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La question de l’intégration économique des personnes immigrantes est au coeur des préoccupations québécoises contemporaines. En cela, le Québec ne se distingue pas de la majorité des sociétés d’accueil occidentales, pour qui l’immigration et l’intégration des immigrants sont des enjeux de taille. La politique de sélection et de recrutement des personnes immigrantes du Gouvernement du Québec repose sur des critères précis. Parmi eux, on retrouve l’âge, les diplômes acquis dans le pays d’origine, les compétences professionnelles en lien avec les besoins du marché du travail et le niveau de connaissance de la langue française. Objectivement parlant, ces critères doivent permettre une sélection adéquate des personnes immigrantes en fonction de leur profil et de leur capacité à contribuer rapidement au développement socioéconomique du Québec. Toutefois, comme certaines études récentes le montrent (Boudarbat et Cousineau, 2010; Chicha, 2009; Eid, 2012; Lenoir-Achdjianet al., 2008 et 2009), ces critères ne suffisent pas toujours à assurer aux personnes immigrantes un accès rapide au monde du travail québécois.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la récurrence des problèmes vécus par certaines franges de la population immigrante, en particulier des difficultés à accéder à des réseaux de contacts permettant d’obtenir des informations quant aux emplois disponibles, une inadéquation entre compétences et diplômes et les besoins réels du marché du travail, une forte concentration des personnes immigrantes dans la région de Montréal, une connaissance approximative de la langue française, diverses formes de discrimination directes, indirectes et systémiques, des difficultés à faire reconnaître ses diplômes et ses expériences professionnelles acquis à l’extérieur du Québec et du Canada et enfin des barrières au niveau des ordres professionnels. Cette liste n’est pas exhaustive, mais ces sept facteurs de ralentissement de l’intégration socioéconomique des immigrants soulèvent tous, à leur manière, des problèmes spécifiques. Bien qu’il soit important de poursuivre les recherches sur l’ensemble de ces problèmes, pris isolément ou non, ceux liés aux difficultés à faire reconnaître les diplômes et expériences professionnelles acquis à l’extérieur du Québec et du Canada ont été très peu abordés jusqu’à présent. De plus, dans le contexte québécois, l’importance des aspects linguistiques de la sélection et de l’intégration en emploi des immigrants fait de la connaissance de la langue française un enjeu de taille, et ce, tant pour les immigrants que pour l’ensemble de la société québécoise. Or un tour d’horizon des recherches menées au cours des dernières années montrent que très peu de chercheurs se sont intéressés à la situation des immigrants récents dont la connaissance de l’anglais supplante leur maîtrise du français et que nous appellerons des « immigrants faisant usage de l’anglais », ou IFA. Cette catégorie d’immigrants, toujours très présente en dépit de l’importance du français comme critère de sélection, n’est étudiée, lorsque c’est le cas, que sous l’angle de la francisation ou des langues d’usages parlées à la maison ou au travail.

C’est ainsi que nous nous sommes demandé si, dans leur quête pour la reconnaissance de leurs acquis et compétences, les immigrants faisant usage de l’anglais dans leurs relations avec les institutions vivaient des difficultés spécifiques attribuables à cet usage linguistique ou, au contraire, si cet usage représentait une plus-value à laquelle s’ajoutera la maîtrise éventuelle de la langue française. La catégorie d’immigrants à laquelle nous nous intéressons est composée d’immigrants arrivés au Québec depuis moins de 10 ans et inscrits dans des programmes de formation au sein d’institutions pré-universitaires anglophones. Au Québec, plusieurs institutions pré-universitaires, en particulier les cégeps ou les commissions scolaires, offrent des programmes de reconnaissance des acquis et des compétences, appelés communément les RAC. Ces programmes visent à officialiser les connaissances et compétences d’un individu et à l’aider à choisir la formation diplômante (Diplôme d’étude collégiale [DEC] ou une Attestation d’études collégiales [AEC] en particulier) qui lui convient le mieux. Bien que les RAC ne s’adressent pas exclusivement aux immigrants récents, ces derniers constituent une « clientèle » appropriée pour ces programmes[1].

Selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), depuis le début des années 1980, la proportion d’immigrants ayant uniquement une connaissance de la langue anglaise a subi une légère baisse passant de 18 % à 14 %. D’autre part, le pourcentage de nouveaux arrivants avec une connaissance de l’anglais et du français a augmenté (12 % en 1980 à 32 % en 2013), et ce même si une certaine baisse est observable depuis 2009 (40 % en 2009 à 32 % en 2013). De plus, on observe une diminution considérable des immigrants qui n’ont aucune connaissance de l’anglais ou du français depuis 1980, cette proportion est passée de 53 % en 1980 à 29 % en 2013, là aussi avec une hausse depuis 2009 (20 %) (ISQ, 2014). Le tableau 1 présente cette évolution :

Tableau 1

Évolution de l’immigration et connaissance des langues officielles, 1980-2013

Évolution de l’immigration et connaissance des langues officielles, 1980-2013
Source: ISQ, 2014. Immigrants selon la connaissance du français et de l’anglais, Québec, 1980-2013 [http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/population-demographie/migration/internationales-interprovinciales/607.htm]

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Pour ce qui est des niveaux de scolarité, élément directement en lien avec la question de la reconnaissance des acquis et des compétences, les immigrants ayant une connaissance de l’anglais seulement forment un groupe très instruit, que ce soit au Québec ou dans l’ensemble du Canada : en 2006, 28 % des immigrants ayant l’anglais comme première langue officielle parlée (PLOP) ont déclaré avoir un diplôme universitaire (Gouvernement du Canada, Citoyenneté et immigration Canada, 2012). Cette proportion était légèrement inférieure chez les immigrants de PLOP français, avec 26 %. Quant à l’immigration plus récente, un pourcentage plus élevé d’immigrants ayant l’anglais comme PLOP et le français et l’anglais comme PLOP avaient fait des études universitaires, comparativement à ceux dont la PLOP était le français (respectivement 47 %, 56 % et 41 %).

