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Encore un autre livre sur Hydro-Québec, me suis-je dit en recevant cet imposant volume de plus de 400 pages produit par un historien de l’UQAM. J’en ai déjà lu plusieurs puisque je m’intéresse aux travaux de notre société d’État en territoires autochtones depuis assez longtemps. À regarder la table des matières, c’est le dernier chapitre intitulé « L’autre autochtone » qui m’intéressait le plus a priori. Après lecture, j’ai trouvé le tout fort intéressant et je peux le recommander à qui s’intéresse au discours politique.

Dans cet ouvrage, l’objectif de l’auteur est de faire « une histoire politique d’Hydro-Québec de 1944 à 2005 » (p. 15) portant essentiellement sur ses rapports avec l’État québécois. La méthodologie adoptée est celle de l’analyse de discours de politiciens au pouvoir ou dans l’opposition concernant ce « navire amiral » de l’économie québécoise, comme certains l’ont qualifié.

La structure du livre se résume assez facilement. Outre un premier chapitre présentant « Une brève histoire d’Hydro-Québec », il comprend trois parties divisées chacune en deux chapitres portant sur trois grands thèmes successifs : « L’espace approprié », « L’appel de la modernité » et « Faire société avec ou sans l’Autre ». À l’intérieur de chaque chapitre, on retrouve un découpage en périodes chronologiques correspondant à des changements dans les politiques gouvernementales touchant le développement des ressources hydroélectriques du Québec. Ainsi, par exemple, le chapitre 3 sur « Les modes d’occupation de l’espace » est divisé en trois périodes : « La colonisation des régions-ressources », « La conquête du Nord », « Développement durable et territoire partagé ». Chacun de ces intitulés reflète des changements majeurs dans les discours des politiciens et dans les politiques gouvernementales envers Hydro-Québec considérée d’abord comme outil de développement de « territoires vierges » et plus tard comme promotrice du développement durable des ressources hydrauliques. Il en est de même pour l’ensemble des chapitres. La deuxième partie aborde le rôle joué par Hydro-Québec dans la modernisation économique, technologique et scientifique de la société québécoise par ses innovations dans les domaines de la production et du transport d’électricité ainsi que par sa contribution au développement industriel et à la formation d’ingénieurs hautement qualifiés exportant le savoir-faire québécois en différents points de la planète.

En tant qu’anthropologue, j’ai été surtout intéressé par la troisième partie du livre. Selon l’auteur, la nationalisation de l’électricité en 1962-1963, le slogan « maîtres chez nous » et les avancées techniques et scientifiques d’Hydro ont contribué à faire société, c’est-à-dire à construire une nation franco-québécoise distincte de l’ancienne société canadienne-française. Par ailleurs, le chapitre sur « L’autre autochtone » met en évidence les changements dans les discours des politiciens sur les Autochtones et les rapports avec ceux-ci passant de l’« indifférence ignorante » à des relations de partenariat illustrées par la signature de la Paix des Braves par Bernard Landry en 2001. Par contre, comme le souligne l’auteur, Hydro-Québec et le gouvernement du Québec ont une politique de deux poids deux mesures : d’un côté il y a eu la signature de la Convention de la Baie-James et, d’un autre côté, les Innus de la Côte-Nord doivent négocier projet par projet avec Hydro-Québec dans le cadre de la phase actuelle du développement de nouveaux complexes hydro-électriques inaugurée avec le projet SM3 dans les années 1990, poursuivie avec celui de la Toulnoustuc et plus récemment avec le développement de la rivière Romaine, en attendant celui de la rivière Petit-Mécatina. Dans ces cas, la stratégie du gouvernement du Québec, et en conséquence d’Hydro-Québec, semble plutôt être « diviser pour régner ».

En conclusion, on pourrait avancer que les principaux responsables des gouvernements successifs du Québec depuis 1944 ont instrumentalisé cette société selon leurs propres conceptions du développement du Québec.