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L’utilisation des compétences et de la reconnaissance des acquis étrangers des immigrants a fait l’objet de nombreux débats publics au Québec ces dernières années, trouvant souvent écho dans les médias. D’une part, on y souligne l’occupation d’emplois sous-qualifiés par des immigrants, alors que des pénuries criantes de travailleurs se font sentir dans certains secteurs du marché de l’emploi (Presse canadienne, 2009 ; Baillargeon, 2007 ; Pélouas, 2007 ; Presse canadienne, 2004) et les coûts associés à cette sous-utilisation des compétences des immigrants (Piché, 2005 ; Bouchard, 2005 ; Cauchy, 2004). D’autre part, on y traite également de la difficulté de faire valoir ses diplômes étrangers et les lourdes procédures requises afin de s’inscrire auprès d’un ordre professionnel (Rodgers, 2009 ; Drolet, 2009 ; Beaupré, 2004 ; Michon, 2004 ; Angély, 2004 ; Cauchy, 2004). La situation ne manque pas de retenir l’attention du politique qui en fait une priorité (Couton, 2002). L’administration publique entreprend également des actions ; le ministère responsable de l’immigration au Québec s’est notamment efforcé au fil des ans de mettre en place des mesures favorisant l’accès aux professions réglementées (MICC, 2008). L’intérêt porté à cette question montre l’importance accordée à l’insertion économique des immigrants et à leur participation active à l’économie du pays d’accueil à la pleine mesure de leur potentiel, et ce particulièrement dans le cas d’une immigration sélectionnée en vertu de motifs économiques comme c’est le cas au Québec.

Or, malgré l’attention accordée à la correspondance entre la formation et l’emploi décroché par l’immigrant, on en sait peu sur la présence des immigrants dans des emplois correspondant à leurs compétences au cours des premières années suivant la migration. C’est donc en premier lieu la description du lien à l’emploi qualifié et sous-qualifié qui s’impose. Quelle est la part d’immigrants se trouvant dans des emplois correspondant à leurs compétences, ou au contraire la proportion occupant des emplois pour lesquels leurs compétences sont sous-utilisées ? Comment évolue la présence en emploi qualifié et sous-qualifié au fil du temps ? Est-ce que les immigrants accèdent rapidement et se maintiennent dans ce type d’emploi, ou prennent-ils un certain temps à les obtenir et les perdent-ils par la suite ? Quels sont les facteurs favorisant ou freinant l’exercice de tels emplois ?

Par le passé, une seule étude québécoise s’est directement attardée à la question en se penchant sur l’accès à un premier emploi qualifié (Renaud et Cayn, 2008). Cependant, s’arrêter à l’étude du premier accès à l’emploi qualifié revient à ne connaître qu’une facette du lien entre la qualification et l’emploi ; or, cette description est insuffisante pour obtenir une image complète d’un phénomène des plus complexes. Le présent article vise à compléter cette lecture à l’aide de données longitudinales, portant sur des travailleurs immigrants sélectionnés admis au Québec, en abordant les parcours en emploi qualifié et sous-qualifié empruntés par les immigrants sous différents angles. Les premières transitions sur le marché du travail retiendront d’abord l’attention, après quoi nous nous pencherons sur la présence en emploi qualifié et sous-qualifié au fil du temps et en dégagerons des profils types. Finalement, l’étude permettra de voir comment ces parcours sont affectés par les critères de la grille de sélection en place au Québec.

Emploi qualifié et immigration

Nombreux sont les écrits à propos des performances économiques des immigrants sur le marché du travail canadien, particulièrement en ce qui a trait aux revenus d’emploi ; plusieurs montrent que les immigrants ont un retour sur l’investissement en capital humain inférieur aux natifs et n’arrivent pas à tirer le même avantage de leur scolarité et de leur expérience de travail prémigratoire, aussi doivent-ils se contenter d’une rémunération inférieure (Reitz, 2003 ; Waslander, 2003 ; Li, 2001 ; Reitz, 2001a ; Grant et Oertel, 1998 ; Bloom, Grenier et Gunderson, 1995 ; Baker et Benjamin, 1994). D’autres vont plus loin et affirment que les gains des immigrants diffèrent selon l’origine ethnique, le désavantage étant plus marqué selon l’appartenance aux différents groupes de minorités visibles (Preston, Lo et Wang, 2003 ; Renaud, Piché et Godin, 2003 ; Swidinsky et Swidinsky, 2002 ; Thompson, 2000 ; Basavarajappa et Jones, 1999 ; Hum et Simpson, 1999 ; Pendakur et Pendakur, 1998).

Certains sont allés jusqu’à tenter de quantifier la valeur monétaire du manque de reconnaissance des compétences en milieu de travail. Selon les estimations du Conference Board du Canada, les Canadiens encourent des pertes de revenus annuels oscillant entre 4,1 et 5,9 milliards de dollars et les immigrants seraient un des groupes les plus touchés par ce problème (Bloom et Grant, 2001). Les résultats de l’étude de Reitz (2001b) sont encore plus alarmants. L’auteur estime que le gaspillage des cerveaux chez les immigrants entraînait en 1996 des pertes de 15 milliards dont 2,4 milliards seraient directement liés à la sous-utilisation des compétences des immigrants et 12,6 à l’iniquité salariale. Si les montants estimés par ces deux études diffèrent, ils révèlent néanmoins l’ampleur et les conséquences de ce manque de reconnaissance.