En ce qui a trait au taux d’activité, une étude récente menée pour Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a démontré qu’en 2012, dans la province de Québec, les immigrants ayant l’anglais comme première langue officielle parlée (PLOP) avaient un taux d’activité légèrement plus faible (76 %) que les immigrants ayant l’anglais et le français (80 %) ou le français uniquement (78 %) comme PLOP. En outre, les taux d’activité des immigrants ayant l’anglais comme PLOP sont inférieurs à 70 % dans les Laurentides, l’Estrie et les régions économiques de l’Est de la province de Québec (Jantzen, 2012). Une autre étude de 2006 montre qu’à Montréal, le taux d’emploi était de 74 % pour les immigrants en provenance de zones autres que les États-Unis et l’Europe et ne connaissant que l’anglais, contre 78 % pour les immigrants en provenance des mêmes zones mais avec des connaissances en français et en anglais. Le revenu moyen pour un immigrant en provenance de zones autres que les États-Unis et l’Europe et ne connaissant que l’anglais était de 25 900 $, contre 36 300 $ pour un immigrant avec des connaissances en anglais et en français (Nong et Bélanger, 2010). C’est dire que, selon les données, la situation des immigrants récents (moins de 10 ans) faisant usage de l’anglais sur le marché du travail est globalement moins bonne que celle des immigrants francophones ainsi que celle des immigrants maîtrisant les deux langues officielles. À partir de ces informations et du constat qu’il y a peu d’études sur le sujet, nous avons mené une enquête auprès d’immigrants faisant usage de l’anglais en processus d’acquisition et de mise à niveau de compétences professionnelles. L’idée était d’identifier les possibilités et les barrières associées à cette catégorie spécifique d’immigrants (les IFA) dans leur quête de reconnaissance des acquis et des compétences obtenus dans leur pays d’origine. Nous postulons ici que ces barrières ont pour effet d’orienter les immigrants vers l’acquis de nouvelles compétences ou vers la mise à niveau de compétences existantes, ce qui retarde considérablement leur processus d’intégration au marché de l’emploi.

Notre article se divise en 4 sections. La première offre une courte revue de la littérature sur la thématique des usages linguistiques, et plus particulièrement de l’anglais, chez les immigrants au Québec. La deuxième section fait état de la démarche de collecte de données et dresse le profil des personnes qui ont répondu à un questionnaire en ligne développé dans le cadre de cette recherche. La troisième section présente les données obtenues lors des groupes de discussion avec des personnes immigrantes, sous forme de citations. Enfin, la quatrième section synthétise les résultats et présente les limites de notre enquête. Nous en profitons pour élargir la discussion aux liens entre langues d’usage, pratiques différenciées d’insertion au marché de l’emploi et rapports aux institutions.

Revue de la littérature

Parmi les études qui ont retenu notre attention, on notera celles de Caldwell sur l’intégration des immigrants à Montréal dans les années 1970. L’auteur montre qu’à l’époque, le succès de l’intégration reposait sur la connaissance du français et sur la présence d’une communauté d’origine forte (Caldwell, 1993). Cette étude est intéressante notamment parce qu’elle montre qu’avant l’adoption de la Loi 101, la connaissance du français était néanmoins un facteur important de réussite de l’intégration des immigrants récents. Les recherches menées par McAll et par McAll et al. sur l’usage du français et du français ou de l’anglais en milieu de travail, entre autres dans le domaine de l’aérospatiale, montrent comment les usages linguistiques influent sur les relations intergroupes (McAll, 1992 et 1997; McAllet al., 1998). Pour leur part, Bourhis, Montreuil, Helly et Jansen (2007) font ressortir les liens entre langues parlées et discrimination dans le contexte québécois. Ils concluent que les anglophones sont plus susceptibles de subir une forme quelconque de discrimination sur le marché du travail québécois si l’anglais est leur première langue d’usage (Bourhiset al., 2007). Par contre, le linguicisme (langue et accent) à la base de la discrimination serait le même pour les francophones et pour les anglophones québécois. D’autres chercheurs comme Lamarre et Lamarre, Magnan et Magnan et Lamarre s’intéressent notamment à la construction des identités chez les jeunes anglophones en contexte pluraliste (Lamarre et Lamarre, 2009; Magnan, 2008; Magnan et Lamarre, 2013). Dans une étude sur les impacts des fusions municipales à Montréal sur les institutions destinées aux minorités, en premier lieu les anglophones de Montréal, Lemire, Juteau, Arcand et Bilge (2005) reprennent l’idée de « complétude institutionnelle » développée par Breton (1964) et ils montrent que lorsque la complétude institutionnelle d’une communauté donnée est affaiblie, ce sont en premier lieu les usages linguistiques au sein de cette communauté qui en sont affectés. Pour leur part, Arcand (2011) et Arcand, Dupuis et Langis (2012) se sont intéressés aux usages linguistiques de diplômés québécois en gestion. À partir d’un questionnaire en ligne complété par 883 diplômés de HEC Montréal et de 26 entrevues semi-dirigées menées auprès de certains de ces mêmes diplômés, les auteurs concluent qu’en dépit du fait que le bilinguisme domine dans le domaine de la gestion, la connaissance de l’anglais n’est jamais présentée comme un critère officiel d’embauche par les employeurs. Qui plus est, l’utilisation du français et de l’anglais varie selon plusieurs critères dont la taille de l’entreprise, le secteur d’activité et le poste occupé au sein de l’entreprise. Pour une majorité de répondants, le bilinguisme est perçu comme positif, surtout en ce qui a trait aux questions de transfert de connaissance et de possibilité d’ascension professionnelle (Arcand, 2011 et Arcand, Dupuis et Langis, 2012). Dans un effort pour synthétiser l’ensemble des recherches portant sur l’intégration linguistique des immigrants au Québec, Pagé et Lamarre soulignent que c’est par la consolidation de ce qu’ils appellent des « solidarités concrètes » avec la population francophone que les immigrants en viennent à privilégier le français comme langue d’usage. Le développement de ces solidarités n’étant pas le seul apanage de l’État, c’est par une intégration affective (l’expression est de nous) au monde du travail francophone que les immigrants peuvent en venir à un usage majoritaire du français (Pagé et Lamarre, 2010a). De plus, Pagé souligne avec pertinence que le « […] bilinguisme optimal suppose une compétence linguistique dominante en français […] » (Pagé, 2010b).

Les études menées en contexte québécois sur les liens entre usages linguistiques et intégration au marché du travail ont bien fait ressortir les différents enjeux sous-jacents à ces liens. Néanmoins, très peu d’entre elles se sont intéressées aux conséquences possibles de la langue d’usage sur les perceptions des principaux intéressés quant à leur participation à des programmes ayant pour objectif de favoriser une meilleure intégration au marché de l’emploi. Notre étude propose de palier certaines lacunes en la matière.

