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Né du constat que « nous sommes avant tout des Nord-Américains de culture française », cet ouvrage collectif sous la direction de Guy Lachapelle relève le défi d’Yvan Lamonde « de se penser d’abord comme Américains ou Nord-Américains puis comme francophones et non comme le berceau d’une Amérique française » (p. 1). Parmi les dix-huit auteur(e)s, des éminences grises (Louis Balthazar, Yvan Lamonde, Yves Roby) côtoient des jeunes en début de carrière. Plusieurs disciplines sont représentées, mais la perspective dominante est celle de la science politique. Les quatre parties de l’ouvrage concernent respectivement des questions historiques (1re partie), culturelles (2e partie), économiques, environnementales et sécuritaires (3e partie) et politiques (4e partie).

Dans la partie historique, intitulée « L’américanité des Québécois », Guy Lachapelle commence par examiner l’américanité au temps de Louis-Joseph Papineau. Entre 1837 et 1850 on voit succéder à l’idée d’une république sur le modèle américain celle de l’annexion aux États-Unis, et on assiste aux débuts de l’émigration massive qui continuera pendant près d’un siècle. Yves Roby considère ensuite l’américanité très différente − mais bien réelle − des idéologues de la survivance qui succèdent aux partisans de l’indépendance ou de l’annexion. Si les idées de ces partisans d’une reconquête de l’Amérique française relèvent de l’utopie, elles ont dominé l’historiographie jusqu’à présent, aux dépens de la perspective des immigrants québécois eux-mêmes. Roby lance le défi d’écrire aussi l’histoire de la masse des immigrants aux États-Unis (dont ma propre famille) qui ont choisi de s’assimiler à la société américaine. Enfin, Yvan Lamonde demande pourquoi le Québec n’est pas devenu un pays souverain en Amérique. Sa réponse souligne l’anticolonialisme ponctuel et faible des Québécois, atténué par la flexibilité du colonialisme britannique appuyé par l’Église catholique.

La deuxième partie porte sur l’américanisation du Québec ou l’influence de la culture et des valeurs états-uniennes. Guy Lachapelle rend compte des résultats de sa grande enquête sur l’identité des Québécois qui affirment une solide identité continentale sans nier de fortes identités nationale et même régionales. L’influence des médias américains sur la culture québécoise est immense, selon Karine Prémont, même si elle concerne les formats plus que les contenus. Par contraste, Frédérick Gagnon et Marc Desnoyers décrivent l’anti-américanisme des Québécois, plus social que celui des Anglo-Canadiens qui est d’abord culturel. Cela explique pourquoi les Québécois ont un préjugé favorable à l’égard des présidents démocrates car, pour Aubert Lavigne-Descôteaux, ils se reconnaissent dans une Amérique libérale et progressiste.

Les grands défis de la politique états-unienne québécoise, examinés dans la troisième partie, sont l’économie, la sécurité et l’environnement. Gilbert Gagné et Laurent Vigneau, faisant le bilan de vingt années de libre-échange avec les États-Unis, le trouvent mitigé. C’est aussi la conclusion de Patrick Leblond au sujet du Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité de 2005. Stéfanie von Hlatky et Jessica Trisko sont un peu plus optimistes, trouvant que la préoccupation sécuritaire des États-Unis, si elle augmente les coûts du commerce, permet aussi au Québec de prendre des initiatives tel le nouveau permis de conduire qui permet de passer la frontière sans passeport. Annie Chaloux, écrivant sur l’environnement, souligne le rôle phare du Québec dans les domaines des pluies acides, du réchauffement climatique et des eaux transfrontalières, sans considérer les controverses autour de l’impact environnemental du développement dans le Grand Nord.

La dernière partie s’intitule « Les relations Québec − États-Unis. Vers un nouvel américanisme », mais c’est peut-être plus un voeu qu’un constat. Si Stéphane Paquin et Annie Chaloux font un portrait positif de la paradiplomatie multilatérale du Québec aux États-Unis, Louis Balthazar insiste sur le besoin « de faire des relations avec les États-Unis une priorité, comme le fait la politique étrangère du Canada » (p. 257). De même, Luc Bernier, Geneviève Blouin et Mathieu Faucher, tout en notant que le ministère des Relations internationales reconnaît verbalement l’importance du voisin du Sud, concluent que, « en ce qui a trait à ses relations avec les États-Unis, le Québec has to walk the talk ! » (p. 289). Il n’y a pas de conclusion générale, ce qui aurait pu aider à relier les contributions diverses de cet ouvrage collectif.

Le destin américain du Québec fait partie de la collection Prisme des Presses de l’Université Laval qui a pour mission d’accueillir des perspectives critiques face aux idées dominantes et de faire entendre des voix ignorées ou oubliées. Étant donné la primauté historique du lien avec la France dans les relations internationales du Québec et la consigne du nouveau gouvernement de mettre « un accent particulier au sein de la Francophonie » (allocution de Mme Pauline Marois à l’occasion de la formation de son nouveau gouvernement, 19 septembre 2012), l’ouvrage de Guy Lachapelle et de ses collaborateurs répond bien à ce défi.