Bien que les études sur les revenus permettent de montrer l’importance de s’y attarder, aucune ne décrit réellement les processus par lesquels les immigrants s’établissent sur le marché du travail et arrivent à obtenir et à se maintenir dans des emplois correspondant à leurs compétences. Quelques études dans le champ de l’immigration, dont certaines portant sur le Canada[1], se sont attardées à la question de la qualification. Cependant, faute de données adéquates, peu ont pu effectivement étudier le rapport entre la formation initiale et le niveau de scolarité requis par l’emploi occupé dans la société d’accueil. C’est souvent le statut socioéconomique de l’emploi qui a servi d’indicateur pour saisir la question du faire-valoir des compétences acquises à l’étranger sur le marché du travail (Chiswick et Lee, 2005 ; Bauer et Zimmermann, 1999 ; Mcallister, 1995 ; Raijman et Semyonov, 1995 ; Renaud et Crespo, 1994 ; Crespo, 1993).

Récemment, Statistique Canada (2005) s’est penché sur l’obtention d’un emploi s’inscrivant dans le même grand groupe d’emplois que celui de la profession envisagée lors de l’arrivée pour mesurer la requalification. Selon cette étude, 42 % des immigrants qui ont trouvé un emploi au Canada l’ont fait dans le secteur d’activité visé. Toutefois, cet emploi ne correspond pas nécessairement au niveau de scolarité possédé par le migrant.

D’autres études, plus à même de cerner directement la concordance entre le niveau de scolarité requis par l’emploi et la formation du migrant, l’ont fait en ciblant des professions particulières (Boyd et Schellenberg, 2007 ; Remennick, 2003 ; Boyd et Thomas, 2002 ; Couton, 2002). Ces études ne peuvent toutefois pas servir à établir des constats pour l’ensemble de la population immigrante.

Néanmoins, trois études canadiennes (dont une traite spécifiquement du Québec) à partir d’indicateurs directs de déqualification et portant sur l’ensemble des immigrants, toutes professions confondues, ont été recensées. Une étude réalisée à partir de données de 1999 de l’enquête sur le milieu de travail montre que les immigrants, particulièrement les récents, sont plus susceptibles d’être suréduqués pour l’emploi qu’ils occupent. En 1999, 47 % des immigrants récents se trouveraient dans une situation de suréducation, contre 31 % des personnes nées au Canada (Wald et Fang, 2008). Une autre étude effectuée à partir des données censitaires canadiennes constate également que les immigrants sont plus nombreux à être touchés que les natifs par la suréducation. Elle montre que 25 % des nouveaux immigrants détenant une scolarité de niveau universitaire occupaient des emplois nécessitant un niveau de formation inférieur et qu’ils sont deux fois plus nombreux que les natifs à se trouver dans une telle situation (Galarneau et Morissette, 2004). Ces études, se basant sur des données transversales, ne permettent toutefois pas de comprendre l’aspect dynamique de l’établissement en emploi.

C’est ce qu’ont voulu faire Renaud et Cayn (2008 et 2006) à l’aide de données longitudinales portant sur les cinq premières années d’établissement au Québec d’une cohorte d’immigrants sélectionnés. Ils ont étudié la vitesse d’obtention d’un premier emploi correspondant au niveau de formation prémigratoire. Ils ont trouvé qu’après un an, 50 % des travailleurs sélectionnés ont obtenu un emploi correspondant à leurs compétences, ce taux s’élevant à 68 % après cinq ans. Peu des individus ayant accédé à un emploi qualifié à un moment ou un autre de leur établissement acceptent par la suite un emploi de niveau inférieur, soit 12 %. De plus, les auteurs trouvent que ce taux de concordance entre la formation et l’emploi dans la société d’accueil est à peine inférieur (2 %) à celui obtenu par les immigrants dans leur pays d’origine. De ce point de vue, les compétences des migrants ne seraient pas sous-utilisées de façon majeure. Or, les auteurs rappellent que la difficulté des migrants à se trouver un emploi qualifié peut constituer la raison même de la migration.

Ainsi, à première vue, la situation des travailleurs sélectionnés du Québec sur le marché du travail ne semble pas si mauvaise que le laissaient présager les écrits. La majeure partie des immigrants accèdent à ce type d’emploi dans les mois ou années suivant leur arrivée et dans des proportions similaires à ce qui a été enregistré avant la migration. De surcroît, peu vivront par la suite une expérience de déqualification attestée. Or, s’il est nécessaire de s’attarder d’abord à la première transition, une fois ce portrait dressé nous sommes en droit de nous demander ce qu’il en est au-delà du premier accès à l’emploi qualifié. Qu’en est-il de leur présence en emploi qualifié au fil du temps ? Les nouveaux arrivants parviennent-ils à se maintenir dans ce type d’emplois ? Quelle place le non-emploi et l’emploi sous-qualifié occupent-ils dans les premières années d’établissement des immigrants ?

Politiques de sélection du Québec comme piste d’explication

Depuis 1991, le Québec a le pouvoir de sélectionner la plus large part de son flux migratoire (environ 60 %), soit les travailleurs immigrants. Afin de répondre aux différents objectifs qu’il s’est fixés, tant économiques, démographiques, que culturels, et faciliter l’intégration des nouveaux arrivants, le ministère a développé sa propre grille de sélection basée sur un système de points.

Les immigrants indépendants du Québec se voient attribuer des points en fonction de leur adaptabilité, de leurs connaissances linguistiques (anglais, français et éducation postsecondaire en français), de leur formation, de l’emploi, de leurs expériences professionnelles, de leur âge et de leur autonomie financière. Les caractéristiques du conjoint, de même que la présence d’enfants de moins de 18 ans sont également prises en compte[2] (MRCI, 2000).

Comme une telle méthode de sélection des immigrants a pour objectif de ne retenir que les candidats offrant un potentiel d’insertion économique élevé, il convient de s’interroger sur l’impact réel de la grille de sélection québécoise. Leur permet-elle de trouver un emploi correspondant aux compétences pour lesquelles ils ont été retenus et de s’y maintenir ? S’il est illusoire de s’attendre à ce que tous les immigrants sélectionnés occupent des emplois correspondant au niveau de qualification détenu, la population native n’ayant pas elle-même atteint une concordance parfaite entre le niveau de qualification et l’emploi occupé, on peut tout de même s’attendre à ce que les travailleurs présentant les traits les plus avantageux soient ceux qui se retrouvent davantage dans des emplois pour lesquels ils sont qualifiés, et qu’à ce titre la grille de sélection en vigueur au Québec ait un impact majeur.