Méthodologie

La collecte de données s’est déroulée de février à mai 2013. Pour obtenir le portrait le plus exhaustif possible, nous avons misé sur une méthodologie mixte, soit une approche par questionnaire en ligne avec traitement quantitatif des données et une approche par groupes de discussion. Les données obtenues grâce au questionnaire en ligne sont présentées dans la section suivante. Un lien placé sur les sites Web d’institutions scolaires et d’organismes communautaires partenaires dans la recherche et offrant des formations et des programmes RCA auprès d’IFA menait directement au questionnaire (voir annexe 1). La collecte de données grâce au questionnaire en ligne a été conçue comme une porte d’entrée pour sélectionner les personnes de notre échantillon et les recruter pour l’un des groupes de discussion.

Du fait de l’échantillonnage non aléatoire et du faible taux de répondants au questionnaire en ligne, les résultats obtenus grâce à cette première méthode de collecte de données ne permettent pas d’obtenir des données statistiquement significatives. Toutefois, les informations collectées permettent de brosser le portrait d’individus qui échappent habituellement aux données officielles, c’est pourquoi nous avons décidé d’en présenter quelques-unes. La seconde étape de la collecte a consisté à organiser deux groupes de discussion regroupant 9 personnes immigrantes. Les discussions qui se sont déroulées lors de ces rencontres ont été fructueuses et ont permis d’identifier certains problèmes qui, s’ils ne peuvent être considérés comme systémiques, n’en demeurent pas moins profonds. Le guide d’entretien pour les groupes de discussion est présenté en annexe 2. Pour bien cerner les différents enjeux soulevés par les personnes immigrantes, les données ont été divisées en trois sections : les dimensions économiques de l’intégration, la formation et l’éducation continue et les dimensions sociales de l’intégration[2]. Pour ne pas altérer les propos des participants aux groupes de discussion, les citations ont été conservées en anglais, langue dans laquelle se sont déroulées les discussions. Avant d’entrer dans les détails de l’analyse qualitative, voyons les informations fournies à l’aide du questionnaire en ligne.

Profils des répondants : questionnaire en ligne

Rappelons que le sondage en ligne a été administré au printemps 2013. Il a été envoyé à 46 organisations, associations et collèges oeuvrant avec des immigrants anglophones.

Malgré nos efforts pour obtenir un maximum de répondants, seules 34 personnes répondant aux critères de sélection ont complété le questionnaire en ligne. Deux facteurs peuvent expliquer ce faible nombre. Tout d’abord, nous avons éprouvé des difficultés à sélectionner des personnes correspondant à notre population cible. Les personnes nouvellement arrivées ne fréquentent pas nécessairement des organisations liées à leur origine ethnoculturelle. De plus, les principaux organismes communautaires destinés à l’intégration socioéconomique des personnes immigrantes n’ont pas toujours accès aux courriels de ces personnes. Le deuxième facteur explicatif réside dans le manque d’intérêt possible des personnes immigrantes à participer à une telle étude. En tant qu’immigrants récents, leurs actions sont plus dirigées vers une intégration rapide au marché du travail qu’à ce type d’activité. Parmi les 34 répondants, 76 % d’entre eux n’ont obtenu aucun diplôme au Québec. Une grande majorité des répondants a obtenu un diplôme de baccalauréat dans son pays d’origine. Parmi les domaines mentionnés, nous trouvons la comptabilité, l’ingénierie, la chimie, les télécommunications ainsi que la pharmacie.

Figure 1

Sondage en ligne : niveau de scolarité observé

Sondage en ligne : niveau de scolarité observé

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Lorsque nous avons demandé aux participants s’ils étaient intéressés par l’obtention d’une reconnaissance de leurs diplômes et de leur expérience par le gouvernement, 87 % des répondants ont répondu positivement. Un peu plus de la moitié de l’échantillon (58 %) n’avaient jamais contacté de commission scolaire, de collège ou d’autre organisme gouvernemental afin d’obtenir une reconnaissance de leurs diplômes ou de leur expérience.

Parmi les répondants s’étant informés à propos de la reconnaissance de leurs diplômes ou de leur expérience, 5 avaient fait appel à un collège et 5 avaient communiqué avec le Ministère de l’Immigration et des Communautés Culturelles (MICC), aujourd’hui appelé le Ministère de l’immigration, de la diversité et de l’inclusion (MIDI). Un peu plus de la moitié des répondants (55 %) n’avaient pas suivi le processus d’obtention de l’« Évaluation comparative des études effectuées hors Québec » créé par le MICC[3]. La majorité des répondants (65 %) ont mentionné qu’ils envisageaient de se soumettre à ce processus au cours des 12 prochains mois.

Fait à noter, lorsque nous avons interrogé les répondants sur leur langue de préférence en ce qui concerne la formation, 20 des 28 répondants à cette question ont mentionné préférer l’anglais, 4 l’anglais ou le français et 4 le français seulement. La section suivante présente les principales conclusions des groupes de discussion tenus au cours de l’hiver 2013.

Résultats obtenus avec les groupes de discussion

Rappelons que nous avons regroupé les données qualitatives sous trois catégories, les dimensions économiques de l’intégration, la formation continue et l’éducation et enfin les dimensions sociales de l’intégration. Nous les présentons de manière séparée afin d’en faire ressortir les aspects les plus pertinents.

Dimensions économiques de l’intégration

Lors des groupes de discussion, nous avons constaté que les différents enjeux relevés dans la littérature québécoise, canadienne et internationale quant à l’insertion en emploi des personnes immigrantes étaient les mêmes que les barrières auxquelles se heurtaient les personnes que nous avons rencontrées. Bien évidemment, et nous y reviendrons dans la section sur les dimensions sociales de l’intégration, la question linguistique au Québec est une spécificité qui trace différemment les contours de l’insertion au marché du travail[4]. La citation suivante exprime bien les difficultés rencontrées au niveau de la reconnaissance des acquis et des compétences.

  • (INT) Did you ask for recognition of your competencies here in Quebec?

  • (PT #7) Yes, the MICC told me that I am a dentist but that I cannot work as a dentist. I try but I never work.

  • (INT) Now, what are you studying?

