Comptes rendus

Devrim Karahasan, Métissage in New France and Canada 1508 to 1886, European University Studies, Publications Universitaires Européennes, Series III, Histoire, sciences auxiliaires de l’histoire, vol. 1063, Frankfurt am Main, Peter Lang GmbH, 2009, 313 p.[Notice]

  • Denys Delâge

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Ce livre résulte d’une thèse de doctorat soutenue en 2006 à l’Institut universitaire européen (EUI) de Florence. La recherche s’inscrit dans un temps long avec pour objectif de saisir l’émergence de communautés métisses franco-amérindiennes. L’auteure ne traite pas que du métissage avec les Britanniques, à la Baie d’Hudson particulièrement. Une fois cerné le concept du métissage aux plans de la biologie et de la culture, de même que l’évolution de sa signification avec la consolidation des thèses racistes, Devrim Karahasan s’attache en premier lieu aux mouvements migratoires et aux politiques de peuplement européen en Amérique et, également, de manière inattendue, vers l’Europe. En effet, de gré ou de force, de nombreux Amérindiens furent amenés en Europe à titre de preuves de voyages, de futurs interprètes, mais surtout de témoins qui à leur retour en leur pays d’origine, chanteraient la magnificence de la France et de l’Europe. C’est le colonialisme qui caractérise le mieux les mouvements migratoires vers l’Amérique. En effet, normalement, les immigrants adoptent la culture de leur pays d’accueil et s’y fondent, mais tel ne fut pas le cas des colons français qui, à l’instar de tous les autres, reproduisirent leur société d’origine aux dépens des sociétés indigènes. L’aventure française en Amérique fut donc coloniale, impériale, mais elle ne le fut pas sur le mode du repoussoir, de l’exclusion, de l’apartheid ; elle se caractérisa par une politique d’intégration-assimilation des Premières Nations. Il s’agissait de fabriquer du Soi avec de l’Autre. Cela postulait des alliances politiques et maritales, ce qui donne tout son sens à cette déclaration de Champlain en 1633 : « Nos fils marieront vos filles et nous ne formerons qu’un seul peuple. » Champlain n’a jamais envisagé l’émergence d’une société métisse. Des Français épousant des Amérindiennes, le « sang » des enfants ne pourrait être que français ! Il s’agissait donc d’une stratégie d’intégration-assimilation, contrairement aux colonies britanniques où prévalut plutôt une politique d’exclusion et d’apartheid. En somme, faute d’un mouvement migratoire français important vers la colonie et, de surcroît, faute de femmes françaises, il s’agissait de fabriquer du Français avec de l’Indigène, le vide de la « sauvagerie » ne pouvant qu’être aspiré par le plein de la « civilisation ». Pour montrer la voie, un noyau minimal de peuplement français allait suffire. Impossible d’espérer plus, puisque la cour craignait le dépeuplement de la métropole au profit d’une colonie qui, de surcroît, n’avait guère besoin de colons pour la traite des pelleteries, sans compter que les guerres iroquoises avaient l’effet d’un repoussoir. Sans peuplement colonial important, ordonnances, filles du roy et soldats démobilisés n’y suffisant pas, la Nouvelle-France s’étendait néanmoins démesurément à la moitié de l’Amérique du Nord ; à l’égard des nations autochtones alliées, elle se plaçait en position de dépendance militaire dans le contexte de la rivalité impériale avec les Britanniques, et de dépendance économique vis-à-vis de ses fournisseurs dans la traite des pelleteries. Au mieux, le pouvoir colonial français pouvait-il occuper les endroits clés : Montréal, Détroit, Michilimackinac, Prairie-du-Rocher-Fort-de-Chartres, etc. Il s’agissait de maintenir une hégémonie diplomatique, mais d’aucune manière ne pouvait-on susciter un processus d’assimilation-francisation des premiers habitants. Devrim Karahasan expose les variations, au fil des ans, des stratégies françaises d’assimilation. Convertir d’abord pour civiliser ensuite, ou encore l’inverse. Pour les jésuites, ce fut la religion d’abord ; pour les sulpiciens et pour le gouvernement royal à partir de 1663, les Sauvages devaient se faire hommes avant d’être chrétiens. Mais encore, par quelles stratégies convertir et civiliser ? Viser les enfants par l’instruction ou bien les chefs pour leur prestige et l’effet d’entraînement ? Sédentarisation ou bien missions volantes ? Baptêmes …