Données

L’étude s’appuie sur les données de l’Enquête sur les travailleurs sélectionnés (ETS) du Québec. Cette enquête, initialement réalisée pour le compte du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (MRCI), porte sur un échantillon représentatif de travailleurs immigrants sélectionnés en vertu de la grille en vigueur en 1996. Ceux-ci étaient âgés d’au moins 18 ans au moment de leur migration et se sont établis au Québec entre janvier 1997 et juin 2000[3]. Comme certains répondants de l’enquête sont les conjoints accompagnant un immigrant sélectionné, ou encore des individus admis en fonction du programme d’aides familiales résidantes, ils seront exclus de l’analyse puisque soit ils n’ont pas fait directement l’objet de la grille de sélection ou encore avaient déjà un emploi à leur arrivée au Québec à cause du type de programme d’immigration sous lequel ils ont été admis. Ainsi, seront retenus les 1541 requérants principaux qui ont été soumis directement à des critères reliés à leur potentiel d’insertion économique, rendant ainsi possible l’évaluation de cette politique.

La base de données comprend deux types d’information. D’une part, elle est composée de données de sondage. Les entrevues avec les répondants ont eu lieu en mars 2002. C’est ainsi qu’ont pu être amassées des données longitudinales rétrospectives portant sur les 83 à 273 premières semaines de résidence de ces immigrants – soit une période d’observation s’étalant d’environ un an et demi à cinq ans d’établissement selon le moment de leur arrivée. On y retrouve notamment de l’information sur les dates de début et de fin de chaque épisode d’emploi des répondants, de même que les caractéristiques associées à ces emplois. Le titre de chacun des emplois a été relevé et codé selon la classification nationale des professions (CNP). La CNP est un système de classification qui permet de décrire les activités professionnelles des Canadiens à l’aide d’un vocabulaire normalisé (DRHC, 2001). Chacun des 520 groupes de professions est désigné par un code à quatre chiffres, dont un indique le niveau de compétences requis par l’emploi. Il existe quatre niveaux de compétences définis en fonction de la nature de l’éducation et de la formation exigée pour oeuvrer dans une profession donnée, soit des emplois nécessitant : une formation de niveau universitaire (niveau A), collégiale ou un programme d’apprentissage de la profession (niveau B), des études secondaires ou une formation spécifique à la profession (niveau C), ou aucune formation particulière (niveau D) si ce n’est une courte formation en cours d’emploi. Notons également qu’aucun niveau de compétence n’est défini pour les professions du domaine de la gestion (cadres supérieurs ou intermédiaires) puisque ces postes sont souvent attribués en fonction de facteurs autres que la scolarité et la formation. Néanmoins, dans l’ETS, les individus détenant des emplois en gestion (code 0 pour le genre de compétence) possèdent généralement une scolarité de niveau universitaire. Nous considérerons donc les emplois de gestion (0) équivalents au niveau de compétence A.

Nous utiliserons l’information sur le niveau de compétence de l’emploi afin de déterminer si, à chaque semaine, l’immigrant occupe un emploi correspondant à ses compétences. Pour ce faire, le niveau de scolarité détenu par l’immigrant à son arrivée sera comparé au niveau de compétences requis pour occuper chacun des emplois qu’il aura dans la société d’accueil. Si le niveau de compétences requis pour l’emploi est égal ou supérieur au niveau de scolarité du répondant, nous considérerons alors qu’il occupe un emploi pour lequel il est qualifié, sans quoi il sera considéré comme étant dans un emploi sous-qualifié par rapport à son potentiel. Ainsi, l’emploi qualifié considéré dans le cas présent inclut à la fois des situations décrivant un appariement exact entre le niveau de scolarité de l’individu et celui requis pour l’emploi, et des situations où l’emploi est surqualifié par rapport à ce que détient le migrant, situations auxquelles seront opposées celles d’emplois sous-qualifiés par rapport à la scolarité initiale des individus[4].

La deuxième partie des données est à caractère administratif et porte sur la situation des immigrants avant leur arrivée. Ces données sont tirées des fichiers du ministère et décrivent la situation des répondants au moment de déposer leur demande d’immigration. L’intérêt de ces données est que l’on y retrouve, pour chaque répondant, les points obtenus à chacun des critères de la grille de sélection auxquels ils ont été soumis au moment du dépôt de leur demande d’immigration.

Lorsque les données administratives sont jumelées aux données de sondage, il devient possible d’évaluer l’impact de la grille de sélection sur les parcours en emploi des nouveaux arrivants et de déterminer quels sont les critères les plus à même de prédire leurs expériences sur le marché du travail.