  • (PT #7) I take a course for dental hygienist. […]

  • (INT) « ’Cause there might be some courses that they will say’ you just have to cover that part. »

  • (PT #7) I need to work. It takes too much time to study for my profession [dentiste]. Dental hygienist takes only 6 months at cegep. Better than 2 years at the university. I come from Honduras. I was a dentist in my country… I take a course for dental hygienist.

L’enjeu est l’insertion rapide en emploi, mais se pose aussi la question de la déqualification, envisagée par ce répondant comme une fatalité. Un retour aux études pour un éventuel emploi dans le domaine directement lié au diplôme obtenu dans le pays d’origine est perçu – et cela est revenu à quelques reprises durant les rencontres – comme un parcours du combattant qui, au final, n’en vaut pas la peine. Fait intéressant, seule une personne, comptable agréée dans son pays d’origine, les Philippines, espère se trouver un emploi dans un domaine directement en lien avec sa profession, après avoir suivi une formation d’appoint en comptabilité. Notons que ce répondant n’est au Québec que depuis 6 mois (au moment où s’est tenue la rencontre) alors que les autres étaient depuis davantage de temps en sol québécois. Nous formulons l’hypothèse que cette personne est susceptible de modifier ses objectifs de carrière en fonction des opportunités et des barrières qui se présenteront au fil de son parcours d’intégration. D’ailleurs, son cas illustre un phénomène souvent relevé dans d’autres études quant à la faiblesse des « liens faibles » chez les immigrants récents[5]. L’absence de ce type de liens fait en sorte que l’individu ne prend pas toute la mesure des défis à surmonter pour pouvoir exercer son métier, en l’occurrence ici le défi de devenir comptable agréé au Québec.

En effet, pour cette personne originaire des Philippines, la source principale d’information à laquelle elle s’est fiée est un membre de sa famille immédiate (soit un « lien fort »), qui lui aurait dit de mettre l’accent sur sa francisation avant même de penser à faire une demande d’équivalence de diplôme ou d’envisager un retour aux études pour une mise à niveau et une meilleure reconnaissance de ses acquis et compétences. Cet exemple illustre bien la manière dont les conseils de proches peuvent influencer la trajectoire d’insertion socioprofessionnelle.

  • (PT #1) I haven’t had an experience with Emploi-Québec since I have been here. I haven’t submitted my papers yet, the first advice to me was to take the French courses and after that go to university. I don’t know if it was a good advice.

  • (INT) Who told you?

  • (PT #1) My sister in law. She is here for the last 3 years. She is a doctor but she’s not working as a doctor.

Plus loin, la même personne insistera sur l’importance du français pour son insertion professionnelle.

  • (INT) Have you tried to get any job?

  • (PT #1) Not yet. Because of the advice that I should take my courses first [de français] and go to university. But I think about it, it’s a long way to go. University should be 4 more years to have a bachelor degree in accountant.

  • (INT) But you have your licenses…

  • (PT #1) Yes, so what, what I’m trying to do now is to take a one year course so I could find a job. Then after that probably I could go to university as part-time then working in the day…. I went to Crémazie to MICC for the recognition. And they told me «you have to drop your papers by appointment. If not, if you don’t have an appointment, you have to mail it». In my country, we don’t mail very important documents I’m afraid. I don’t know if I could have the same feeling here …but then my sister in law told me no! Not to do it. You better go there and ask to have an appointment.

Ce passage fait ressortir les difficultés qui se posent, dès les premiers mois d’arrivée, à accorder de la crédibilité aux institutions québécoises et au processus pouvant mener à une reconnaissance des acquis et compétences. Ici, on ne peut passer sous silence le peu de confiance accordée par la belle-soeur de cette personne quant au service postal. Toujours sur la notion de confiance à l’égard des institutions, certains participants ont mentionné avoir eu des difficultés avec certains agents d’Emploi-Québec.

Contrairement à ce que l’on a vu précédemment avec le répondant 1, le participant 2, originaire de Roumanie, a décidé de lui-même de passer outre aux cours de francisation offerts par Emploi-Québec et d’intégrer plutôt un programme de formation correspondant à ses ambitions professionnelles[6]. Le passage suivant résume sa décision de se lancer immédiatement dans un programme de formation.

  • (PT #2) When I came here I didn’t have a diploma, I didn’t have Canadian experience. So for me the RAC program was a big opportunity. I didn’t speak French very well and my English is not that good but is better than my French. So I went to Champlain College. I did it in Romania. I know most of the problems. I went there… I talk with the counselor advisor. She convinces me to follow this program. I had some problems with Emploi-Québec…

  • (INT) Which problems?

  • (PT #2) They wanted for me to take French courses, before going to this English college.

  • (INT) So what did you do?

  • (PT #2) I went there, I past the evaluation interview, also the English and French exams.

  • (INT) You mean you went at Emploi-Québec?

  • (PT #2) Yes. And I started last year in October I think. So I was [attempting] to do this program even if Emploi-Québec didn’t want to support me. I said I will pay for it, it’s not too expensive.

  • (INT) So you didn’t have any support from this agency?

  • (PT #2) Actually I spoke to my agent over the phone. She starts yelling at me: « Non, ça marche pas comme ça! C’est trop vite, ça marche pas comme ça! » She said that if I want I can have French courses, for one French course by Emploi-Québec, but not this program.

  • (INT) But did she have a plan for you after you finish your French course?

  • (PT #2) No she didn’t. Anything about…

Une relation difficile entretenue avec une personne d’une agence gouvernementale et la rigidité des règles en matière de francisation semblent susciter des frictions entre les personnes immigrantes et les institutions québécoises. Les conseils reçus dans un cégep de la région montréalaise semblent avoir été mieux reçus de la part de notre répondant qui, après son entrevue avec un spécialiste des programmes RAC de ce collège, a décidé de s’inscrire à une formation en technologies de l’information. De plus, sa relation à l’agence gouvernementale s’est nettement améliorée.

  • (INT) So right now you don’t have any support from Emploi-Québec?

  • (PT #2) Well my luck was that she had too many files and she passed my file to another agent. And this guy was much more receptive.

  • (INT) You’re collecting benefit now with Emploi-Québec or [training allowed] from Emploi-Québec?

  • (PT #2) Yes.

  • (INT) The other agent was ok?

  • (PT #2) He was actually very supportive and he realised that it is a good program for me and he said that this job, IT technician is very demanded here now. And I almost finish the program in April 18, I will finish, I past most of the exams, like 80% of them.

  • (INT) And now, actually what are you going to do, are you going to find a job?

