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Avec cet ouvrage, le lecteur bénéficie d’une démonstration rigoureuse et d’une grande pertinence sociale pour le Québec. Car l’immense territoire québécois représente une richesse imposante au sein du marché mondial et bien illustrée par les projets hydroélectriques de la Basse-Côte-Nord, les investissements miniers en effervescence, les réserves pétrolières du golfe du Saint-Laurent, le potentiel éolien, la forêt boréale, etc. Or selon les auteurs, ce riche territoire québécois est hypothéqué par deux grandes catégories d’incertitudes, horizontales et verticales, qui limitent grandement sa définition et son intégrité autant sous l’angle de son contenant que de celui de son contenu.

Respectivement président et secrétaire de la Commission d’étude sur l’intégrité du territoire québécois de 1966 à 1972, le géographe Henri Dorion et le juriste Jean-Paul Lacasse maîtrisent non seulement une grande quantité de connaissances factuelles acquises au fil du temps et actualisés avec précision, mais possèdent aussi une excellente capacité d’analyse guidée par une vaste expérience. Dès l’avant-propos, la posture générale des auteurs apparaît clairement, tandis que le premier chapitre introduit leurs arguments principaux et offre une synthèse très invitante pour le lecteur. À travers le texte, consistant et fluide, de nombreuses définitions sont exposées, ce qui facilite la compréhension et donne à l’ouvrage une dimension pédagogique qui plaira aux universitaires.

Les incertitudes horizontales du territoire québécois sont reliées à la présence de nombreuses frontières floues, notamment celles de la côte du Labrador, du golfe du Saint-Laurent et des îles littorales du Nunavik. En regard de ce flou frontalier les gouvernements québécois successifs, depuis 40 ans, ont été peu réactifs et ont semblé accepter ces imprécisions territoriales, lesquelles sont toutefois lourdes de conséquences. Soulignons notamment les incertitudes quant à la propriété des bassins de pétrole dans le golfe Saint-Laurent alors qu’aucune limite interprovinciale n’est fixée par le gouvernement fédéral, qui demeure de facto maître d’oeuvre. Si les causes de la passivité gouvernementale devant un tel problème de frontières peuvent s’expliquer, celle-ci ne peut cependant être excusée puisque l’intégrité territoriale du Québec est menacée.

De nature verticale, la deuxième catégorie d’incertitudes territoriales au Québec concerne les interventions de plus en plus nombreuses du gouvernement fédéral canadien. Par divers mécanismes et techniques que les auteurs décrivent et analysent, le gouvernement canadien devient le réel propriétaire de portions de plus en plus nombreuses du territoire québécois par l’implantation de ses réserves indiennes, de ses établissements et camps militaires, de ses parcs, de ses infrastructures de transport et de communication, de ses oléoducs et gazoducs, de ses édifices publics, etc. Ainsi, l’érosion progressive de l’intégrité territoriale du Québec s’effectue par le retranchement progressif de parcelles territoriales de la compétence québécoise.

Si le livre de Dorion et Lacasse s’inscrit comme un excellent document de réflexion et un outil didactique, il représente d’abord et avant tout un formidable plaidoyer, très convaincant, pour la responsabilisation accrue du gouvernement du Québec dans la défense de son intégrité territoriale. Les auteurs proposent des options à cet égard afin de mettre fin au laisser-faire actuel.