Méthodes

Afin de décrire le cheminement des immigrants sur le marché du travail selon divers points de vue, nous aurons successivement recours à quatre méthodes d’analyse. Tout d’abord, les transitions sur le marché du travail seront examinées. Comment les périodes de non-emploi (ne), d’emplois qualifiés (eQ) et d’emplois sous-qualifiés (eSQ) se succèdent-elles suivant l’arrivée au Québec ? Les transitions peuvent indiquer un changement d’un état : de non-emploi à l’occupation d’un emploi qualifié ou sous-qualifié ; d’un emploi qualifié à l’occupation d’un autre emploi qualifié, d’un emploi sous-qualifié ou encore au début d’une période de non-emploi ; d’un emploi sous-qualifié vers un emploi sous-qualifié supplémentaire, une mobilité ascendante vers un emploi qualifié ou encore vers une période de non-emploi. Une méthode appropriée pour étudier la probabilité d’occurrence des diverses transitions et séquences de transitions, en tenant compte de l’ordre dans lequel les divers événements se produisent, est celle des tables de survie multiples enchaînées (opérationnalisée par le biais du module stcompet opérant sous Stata). Les probabilités d’occurrence des transitions ne sont alors pas indépendantes les unes des autres puisqu’elles dépendent des expériences passées des individus. Cela implique par exemple que le risque de sortie du tout premier emploi occupé au Québec sera estimé séparément selon que cet emploi est qualifié ou sous-qualifié. Par la suite, la probabilité de débuter un emploi qualifié, sous-qualifié ou une période de non-emploi dépendra des expériences en emploi (qualifié et sous-qualifié) passées d’un individu sur le marché du travail québécois. De plus, les différents types de fin d’un épisode donné seront traités comme des risques concurrents. L’expérimentation d’un type de fin retirera l’individu du groupe à risque d’expérimenter les autres types de fin. Par exemple, un individu ne peut pas débuter simultanément une période de non-emploi et un emploi qualifié ; c’est soit l’un ou l’autre qui se produit. Mentionnons en dernier lieu que ce type d’analyses permet de considérer les données censurées : les individus seront considérés à risque de vivre les différentes transitions jusqu’à ce qu’ils sortent d’observation. L’analyse couvrira jusqu’à cinq ans de résidence au Québec pour les répondants ayant été observés le plus longtemps. Ainsi, les estimations permettront de voir quelle est la proportion d’individus ayant vécu les différents événements, si tous avaient été observés pour l’ensemble de la période d’observation.

Le second type d’analyses permet d’aborder les cheminements en emploi d’un angle différent : soit sous celui de la présence en emploi qualifié ou sous-qualifié au fil du temps. À partir de données décrivant la situation des répondants en emploi qualifié (ou sous-qualifié) à chaque unité de temps – c’est-à-dire si l’individu occupe ou non un emploi qualifié (ou sous-qualifié) pour chacune des semaines pendant lesquelles il est sous observation – nous décrirons l’évolution de la part de travailleurs sélectionnés en emploi qualifié, sous-qualifié et sans emploi.

Par la suite, nous chercherons à regrouper en grandes catégories les immigrants présentant un profil de présence en emploi qualifié (ou sous-qualifié) similaire. La procédure Proj traj opérant sous SAS a été utilisée à cette fin. Elle permet l’identification de groupes dont la progression dans un état donné au fil du temps est similaire, et de reproduire graphiquement le comportement de ces groupes (Jones et Nagin, 2006). Les individus sont inclus dans l’analyse tant et aussi longtemps qu’ils sont sous observation pour un maximum de trois ans (156 semaines). Les individus qui ont une durée d’observation en deçà de trois ans contribuent donc à l’analyse jusqu’à ce qu’ils sortent d’observation. Le choix d’une période d’observation plus courte pour l’analyse des profils de parcours en emploi repose d’une part sur le fait que les proportions en emploi qualifié et sous-qualifié sont à ce moment devenues relativement stables, les plus grands mouvements se produisant surtout au cours de la première année. De plus, il reste alors suffisamment d’individus sous observation dans l’enquête après trois ans d’établissement (soit 44,7 % de l’effectif de départ après 156 semaines) pour détecter des groupes regroupant peu d’individus et produire des estimations fiables. Notons cependant qu’une telle méthode accorde le même poids à chacune des unités de temps, bien que l’on puisse croire que les toutes premières expériences soient déterminantes pour la suite des parcours en emploi. Ainsi, les expériences du début de l’établissement comptent autant dans la détermination du parcours d’emploi d’un individu que les expériences vécues après plusieurs mois, voire années d’établissement.

L’utilisation de cette méthode pose inévitablement la question du choix du nombre de groupes nécessaire afin de décrire adéquatement le phénomène étudié. Nous avons arrêté ce choix en fonction des changements dans les valeurs du BIC (Bayesian Information Criterion)[5]. Dans le cas présent, six grands profils ont été identifiés pour la présence en emploi qualifié et quatre autres représentent le lien à l’emploi sous-qualifié. Nous y reviendrons.

Finalement, afin de saisir ce qui explique l’appartenance aux divers profils préalablement identifiés, et d’en dégager l’effet de la grille de sélection québécoise en matière d’immigration, des régressions logistiques multinomiales ont été réalisées. Celles-ci permettent d’estimer des modèles pour lesquels la variable dépendante est de type catégoriel et dont les catégories ne renvoient pas à un ordre préétabli. Le but étant de voir quelles caractéristiques influaient sur l’appartenance aux divers profils de présence en emploi qualifié, cette méthode s’avérait la plus appropriée. L’équation de la régression se traduit comme suit :

Des différents profils qui constituent la variable dépendante de l’analyse, un doit être pris comme point de comparaison. On obtient alors le ratio de risque qu’un individu appartienne au groupe m par rapport au groupe 1 (ou tout autre groupe de référence faisant sens), et ce pour chacune des variables indépendantes du modèle. Les variables indépendantes considérées comprennent différents items de la grille de sélection québécoise, de même que d’autres n’en faisant pas partie, soit le sexe et la région de provenance des immigrants, afin de contrôler l’hétérogénéité de la population immigrante. En ce qui a trait à la mesure des variables indépendantes, celles-ci sont transformées pour prendre des valeurs comprises entre 0 et 1, rendant ainsi possible la comparaison de l’influence relative de chaque variable. En ce sens, nous reprenons la démarche de Renaud et Cayn (2006) en ce qui concerne certaines notes obtenues aux critères de sélection. Le nombre total de points associé à chaque critère différant dans la grille, l’échelle de ces variables a été transformée pour prendre la forme de proportions (variant entre 0 et 1 dans l’analyse). Dans d’autres cas, les variables ont été transformées en variables dichotomiques (0/1).