  • (PT #2) Yes, after that I have to [internship], 6 weeks [internship] but I already found a company to do it.

  • (INT) You already found a place for your [internship].

  • (PT #2) Yes, I will start on April 22.

  • (INT) Are you going to take some French courses after?

  • (PT #2) I already took French courses and I past the TFI exam [test de français international]. I did 810 point on 819 so I’m good to studies at Université de Montréal. I don’t know how much points are required but less than 800, 700, 750 I think.

  • (INT) So why did they want to send you to French courses?

  • (PT #2) It is the procedure I think.

Ces citations glanées parmi l’ensemble des informations collectées nous permettent de dégager deux éléments dignes de mention : premièrement, l’importance de la qualité de la relation entre les personnes oeuvrant auprès des personnes immigrantes et ces dernières et, deuxièmement, le peu de souplesse des règles institutionnelles qui poussent les personnes récemment immigrées à se lancer dans la francisation sans effectuer, en même temps, une formation d’appoint ou toute autre démarche permettant d’améliorer leurs chances d’obtenir un emploi. Souplesse des approches et qualité de la relation intervenant-personne immigrante sont deux éléments charnières susceptibles de favoriser un accès rapide au marché de l’emploi, surtout si l’on tient compte du fait que la faiblesse généralisée des « liens faibles » chez les immigrants est souvent un frein à l’obtention d’informations pertinentes.

Malgré quelques difficultés dans leur quête pour accéder à une reconnaissance de leurs acquis et compétences ou pour atteindre leurs ambitions professionnelles, les personnes rencontrées se sont plutôt montrées optimistes quant à leur avenir. En effet, à la question de savoir comment elles envisageaient leur avenir professionnel, la majorité ont répondu en faisant preuve d’optimisme. Une seule personne s’est montrée plutôt négative sur cette question, et elle a souligné qu’il y avait plus d’opportunités d’emploi à Toronto mais que, pour des raisons personnelles, elle préférait demeurer à Montréal. Fait à noter, toutes les personnes interrogées ont déclaré ne pas regretter leur choix d’avoir immigré au Québec.

En ce qui a trait à la question de la recherche d’emploi, les participants aux groupes de discussion semblent avoir vécu des expériences qui demeurent intimement liées aux problématiques inhérentes au choix à faire entre poursuivre (ou démarrer) le processus de francisation ou favoriser le plus rapidement possible une intégration au monde du travail, ce qui les rapprochent de la majorité des immigrants récemment arrivés au Québec. Fait intéressant, aucune des personnes interrogées n’a soulevé la question de l’interconnexion entre compétences linguistiques et intégration au marché de l’emploi. Nous reviendrons sur cet aspect en conclusion. Pour l’instant, regardons de plus près la deuxième thématique, la formation et l’éducation continue, en lien avec la reconnaissance des acquis et des compétences.

Formation et éducation continue

La formation continue est au coeur du processus d’insertion au marché de l’emploi. Notons dans un premier temps que la plupart des participants à nos groupes de discussion sont arrivés au Québec avec le statut de résidents permanents. De ce fait, ils sont passés par le processus de sélection québécois et ont donc été sélectionnés sur la base des points obtenus à l’aide de la grille de sélection. Leurs compétences professionnelles et les diplômes acquis dans leur pays d’origine ont donc servi de critères de sélection. En dépit de cette sélection « objective », les difficultés rencontrées ont amené les participants à envisager un retour aux études, et leur trajectoire est fortement diversifiée.

En fait, cette diversification des trajectoires au niveau de la formation et de l’éducation continue relève plus de difficultés à bien identifier les services offerts que de choix éclairés de la part des personnes immigrantes. La première conversation porte sur le fait qu’un répondant envisage de faire appel à une entreprise privée de placement pour l’aider à se trouver un emploi.

  • (INT) You are talking about a job hunter? This is private, not from the government.

  • (PT #2) Ok, so I have to go with Emploi-Québec?

  • (INT) And did Emploi-Quebec come to your francization classes?

  • (Tous les PT) No. Never.

Le fait que cette personne ait décidé de s’en remettre à une entreprise privée est un signe que les programmes gouvernementaux, pourtant gratuits, sont soit méconnus, soit peu estimés. Le passage suivant illustre les difficultés des personnes immigrantes à identifier les services offerts et, par conséquent, à se diriger vers des services adéquats.

  • (INT) So did you go the MICC to get recognition of your competencies?

  • (PT #3) I didn’t even know about the MICC. I didn’t even know what that mean. Nobody told me.

  • (INT) So you don’t have the evaluation?

  • (PT #3) No. With my experience here…let’s see how many interviews I had in the last 5 years. I had probably like 6 interviews since last fall… so probably close to ten interviews in 5 years.

  • (INT) How many applications have you made?

  • (PT #3) Oh my god, hundred! The thing that will help me the most it’s who you know, it’s « le réseau ».

Cette personne originaire des États-Unis et présente au Québec depuis 5 ans semble n’avoir que très peu fait appel aux différents services gouvernementaux. Son parcours s’est effectué de manière non-linéaire et sans perspective et objectif professionnel clair. Ne pas avoir eu accès aux services publics disponibles peut avoir eu une influence sur ses difficultés d’insertion au marché de l’emploi. On notera également qu’elle a identifié les réseaux informels comme source principale d’information.

Un autre aspect intéressant est le caractère désabusé, avec lequel les participants ont exprimé leur déception quant aux formations et aux mises à niveau qu’ils ont suivies. Par exemple, pour cet immigrant en provenance de Moldavie, les connaissances acquises lors de cette formation ne sont pas toujours pertinentes :

  • (INT) What is your experience with this Governmental agency (Emploi-Québec)? Did you participate in any activities organized by this agency?

  • (PT #4) Yes.

  • (INT) Can you give us more details?

  • (PT #4) I actually go to college X through a program of this agency.

  • (INT) What can you say about it?

  • (PT #4) I already know 70% of what we are learning in this class. I’ve learned at home.

  • (INT) Did you ask for any type of recognition of your diploma?

  • (PT #4) No, I did not ask for recognition of my diploma. I’ll get an A.E.C (Attestation d’études collégiales) and it is going to be enough

  • (INT) You think it is going to be enough?

  • (PT #4) Yes, they already recognise my profile.

  • (INT) Do you think that you are going to find a job easily with the A.E.C and the recognition of your profile?

