Comptes rendus

Micheline Labelle, Racisme et antiracisme au Québec. Discours et déclinaisons, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2010, 198 p.[Notice]

  • Maryse Potvin

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  • Maryse Potvin
    Département des sciences de l’éducation, Université du Québec à Montréal
    potvin.maryse@uqam.ca

Le livre de Micheline Labelle entend analyser le « discours de l’État québécois » sur le racisme et l’antiracisme, de même que les positions de quelques organisations non gouvernementales ou « à vocation générale » (p. 12) et de citoyens qui ont déposé des mémoires lors de la consultation publique de 2006 du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles sur le projet de politique gouvernementale de lutte contre le racisme. L’ouvrage recense de nombreux extraits de ces « discours », essentiellement tirés de politiques publiques et de mémoires, sur des thèmes ciblés : la question de la race et les cibles du racisme, les acteurs racistes, les définitions et causes, les manifestations, les conséquences, l’État et le racisme, les visions de l’antiracisme et les recommandations des organismes non gouvernementaux. L’objectif principal de l’auteure est de « remettre en question le bien-fondé de certaines façons convenues de traiter le problème au Québec » (p. 158). Malgré un titre et des objectifs fort prometteurs et ambitieux, l’ouvrage comporte d’importantes lacunes et omissions, dont cinq qui m’apparaissent majeures : 1) l’absence de cadre conceptuel ou théorique sur l’analyse des « discours » ; 2) l’ambition de l’ouvrage de couvrir « le discours de l’État » au cours des années 2000, alors qu’il se penche uniquement sur le discours « gouvernemental » récent, au niveau provincial et parfois fédéral ; 3) la problématisation du racisme et de l’antiracisme découlant des rapports sociaux québécois, et la nature descriptive, peu analytique et peu critique de l’ouvrage, notamment à l’égard du discours gouvernemental dans son ensemble ; 4) les étonnantes omissions en ce qui concerne, d’une part, les enjeux proprement québécois, découlant des rapports ethniques et de pouvoirs spécifiques à ce contexte (rapports minoritaires-majoritaires, entre anglophones et francophones, avec les Autochtones, entre minorités ethniques ou religieuses), et, d’autre part, la littérature québécoise spécialisée sur le sujet (le « discours scientifique ») ; 5) l’exclusion des discours racistes eux-mêmes, des discours des intellectuels et des experts, des discours populaires et des discours médiatiques, notamment lors des événements ou débats publics récents qui ont marqué le Québec, dont l’incontournable « crise des accommodements raisonnables », que l’on ne peut écarter de toute réflexion sur le racisme au Québec. L’ouvrage manque de rigueur au plan conceptuel : il entend analyser des « discours » sur le racisme et l’antiracisme sans définir la perspective adoptée, alors que « l’analyse du discours » est un vaste champ multidisciplinaire et interdisciplinaire (en sociologie, anthropologie, ethnométhodologie, science politique, sciences du langage…), traversé par de nombreuses approches et débats théoriques depuis de nombreuses années (la Critical Discourse Analysis de Fairclough, la théorie du discours de Foucault, l’éthique du discours d’Habermas, etc.). Par ailleurs, l’ouvrage a l’ambition de couvrir le discours de « l’État québécois », alors que l’État concerne autant les paliers municipaux que provinciaux, autant les pouvoirs exécutif, législatif que judiciaire, et l’ensemble des institutions publiques financées par les fonds publics (budgets votés à l’Assemblée nationale). Or, seul le discours « gouvernemental » et normatif, appréhendé à travers quelques politiques publiques provinciales récentes, est examiné comme « discours de l’État » par l’auteure, laissant de côté le discours des élus, le discours prescriptif et normatif de la sphère juridique (celui de la Commission des droits de la personne est posé en opposition au « discours de l’État »), ceux des municipalités ou ceux d’agents oeuvrant dans différents secteurs de l’État, en particulier en éducation et en santé et services sociaux. On peut dès lors s’interroger sur le choix des ministères et institutions, des ONG et des citoyens sélectionnés, mais puisque la justification des …