Transitions d’emploi

Une des premières questions qui survient, à propos de l’utilisation des compétences des migrants sur le marché du travail, est de savoir s’ils trouvent un emploi où ils peuvent mettre pleinement à profit leurs acquis, et à quel moment survient cette transition. Est-ce qu’ils se trouvent dans des emplois pour lesquels ils sont qualifiés dès leur entrée sur le marché du travail ? Doivent-ils d’abord occuper des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés ? Arrivent-ils à retrouver des emplois correspondant à leurs compétences une fois qu’ils ont occupé des emplois sous-qualifiés ? Ce sont les divers cheminements en emploi des nouveaux arrivants qui sont rapportés à la figure 1. Les trois premières transitions sur le marché du travail y sont reproduites. Au-delà de trois transitions, les effectifs à risque étaient trop faibles pour poursuivre l’analyse. Néanmoins, ces trois premières transitions sur le marché de l’emploi sont amplement suffisantes pour avoir une idée du lien entre la qualification et les migrants sur le marché du travail québécois.

Les changements d’état sont rapportés par une ligne pleine, et les états stationnaires sont indiqués par les lignes pointillées. Les séquences professionnelles s’illustrent sous la forme d’un arbre dont le tronc représente l’arrivée, et se divise par la suite en diverses ramifications au gré des expériences sur le marché du travail. Par exemple, un des cheminements possibles est d’obtenir un premier emploi sous-qualifié (eSQ_1) suivant l’arrivée, ensuite de passer par une première période de non-emploi (ne_1) pour trouver un second emploi sous-qualifié (eSQ_2). Ou encore, le premier emploi d’un individu suivant l’arrivée aurait pu être un emploi correspondant à ses compétences (eQ_1), emploi qu’il aurait conservé jusqu’à sa sortie d’observation. Chacun des parcours possibles est représenté par des lettres. Ainsi, les deux parcours décrits correspondent respectivement aux lettres D et N. Au terme de chaque parcours, la probabilité de vivre la séquence professionnelle en question est rapportée. Ces probabilités ont été obtenues en multipliant les probabilités de connaître individuellement chacune des transitions – probabilités rapportées en gris pâle sous l’état en question, avec le nombre d’individus se trouvant dans cet état inscrit entre parenthèses.

De prime abord, il ressort de la figure 1 que seulement 9 % sont demeurés sans emploi tout au long de la période d’observation (parcours A). En fait, un peu plus de la moitié des immigrants (54 %) obtiennent un emploi correspondant à leurs compétences comme tout premier emploi au Québec. Or, on aurait pu s’attendre à ce que la part de travailleurs immigrants accédant directement à l’emploi qualifié soit plus élevée, compte tenu du fait qu’ils ont tous réussi à se qualifier pour l’immigration, et ce en raison de leur fort potentiel d’employabilité. Près de 14 % des individus demeurent dans ce premier emploi qualifié au terme de l’observation (parcours N). Ce dernier parcours est le deuxième plus répandu parmi les immigrants observés. La séquence la plus fréquemment observée (Q), quant à elle, regroupe 15 % des répondants. C’est le cas d’immigrants dont le premier emploi est qualifié et est suivi d’une période de non-emploi pour ultimement redevenir employé dans un second emploi correspondant à ses compétences. Les séquences où les individus passent directement d’un emploi qualifié à un autre, sans connaître de période de non-emploi, sont également fréquentes. C’est 7,5 % des individus qui ont occupé deux emplois qualifiés successifs au moment où ils sortent d’observation et 7 % en auront occupé au moins trois (parcours V et Y respectivement). Peu d’immigrants se retrouvent dans des emplois sous-qualifiés après avoir connu un premier emploi au Québec correspondant à leurs compétences. Seulement 5 % l’expérimentent (parcours P+R+T+X). C’est donc dire que lorsque les immigrants débutent leur carrière au Québec en occupant des emplois correspondant à leurs compétences, la tendance est qu’ils continuent plus souvent qu’autrement à occuper de tels emplois.

Figure 1

Transitions sur le marché du travail des travailleurs immigrants sélectionnés

Transitions sur le marché du travail des travailleurs immigrants sélectionnés

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La sous-qualification à l’entrée du marché de l’emploi est néanmoins le lot de 37 % des travailleurs immigrants de l’enquête. La majorité de ceux ayant connu l’emploi sous-qualifié ne retrouve pas d’emploi correspondant à leurs qualifications initiales avant la fin de l’observation. Soit ils conservent ce premier emploi comme c’est le cas de près de 4 % des individus (parcours B), soit ils enfilent les emplois sous-qualifiés (les 4 % qui suivent le parcours H), soit passent par des périodes de non-emploi et y restent jusqu’à la fin de l’observation (ce sont les 5 % représentés par les parcours C et G), ou encore reviennent ultimement vers les emplois sous-qualifiés après une absence de travail plus ou moins longue (c’est le cas de 10 % des immigrants, qui ont connu la séquence D). Cette dernière possibilité consiste en la troisième séquence la plus répandue auprès des immigrants de l’enquête. Un peu moins du tiers des individus ayant eu comme premier contact sur le marché du travail un emploi sous-qualifié (ou 12 % de l’échantillon de départ) réussissent à obtenir un emploi qualifié par la suite (qu’ils le conservent ou non). C’est donc dire que d’entrer sur le marché de l’emploi en occupant un emploi sous-qualifié a un impact majeur sur les possibilités futures de se trouver un emploi correspondant à ses compétences. Si au départ, ce type d’emploi permet d’assurer sa survie, à long terme, il nuit à l’individu dans son cursus professionnel.