  • (PT #4) No, it will be hard to find a job.

  • (INT) Why it is going to be difficult to find a job?

  • (PT #4) Because the problem will be the French and the lack of Canadian experience.

Plusieurs éléments déjà soulevés précédemment sont mentionnés. On peut noter le faible pourcentage (30 %) de contenus d’apprentissage nouveaux lors de l’Attestation d’études collégiales. Cette acquisition peu significative par rapport aux compétences déjà maîtrisées par le participant peut avoir un effet démobilisant, qui pourrait peut-être avoir des répercussions sur l’intégration en emploi à court et moyen terme. Qui plus est, malgré cette attestation et la reconnaissance des compétences qui l’accompagne, le problème de la maîtrise du français et du manque d’expérience canadienne refait surface. Ici encore, l’un des problèmes semble l’absence de complémentarité entre la reconnaissance des acquis et des compétences professionnelles et l’acquisition de compétences en français, l’un excluant souvent l’autre dans les démarches. Cette personne originaire des États-Unis fait un constat similaire :

  • (PT #3) So I made an appointment with Emploi-Québec. I said can I please qualify for the « subvention salariale » so I can at least apply to that position… they say no, you have to get much more experiences. She said: « You’ll be fine! » [laughs] So [five years down the line] I still have a desire to work on my French. I’m still hoping for that full time permanent position. Right now I’m in a better spot with the contract. Full time contract. But it’s still a challenge. I found Emploi-Québec to be not helpful at all. Now I’m involved with the AEC program at Dawson, I’m seeing there’s… free programs out there, that work like accounting. I didn’t see it when I was going to francization courses and I took the newspapers 24h and read it and look for ads in it. The programs could be interesting, be in television or something with film-making, that’s my background, something in event planning. That’s what I would be interested in.

Non seulement ces deux dernières citations illustrent ce désabusement, mais elles montrent que les personnes immigrantes interrogées sont conscientes que l’atteinte de leurs objectifs professionnels passe par l’accession à des réseaux porteurs d’informations variées. De même, et bien qu’elle semble connaître les principaux acteurs qui oeuvrent à l’intégration des personnes immigrantes ainsi que certains programmes offerts, la majorité dit ne pas bien connaître les programmes RAC. La discussion suivante entre un immigrant des Philippines, un des États-Unis et un autre de Moldavie illustre bien les difficultés d’accès aux informations liées aux programmes offerts.

  • (PT #1) I don’t think the RAC program is well advertised here. I heard from some Romanian friends. That’s why I found out about the RAC program. But from the newspapers, not that much.

  • (INT) Even with the organisations that help immigrants, they don’t advertise well? So when you go to francization, you only do francization, there’s nobody telling you…there’s no information?

  • (PT #3) No. Well maybe at niveau 6 they will but at niveau 2, they bring you to Cabane à sucre.

  • (PT #4) Niveau 4, they start discussing the vocation of program like if you want to be a chef or working food preparation, if you are interested working as a travel agent. Like for schools like that. If you want to do « bijouterie », « bijoux », vocational schools. They took us to the school to show us, the Commission scolaire de Montreal does. That was niveau 4, so they want us to start like really… base level. In niveau 5, niveau 6, I don’t know if they discuss anything else. Sometimes they offer « niveau 7, niveau 8, francisation écrit », but not all the time because by that time, the immigrants stop French to start interviews to get jobs.

La citation suivante d’une personne du Honduras renforce l’idée que ce manque de connaissances quant aux programmes RAC est généralisé parmi notre échantillon.

  • (PT #5) At my cegep we have a special resource speaker for searching an apartment and CLSC but no one from RAC so I pass my francisation […]. All of us there have not obtained the recognition yet. None of us. I have asked my classmates. Have you did it? No, no… but they have tried to give their papers to Emploi-Québec. And they told me. Go give your papers. Before I will give my papers to Emploi-Québec, I want to make it sure that I could already speak French and already have a diploma or something from Quebec, before I gave it to Emploi-Québec.

À la question de savoir où ils prennent leurs informations, certains participants font état de diverses ressources utilisées.

  • (PT #1) The immigrant associations.

  • (INT) But you guys didn’t go to all those places. You didn’t even go to Emploi-Québec yet…

  • (INT) Actually you guys taking the subway so you have the newspaper 24h but it’s in French!

  • (PT #3 et PT #1) But that’s fine!

  • (PT #3) For the English area like Westmount… you could put in English papers as well. The metro and the francization courses, if you can find somehow to develop a relationship with the Commission scolaire de Montreal or even MICC with the francization program to say « Hey! In level 2, level 3, every level, can we come and start to educate immigrants about RAC, AEC, options »… because as an immigrant I went to that period of time that I wanted to go into event planning but I didn’t know how to do that, so I’m having difficulty getting a network social, so should I just go back to school, start?… but I don’t want to lose money I want to make money cause I want a future with my husband, and just know about…

  • (INT) But do you think that having a social network could help as well?

  • (PT #3) Absolutely! It could be like a 5 à 7, have a 5 à 7 for people who are interested in television, one for people interested in accounting. Network. Have a 5 à 7 in Montreal and say we would like to have you come out at night for a drink. We want you meet some immigrants who have an accounting background… maybe some mentoring.

Cette conversation illustre les difficultés d’obtention d’une information pertinente et des moyens d’élargir les réseaux de contacts. Voyons à ce propos certains éléments liés à l’intégration sociale des participants.

Dimensions sociales de l’intégration

Les aspects sociaux de l’intégration constituent l’une des dimensions les plus sensibles et les plus diversifiées au sein des déterminants de l’intégration socioprofessionnelle des nouveaux arrivants que nous avons rencontrés. Rappelons qu’ils n’entretenaient pas de liens particuliers avec des organisations dites ethniques. Le fait de ne pas fréquenter régulièrement ces organisations est symptomatique de l’immigration contemporaine, qui semble plus disposée à naviguer entre différents réseaux qu’à s’intégrer par le biais d’une communauté d’appartenance issue du pays d’origine. Par contre, et c’est là une des sources potentielles des problèmes liés à l’intégration des IFA et à leur méconnaissance des programmes existants, très peu ont affirmé fréquenter de manière régulière des personnes issues du groupe majoritaire francophone (Québécois d’origine canadienne-française). Les témoignages de deux répondants illustrent ce phénomène.

  • (INT) Do you have friends here in Montreal?

