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Dans le contexte de la décentralisation des politiques d’immigration et d’intégration, l’ouvrage dirigé par Vatz Laaroussi, Bernier et Guilbert est plus que bienvenu. Il remplit aisément les objectifs que les auteurs s’étaient fixés, soit de dresser un état des lieux sur la régionalisation de l’immigration au Québec et de proposer des pistes de recherche. L’intérêt du livre réside dans sa capacité à traiter de nombreux aspects reliés à l’intégration des immigrants dans trois régions (Sherbrooke, Québec et Chaudière-Appalaches) non seulement à travers un prisme individuel (transitions de vie et familles immigrantes) ou plus institutionnel (attraction et rétention des immigrants), mais aussi en arrimant les perspectives des chercheurs à celles des partenaires sociaux. Plaidant pour des sciences sociales plus engagées, l’ouvrage offre de nombreuses recommandations concrètes, dans l’optique clairement affichée de changement social. La première partie traite à la fois des enjeux de l’intégration à l’école à Sherbrooke et à Québec (Froelich Cim et Lenoir, Steinbach, Lussier et Guyon) et de ceux liés aux transitions de vie à travers l’expérience de la maternité (Guilbert et al.). Ce chapitre a particulièrement retenu mon attention du fait de sa méthodologie innovante, puisque les coauteures sont aussi les participantes à la recherche. Le lecteur découvrira avec plaisir la création de cet espace dialogique entre le « je » et le « nous », le « dedans » et le « dehors » et sera plus généralement amené à penser comment les efforts de réflexivité rendent progressivement caduque la dichotomie « eux/nous ». Cette belle présentation du « modèle coopératif interculturel d’accompagnement mutuel » (résumé en p. 85-86) donne envie de l’utiliser dans d’autres contextes : certainement celui de l’intervention sociale comme le mentionne Walling (p. 91), mais pourquoi pas aussi dans le cadre d’un cours universitaire? L’intérêt des témoignages, par exemple le traitement révoltant réservé aux étudiants internationaux en matière d’aide alimentaire (p. 71), nous fait cependant regretter que moins d’espace ne soit du coup consacré à la présentation des résultats par rapport à la méthodologie de cette enquête.

La deuxième partie de l’ouvrage traite du « capital d’attraction et de rétention » à travers trois de ses composantes : l’employabilité, la gouvernance et l’ouverture locale envers les immigrants. Le chapitre 3 (Bernier et Vatz Laaroussi) propose une typologie des stratégies d’insertion socioprofessionnelle des immigrants pour contrer la discrimination des ordres professionnels et des employeurs. Le chapitre 4 prolonge la réflexion sur l’attractivité d’une région à partir de ses modalités de gouvernance, au final plus « verticale » que « partagée » (p. 132). Cette schématisation aurait convaincu davantage si elle avait été accompagnée d’une analyse plus précise des rapports de force entre les acteurs et de leurs enjeux spécifiques. Le chapitre 5 aborde les enjeux linguistiques de manière originale en traitant du rôle des minorités anglophones dans l’attraction et la rétention des immigrants en région (Liboy et Vatz Laaroussi, O’Donnel) de même qu’en explorant les liens entre régionalisation, francisation et mixité du couple des parents (Laur). Le chapitre 6 (Gallant, Bilodeau et Lechaume) se révèle quant à lui d’un intérêt particulier compte tenu des débats lors de la Commission Bouchard-Taylor et de ceux qui entourent actuellement la Charte des valeurs québécoises. Les auteures sont déterminées à déboulonner le mythe selon lequel ce serait le fait d’habiter en région qui expliquerait les attitudes plus négatives envers l’immigration. Selon elles, ce sont plutôt les « variables liées à l’exposition à la diversité » comme « avoir des amis immigrants », « connaître des immigrants » et les « visites à l’étranger » (p. 205) qui sont les plus significatives. Au vu de l’acuité de ces questions, une discussion de la littérature sur les liens entre territoires et opinions (par exemple Bilodeau, Turgeon et Karakoc, 2012) – ou comment le fait même de poser des questions sur la désirabilité de l’immigration peut influencer les attitudes envers cette dernière (Li, 2001) aurait renforcé leurs réponses. On lira avec un certain optimisme leur conclusion sur le rôle joué par les organismes communautaires et les médiateurs interculturels (Anson), qui montre que des activités à très petite échelle peuvent aussi contribuer à des changements plus globaux. Finalement, le chapitre 7, qui est une conclusion théorique (Vatz Laaroussi et Bernier), aurait pu être placé en introduction, même s’il découle des chapitres du livre, afin de donner directement au lecteur la perspective analytique qui traverse l’ouvrage.