Au terme des trois premières transitions sur le marché du travail, 66 % des individus ont connu le début d’au moins un emploi correspondant à leurs compétences[6] et 43 % des individus ont à tout le moins vécu un épisode d’emploi sous-qualifié[7]. Néanmoins, ce qu’il faut retenir de cette première façon d’aborder le lien entre la qualification initiale des immigrants et leurs parcours subséquents sur le marché de l’emploi québécois est que les premiers contacts avec le marché du travail sont susceptibles de teinter leurs expériences futures de travail. Ceux ayant obtenu un premier emploi qualifié demeureront majoritairement dans ce type d’emploi, alors qu’il semble plus difficile d’accéder à ce type d’emploi une fois qu’un premier emploi sous-qualifié a été accepté. De plus, près de la moitié des immigrants ne réussissent pas à décrocher un emploi correspondant à leurs compétences dès leur entrée sur le marché du travail québécois, et au terme de l’étude, au-delà de 30 % ne l’ont toujours pas fait.

Profils de présence en emploi qualifié et sous-qualifié

Si l’étude des transitions en emploi a permis de mieux comprendre les mouvements sur le marché du travail et la place qu’y occupe l’emploi qualifié, demeure la question de l’évolution de ce lien au fil du temps. C’est ce sur quoi porte cette section[8]. D’abord, examinons comment évolue la présence en emploi, selon la qualification, pour l’ensemble de l’échantillon à l’aide d’une série chronologique.

Figure 2

Proportion de travailleurs sélectionnés en emploi qualifié, sous-qualifié et sans emploi au cours des trois premières années d'établissement

Proportion de travailleurs sélectionnés en emploi qualifié, sous-qualifié et sans emploi au cours des trois premières années d'établissement

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La figure 2 montre la proportion d’individus occupant un emploi qualifié, sous-qualifié et sans emploi à chaque semaine, et ce pour les trois premières années d’établissement. La part des répondants occupant un emploi correspondant à leurs compétences augmente au fil du temps d’établissement, l’augmentation la plus marquée se produisant au cours de la première année de résidence. Après un an de résidence, c’est un peu moins de 45 % des répondants qui occupent un emploi pour lequel ils sont qualifiés, cette proportion augmentant graduellement jusqu’à atteindre 55 % au terme de trois ans de séjour (156 semaines). C’est donc à peu près la moitié de l’échantillon qui se retrouve simultanément dans des emplois correspondant à ses compétences tout au long de la période d’établissement considérée. Environ 20 % des immigrants occupent des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés, cette proportion étant relativement stable tout au long de la période étudiée. La part des immigrants sans-emplois quant à elle diminue graduellement au fil du temps pour atteindre 23 % au terme de l’observation.

Si, à première vue, ces résultats diffèrent de ceux présentés à la section précédente, c’est que la période d’observation et surtout l’approche sont différentes. Précédemment, c’étaient les transitions d’emploi qui étaient étudiées, avec l’accent sur l’accès aux différents types d’emploi et comment ceux-ci affectent les cheminements sur le marché du travail. Cette fois, c’est le parcours collectif des requérants principaux qui est représenté. Au-delà de l’accès qui se produit à des moments différents pour chacun, tous n’occupent pas nécessairement un emploi qualifié à chacune des semaines où ils sont observés. Certains y accèdent et s’y maintiennent, certains connaissent des épisodes d’emploi sous-qualifié et de non-emploi. Il est dès lors normal et attendu que le taux d’occupation d’emplois qualifiés et sous-qualifiés à chacune des semaines soit inférieur au taux d’accès à ces types d’emploi. Les individus peuvent ainsi circuler librement entre les trois états considérés (emploi qualifié, emploi sous-qualifié et non-emploi) d’une semaine à l’autre. Cependant, si cette approche a le mérite d’être simple et de fournir une représentation de la situation en emploi au fil du temps, on y perd de vue les parcours individuels.

Or, comme il est mentionné précédemment, tous les immigrants n’ont pas le même lien à l’emploi qualifié. Six grands profils décrivant le lien individuel entretenu par les travailleurs sélectionnés, et l’emploi correspondant à leurs compétences ont pu être dégagés. La figure 3 représente la proportion d’individus appartenant à chacun des grands profils qui occupent un emploi qualifié à chaque semaine, et le tableau 1 désigne le pourcentage de l’échantillon réuni par chacun de ces groupes.

Figure 3

Proportion moyenne en emploi qualifié par groupe au cours des trois premières années d’établissement

Proportion moyenne en emploi qualifié par groupe au cours des trois premières années d’établissement

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Tableau I

Répartition de l’appartenance des travailleurs de l'échantillon aux différents groupes d’emploi qualifié

Répartition de l’appartenance des travailleurs de l'échantillon aux différents groupes d’emploi qualifié

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Un profil qui se dégage clairement est celui associé à des individus qui accéderont rapidement à l’emploi qualifié (dans les quatre premiers mois de résidence) et se maintiennent dans ce type d’emploi pour le reste de l’observation. Quelques rares individus connaissent une période d’absence de l’emploi qualifié après y avoir accédé, de deux mois tout au plus. Ce premier groupe compte environ 23 % des travailleurs de l’échantillon.

Le second groupe est très similaire au premier dans la mesure où, une fois dans des emplois correspondant à leurs compétences, ils en sortent peu et lorsqu’ils en sont absents, ce n’est que passager. Bien que le caractère dominant de ce groupe soit une présence constante en emploi qualifié, l’accès de ce groupe à ce type d’emploi se fait moins rapidement que pour le premier : il se produit généralement plus tardivement dans la première année. Ce profil regroupe 13 % des répondants.