  • (PT #4) Yes, I have friends who are also immigrants like me.

  • (INT) What language do you speak with your friends?

  • (PT #4) I speak Russian and Romanian. I know these two languages. I use French only if I have a strong necessity to use it.

  • (PT #5) I’m going to a Gym, 3 times per week. But I went in Romania you know….it’s a hell for me if I don’t go. Most of my friends here come to the francization course.

  • (INT) Your friends? Do they experience the same situation as you?

  • (PT #5) Yes, most are immigrants.

Nous aurions pu choisir d’autres passages illustrant cette absence de contacts significatifs avec la communauté francophone majoritaire et avec la communauté anglophone historique (personnes d’origine canadienne-anglaise). Ce qu’il nous semble important de faire ressortir, c’est que cette absence de contacts avec ces communautés a des répercussions sur l’accès à l’information circulant au sein des cercles d’IFA récents. Cela affecte leurs perceptions quant à l’intégration au marché du travail et aux programmes permettant d’y accéder.

  • (PT #1) It’s not too easy… even if you’re changing [field], cause I know a doctor, Russian doctor who came 2 years (ago), and he decided to do another [field] and that [field] didn’t hire neither so. My [pilates] teacher in YMCA in NDG she’s from Russia, she was a dentist she was practicing dentist in Russia she had to start over from scratch. In 4 years, she has learned French, earned money raising her daughter, by teaching [pilates] and yoga. She went back to school, she’s now a certified dentist, she’s opening up her own practice now.

Ces difficultés d’accès à des réseaux élargis n’ont pas seulement un aspect négatif pour l’intégration socioéconomique des personnes interrogées. Si cette absence de réseaux de « liens faibles » peut avoir des répercussions négatives sur l’accès à l’information et l’intégration au marché du travail, le fait de fréquenter des personnes de la même origine ethnoculturelle est au contraire souvent perçu comme positif pour ce qui touche les composantes non professionnelles de l’intégration.

  • (INT) You don’t regret anything?

  • (PT #3) Oh no no no.

  • (PT #3) No I have been so lucky, my husband and his family have been such a source of strength and such a support for me. Actually my mother- and father-in-law paying for me, to go to a private French school, to take French lessons for 2 months. French school in the old port. It was such a good class because the class was small, it was completely in French it was intense, it was a wonderful investment. So I do have that support system but it’s been difficult. It’s been very hard because my husband’s friends are my friends but most of his friends are sport buddies so I try to make friends with some of their wives and girlfriends but they have their friends so… it’s difficult when you are the outsider and you try to get in a circle that’s already formed. I have made some of my friends at francization courses as well. But unfortunately one of my friends went back to the States, other people move out of Quebec completely because they got a job elsewhere in Canada. I’m still making friends where I work and there’s an organisation call [Meet up], they have salon de conversation to practice French which is really cool. So you meet people and you practice your French. They even have a Polish mother’s group. My mother is from Poland originally.

  • (INT) And did you try to go to the meet up with the polish community?

  • (PT #3) No.

Bien que ce ne puisse être l’unique cause du manque de contacts entre les personnes que nous avons interrogées et les communautés d’origine canadienne-anglaise et canadienne-française, il faut néanmoins souligner la faible connaissance du français et, dans une moindre mesure, de l’anglais comme facteur ayant une influence sur ce phénomène.

  • (PT #3) It takes an enormous determination for me to speak French, because it’s so easy to use English. But I’m learning French so every time I go out to restaurant, every time I go shopping, I try to practice it. I try as often as possible to speak French.

  • (INT) Do you do any activities in French?

  • (PT #3) Like the way I get comfortable with learning and speaking French I was actually at Université de Montréal dance classes that I use to go for dancing. And that’s how I do it, I mean I met some friends, and… Find an activity that you like to go and then go. Just somewhere where there is a French community.

  • (PT #2) …but it’s frustrating. I can’t tell you how frustrating it was. When I go to Tim Horton and ask for a « petit café au lait », they respond in English. Ouch!

La difficulté à saisir la complexité des rapports sociaux linguistiques au Québec semble avoir une influence sur les interactions personnelles des IFA que nous avons rencontrés. En se situant dans un « entre-deux linguistique », les immigrants favorisant l’usage de l’anglais ont tendance à favoriser la fréquentation de personnes issues de la même origine ou à tout le moins qui possèdent le même statut social, c’est-à-dire des personnes immigrantes en quête de reconnaissance professionnelle. Cet état de fait, comme nous le verrons plus loin, est susceptible de constituer un obstacle supplémentaire.

Ces séries de situations montrent les difficultés qu’ont les personnes immigrantes anglophones à établir des liens de confiance avec des francophones et avec les institutions québécoises. Ce manque de confiance favorise les incompréhensions et les malentendus quant aux moyens à entreprendre pour intégrer, dans des délais raisonnables, le marché de l’emploi québécois.

Éléments de synthèse, limites et ouverture

L’approche que nous avons privilégiée pour cette enquête est centrée sur les individus et les relations qu’ils entretiennent avec les institutions et les organismes destinés à favoriser l’intégration des personnes immigrantes au marché du travail. Nos résultats mettent en exergue des difficultés structurantes qui, selon toute vraisemblance, sont à l’origine de certains des problèmes les plus marquants de cette intégration. Les immigrants faisant usage de l’anglais font face à des défis s’apparentant aux défis vécus par n’importe quel immigrant installé au Québec. L’état d’avancement des connaissances en matière d’insertion socioéconomique des personnes immigrantes est suffisamment important pour que leurs défis, possibilités et difficultés soient bien identifiés. À ce titre, notre échantillon ne se démarque pas outre mesure d’échantillons de populations similaires et installés dans d’autres contextes.

