de reconnaître l’importance de la médiation nationale dans toute communauté politique démocratique. Daniel Lefeuvre et Michel Renard estiment que l’histoire nationale est « un enjeu politique et un espace de polémiques » (p. 31). Ils soutiennent que les références historiques dans les débats politiques s’articulent essentiellement autour de deux thèmes reliés, soit le passé colonial et l’identité française. Certaines idées reçues concernant l’identité nationale sont mises en cause. Après avoir souligné la stabilité, la permanence et l’ancienneté de l’identité nationale française, ils montrent avec maints exemples historiques que la référence à l’identité nationale n’a jamais été la propriété exclusive de la droite. Contre ceux qui appellent au rejet de la dimension nationale du passé français, Lefeuvre et Renard rappellent qu’il revient à l’historien d’inscrire dans la longue durée l’identité nationale « pour ne pas être prisonnier des pesanteurs et des positionnements convenus de l’immédiateté politique » (p. 55). Dans une contribution forte du collectif, Éric Bédard s’interroge sur l’éclipse de l’histoire nationale dans l’historiographie universitaire québécoise. Il soutient qu’elle serait non seulement attribuable à la montée et au triomphe de l’histoire socioculturelle, mais aussi au « structuralisme paralysant » (p. 66) de Maurice Séguin qui, d’une part, encourageait une appréhension du passé n’accordant que peu de place aux événements et aux acteurs du passé et dont, d’autre part, la vision tragique de la nation québécoise n’encourageait guère son étude historique. Bédard aurait cependant pu insister davantage sur le rôle de la transformation disciplinaire de l’histoire au Québec dans l’éclipse de l’histoire nationale. Les historiens au Québec s’y intéressent peut-être moins parce qu’ils réussissent à se distancier des impératifs et injonctions de la société. Posant un regard synthétique sur l’évolution de la mémoire depuis le début de la Révolution tranquille, Jacques Beauchemin soutient que le rapport au passé qu’entretient la société québécoise depuis la Révolution tranquille entrave « la formation d’un sujet politique québécois suffisamment consistant pour avancer le projet de sa pleine réalisation dans la souveraineté politique ». Il décèle ce rapport critique, négatif …