Les trois profils suivants sont moins clairs que les précédents. Ce sont également ceux qui regroupent le moins d’individus. Un de ceux-ci – le groupe 3 qui contient 7 % des cas – est celui d’une classe d’individus dont la présence en emploi qualifié est assez forte au cours des 52 premières semaines de résidence, atteignant à son apogée près de 95 %, mais qui après la première année ne cesse de décroître graduellement. Cela pourrait-il s’expliquer par le fait que ces individus, dont la tendance dominante est incontestablement la présence en emploi qualifié, connaissent une ou plusieurs périodes de non-emploi ou d’emplois sous-qualifiés d’une durée considérable ? Leur présence en emploi qualifié n’est donc pas homogène au fil du temps. Le fait que 50 % du groupe soit absent de l’emploi qualifié au terme de l’observation peut conduire à s’inquiéter sur la capacité de ces individus à se maintenir dans des emplois à la hauteur de leur qualification et sur leur capacité à s’en retrouver de nouveau.

Le quatrième groupe montre une ascension relativement lente de la proportion moyenne en emploi qualifié, celle-ci atteignant aux alentours de 90 % après deux ans et demi de résidence. C’est le cas de 8 % des individus.

Tout comme le troisième groupe, les cinquième et sixième groupes présentent des tendances inquiétantes. Pour ce qui est de l’avant-dernier groupe, c’est le lot d’individus qui sont absents de l’emploi qualifié la majeure partie du temps d’observation. Bien que connaissant des épisodes d’emploi qualifiés d’une durée significative (généralement s’étalant de quelques mois à un an tout au plus), ces individus ne parviennent pas à s’y maintenir. Cela semble d’autant plus probable pour ceux dont le passage dans des emplois correspondant à leurs compétences se fait en début d’établissement et n’est que temporaire. Pour d’autres, ces emplois arrivent dans les dernières semaines d’observation et marquent peut-être une insertion durable, bien que tardive dans ce type d’emploi.

Le sixième groupe, dont fait partie 40 % de l’échantillon, affiche une absence quasi totale de l’emploi qualifié, si ce n’est pour les très rares individus qui occuperont brièvement un emploi qualifié au tout début de leur établissement. Cela va de pair avec les résultats rapportés (en note de bas de page numéro 6, p. 298) sur les trois premières années suivant l’arrivé qui fixent la proportion d’individus n’accédant pas à l’emploi qualifié à environ 60 %.

Si les deux premiers profils identifiés sont sans aucun doute les plus souhaitables, tant du point de vue du migrant que de la société d’accueil, ils ne représentent qu’un peu plus du tiers de la population immigrante à l’étude. Les autres profils sont plus alarmants. En effet, une large part n’arrive pas à occuper des emplois qualifiés et d’autres y accèdent sans s’y maintenir. Cela pourrait s’expliquer par des activités concurrentes, comme suivre une formation – qui à long terme devrait aider l’immigrant à se trouver un emploi pour lequel il est qualifié – ou encore par l’occupation plus ou moins durable d’emplois sous-qualifiés ?

Figure 4

Proportion moyenne en emploi sous-qualifié par groupe au cours des trois premières années d’établissement

Proportion moyenne en emploi sous-qualifié par groupe au cours des trois premières années d’établissement

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La figure 4 et le tableau 2 permettent de cerner la présence en emploi sous-qualifié[9], 62 % des immigrants sont absents de ce type d’emploi tout au long de l’enquête, mis à part certains épisodes d’emplois sous-qualifiés isolés et de courte durée (profil I). 9 % des immigrants connaissent une forte présence en emploi sous-qualifié en fin d’observation (profil II).

Tableau II

Répartition de l’appartenance des travailleurs de l'échantillon aux différents groupes d’emploi sous-qualifié

Répartition de l’appartenance des travailleurs de l'échantillon aux différents groupes d’emploi sous-qualifié

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Leur taux de présence en emploi sous-qualifié connaît une progression constante après la première année de résidence pour atteindre presque 100 % au terme de trois ans de résidence. Un troisième groupe, dont 12 % des immigrants font partie, vit des épisodes entrecoupés d’emplois sous-qualifiés, le plus fréquemment en début d’établissement (profil III). Ainsi, la présence de ce groupe dans ces emplois diminuera au fil du temps. Le dernier groupe identifié connaît une présence forte et relativement constante dans des emplois pour lesquels leurs compétences sont sous-utilisées (profil IV). À partir de la deuxième année d’établissement, une faible baisse est cependant constatée dans la proportion des individus de ce groupe occupant des emplois sous-qualifiés. 15 % des immigrants se rattachent à ce profil.

Lorsque l’on croise l’appartenance aux profils de présence en emploi qualifié et sous-qualifié, on remarque que les individus les plus présents au fil du temps en emploi qualifié (soit les profils 1, 2 et 3) sont relativement exclus des emplois sous-qualifiés. Pour les gens des profils 2, 3 et 4, lorsqu’ils passent par l’emploi sous-qualifié, c’est souvent en début d’établissement avant l’insertion en emploi qualifié. Pour les deux derniers profils, le cinquième et le sixième, leur faible présence en emploi qualifié implique souvent le passage par des emplois sous-qualifiés, soit pour 56 % des individus du profil 5 et 65 % des individus du profil 6. Cependant, peu d’entre eux ont un parcours d’emploi où l’emploi sous-qualifié domine tout au long de leur établissement. C’est le cas de seulement 15 % des individus du profil 5 et d’un peu plus du tiers du profil 6. D’autres s’y tourneront faute d’avoir pu obtenir ou conserver des emplois qualifiés. Finalement, une part non négligeable d’individus du profil 6, soit 35 % (ou encore 14 % de l’échantillon), ont non seulement majoritairement absents de l’emploi qualifié, mais également de l’emploi sous-qualifié, dénotant leur absence prédominante de l’emploi au fil du temps.

Tableau III

Appartenance des travailleurs de l'échantillon aux profils de présence en emploi qualifié en fonction des groupes de présence en emploi sous-qualifié *

Appartenance des travailleurs de l'échantillon aux profils de présence en emploi qualifié en fonction des groupes de présence en emploi sous-qualifié *
*

Les effectifs et les pourcentages de rangées (entre parenthèses) sont rapportés dans chaque cellule.