Ce qui est caractéristique de notre échantillon est plutôt la composante « politique » entourant la présence de ces IFA au Québec. Étant en décalage avec les grandes orientations des politiques et des pratiques en matière de sélection des immigrants qualifiés au Québec, les individus de notre échantillon ont tous mentionné qu’ils ressentaient fréquemment cette situation de membre d’une minorité à l’intérieur même des minorités. Cette double minorisation contribue à renforcer les difficultés vécues et crée de nouveaux défis

Le fait de maîtriser davantage l’anglais que le français est toutefois perçu par les participants comme un atout au niveau d’une intégration plus globale à l’ensemble canadien et nord-américain (données non présentées). Cela fait écho à une étude produite par Boudarbat et Boulet (2007) qui, s’appuyant sur des données de Statistique Canada de 2007, montre que les personnes immigrantes qui maîtrisent l’anglais au Québec perçoivent dans l’ensemble des salaires horaires plus élevés que les immigrants unilingues francophones ou bilingues en français et avec une langue autre que l’anglais. De même, la maîtrise de l’anglais induit des stratégies particulières comme la fréquentation d’institutions scolaires post-secondaires anglophones (ce qui était le cas de nos participants) pour obtenir un nouveau diplôme, une mise à niveau ou une reconnaissance des acquis et des compétences. En interrogeant des individus qui fréquentaient une institution pré-universitaire, nous avons pu cibler les difficultés particulières auxquelles font face ces immigrants. Cela permet d’élargir la réflexion à des facteurs tels que l’accès à l’information, au rôle des réseaux et à la question linguistique dans les processus d’intégration socioéconomique des immigrants.

La division des données qualitatives en trois sections, dimensions économiques de l’intégration, formation et éducation continue et dimensions sociales de l’intégration, élaborée à partir de différentes lectures des transcriptions des entretiens dans les groupes de discussion, a permis de faire ressortir les principales barrières et obstacles auxquels étaient confrontées les personnes de notre échantillon. C’est ainsi que cinq enjeux ont pu être identifiés lors de la collecte de données :

Les informations quant aux formations et aux programmes disponibles (reconnaissance des acquis et des compétences, formation d’appoint, etc.) sont inégalement assimilées par les personnes immigrantes de l’échantillon. La faiblesse de leur connaissance de la langue française est en partie responsable de cette inégalité.

La coordination entre institutions offrant des formations est déficiente.

Les personnes immigrantes, à plus forte raison celles qui favorisent l’anglais dans leurs interactions avec les institutions québécoises, ont été peu préparées en contexte prémigratoire à faire face aux défis de l’intégration dans un environnement sociétal majoritairement francophone.

Les programmes de mise à niveau, de formation et de RAC semblent peu adaptés à la diversité des réalités et des spécificités des différents groupes ethnoculturels et linguistiques.

Compte tenu de leur faible maîtrise du français, les personnes immigrantes ayant l’anglais comme première langue d’usage estiment être doublement désavantagées sur le marché de l’emploi.

Bien que certaines données obtenues reflètent surtout les perceptions des individus et, par extension, la subjectivité même des personnes, ces perceptions jouent néanmoins un rôle non négligeable dans les pratiques mises de l’avant par ces personnes. Poursuivre des études dans un domaine de spécialisation acquis à l’extérieur du Québec, favoriser la recherche d’emploi et la participation à un programme RAC plutôt que de miser sur une meilleure connaissance du français, ou encore réorienter ses choix de carrière en fonction des opportunités qui s’offrent en matière de programmes gouvernementaux sont autant de pratiques reposant sur le vécu en sol québécois des personnes immigrantes et sur leur rapport à la société québécoise et à ses spécificités linguistico-culturelles. À ce titre, les études menées au cours des dernières années sur les liens entre pays d’origine et reconnaissance des acquis et des compétences (Aydemir et Skuterud, 2005; Boudarbat et Boulet, 2007; Picot, 2008) renforcent l’idée selon laquelle les traitements différenciés auxquels sont soumises les personnes immigrantes influencent directement leurs stratégies d’intégration socioéconomique. Sans pour autant confirmer ou invalider l’étude de Caldwell (1993) quant à l’importance du réseau communautaire et de la maîtrise du français dans l’intégration des personnes immigrantes, notre recherche soulève la question de l’importance, de nos jours, des réseaux communautaires comme facilitateurs de cette intégration.

Notre étude comporte des limites, que de futures recherches pourraient palier. Tout d’abord, le faible nombre de répondants et de participants lors des deux étapes de collecte de données nous empêche de tirer des conclusions générales quant à la situation des IFA en territoire québécois. Par contre, il est important d’insister sur le caractère spécifique de la trajectoire de chaque personne issue de notre échantillon et des défis qu’elle affronte. Il serait contre-productif de sur-catégoriser cette catégorie d’immigrants alors qu’elle est par définition plurielle et hétérogène. En ce sens, les données obtenues grâce aux groupes de discussion font ressortir un équilibre entre les caractéristiques des trajectoires individuelles des personnes immigrantes et les éléments pouvant contribuer à une généralisation au niveau des situations et des vécus au sein de la société québécoise. Ensuite, compte tenu du nombre restreint de participants, il nous a été impossible de ventiler les données par pays d’origine. À ce propos, il serait pertinent que de futures recherches se penchent sur l’influence de l’origine des immigrants faisant usage de l’anglais et à la recherche de reconnaissance des acquis et des compétences. Cela permettrait de bonifier les recherches existantes et de mieux saisir les liens potentiels de causalité entre origine culturelle et barrières à l’intégration professionnelle.

Dans le but de mieux isoler la variable sur la langue d’usage, il aurait été intéressant de pouvoir comparer les résultats obtenus avec ceux d’un groupe d’immigrants francophones. Cette comparaison aurait permis de mieux comprendre en quoi la langue d’usage (anglais ou français) peut avoir des incidences (ou non) sur l’intégration professionnelle. Outre la question de la langue d’usage, la question des compétences professionnelles et de la nature des diplômes détenus par les IFA pourrait, lors de recherches futures, être davantage mise de l’avant. Nous n’avons pas fait de distinction de ce type entre les participants et nous avons plutôt misé sur le fait qu’une forte majorité (69 %) possédait un diplôme d’études universitaires.

Malgré ces limites, nos résultats permettent d’approfondir la question de l’intégration des IFA. Dans un contexte où les décideurs politiques semblent vouloir modifier les règles de sélection des nouveaux arrivants, notamment en ce qui concerne les bassins géographiques de provenance des futurs immigrants, tout indique que la question des langues maternelles et d’usage va demeurer plus que jamais d’actualité. C’est pourquoi d’autres études de ce genre doivent être menées, et ce, autant pour mieux théoriser les liens entre langue d’usage et intégration socioprofessionnelle que pour faciliter la mise sur pied de politiques publiques et de programmes adaptés à cette réalité qui, sans être nouvelle, n’en demeure pas moins constamment façonnée par le contexte. Notre enquête participe également à l’enrichissement des données sur la question linguistique en lien avec les enjeux migratoires au Québec.