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Ainsi, peu des individus qui ont éventuellement un lien à l’emploi qualifié entretiennent un lien, de surcroît durable, avec l’emploi sous-qualifié. En fait, peu d’entre eux présentent un profil de présence en emploi sous-qualifié et pour ceux qui se tournent vers de tels emplois, l’occupation d’emplois sous-qualifiés est passagère et révèle une stratégie d’insertion en emploi qui a peu de conséquences professionnelles à long terme. Cependant, d’autres dont le profil montre une présence affirmée dans l’emploi sous-qualifié restent prisonniers de ce type d’emploi. Ainsi, tel que montré précédemment avec l’analyse des transitions, si ces emplois ne relèvent au départ que d’une stratégie de survie économique, ils nuisent à long terme à un établissement durable et prospère sur le marché du travail québécois, dans la mesure où ils contribuent à éloigner les nouveaux arrivants des emplois correspondant à leurs compétences. Non seulement ils constituent une activité concurrente à l’occupation d’emplois qualifiés, mais ils forgent les parcours professionnels.

Profils de présence en emploi qualifié : effet des politiques de sélection

Si l’on accepte que l’appartenance des individus aux profils de présence en emploi qualifié se définisse dès l’arrivée, on peut se demander dans quelle mesure les critères de sélection affectent l’appartenance à l’une ou l’autre des grandes catégories décrivant le lien entretenu par les nouveaux immigrants à l’emploi qualifié. C’est afin de répondre à cette question que des régressions logistiques multinomiales ont été réalisées. La variable dépendante est l’appartenance à un des six profils de présence en emploi qualifié précédemment identifiés. Chacun des cinq premiers profils sera comparé aux chances d’appartenir au sixième profil, celui dénotant une absence complète de l’emploi qualifié. Les résultats sont rapportés au tableau 4.

Tableau IV

Coefficients de régression (b) pour l’appartenance aux profils de présence en emploi qualifié en fonction des items de la grille de sélection

Coefficients de régression (b) pour l’appartenance aux profils de présence en emploi qualifié en fonction des items de la grille de sélection

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L’ensemble des comparaisons entre grands profils montrent que les variables explicatives du modèle parviennent à expliquer 12,5 % de l’appartenance aux divers profils de présence en emploi qualifié.

Cependant, lorsque l’on compare l’appartenance au profil I décrivant l’accès le plus rapide à l’emploi qualifié et une présence constante par la suite au profil dénotant l’absence de ce type d’emploi, on trouve un effet marqué de plusieurs caractéristiques de la grille de sélection. Les premiers effets significatifs se rapportent à la scolarité. Les individus détenant une formation de niveau postsecondaire (certificat ou diplôme technique) et universitaire de premier ou de deuxième cycle ont une plus faible probabilité d’être dans le profil désignant une présence constante dans l’emploi qualifié, lorsqu’on les compare aux individus détenant un diplôme universitaire de troisième cycle. Au contraire, les individus détenant une scolarité de niveau secondaire ou moindre ont davantage de chances d’occuper des emplois correspondant à leurs compétences, lorsque comparés au même groupe de référence. Ce résultat est sans doute la traduction du fait que tout emploi occupé par une personne ayant une scolarité de niveau secondaire ou moindre soit par définition un emploi qualifié. De plus, les chances d’être dans le premier profil augmentent si les individus ont effectué leurs études postsecondaires en français, connaissent l’anglais et ont préalablement séjourné au Québec pour le travail ou des études, ou pour tout autre motif.

D’autres facteurs se rattachant à la politique de sélection québécoise ont un effet. C’est le cas de la catégorie de sélection sous laquelle l’individu a été admis. Les individus dont la demande a été acceptée dans le cadre du programme des professions en demande du Québec (PDQ) ou en vertu d’une dérogation ou d’un emploi assuré ont de plus grandes probabilités d’être dans le premier profil de forte présence en emploi qualifié. Que la formation déclarée par le répondant au moment de remplir la grille de sélection fasse partie de la liste des professions privilégiées par le gouvernement du Québec a également cet effet positif sur l’appartenance au premier profil.

Deux autres caractéristiques sociodémographiques ont été ajoutées aux caractéristiques de la grille de sélection afin de rendre compte de la diversité de la population immigrante : le sexe et la région de provenance de l’individu. Celles-ci ont un effet significatif sur l’appartenance au premier profil. Les hommes ont davantage de chances d’y appartenir alors que les immigrants de toutes les provenances – Maghreb, Europe de l’Est et ex-URSS, Asie de l’Est et Océanie, Asie de l’Ouest et Moyen-Orient, et Amérique (excluant les États-Unis) – lorsque comparés aux ressortissants des États-Unis et d’Europe de l’Ouest sont moins susceptibles d’y être rattachés.

Lorsque l’on change de point de comparaison pour opposer l’appartenance au deuxième profil, décrivant une entrée dans l’emploi qualifié au cours de la première année pour s’y maintenir, au profil le moins souhaitable, soit celui d’absence de l’emploi qualifié, certains des facteurs identifiés lors de la première comparaison ressortent. Détenir une formation privilégiée au moment de l’évaluation de la demande d’immigration, avoir poursuivi des études postsecondaires en langue française et avoir séjourné au Québec avant la migration pour des motifs autres que le travail ou les études : autant de facteurs qui augmentent la probabilité d’appartenir à ce deuxième profil favorable pour la présence en emploi qualifié. Les travailleurs sélectionnés ayant une scolarité de niveau secondaire ou moins ainsi que les détenteurs d’un diplôme de métiers se retrouvent également davantage dans ce profil que les titulaires d’un doctorat. À la différence de l’effet de la provenance avancé précédemment, seuls les immigrants du Maghreb ont moins de chances de faire partie de cette deuxième grande catégorie de cheminement sur le marché du travail lorsqu’on les compare à leurs homologues en provenance de l’Europe de l’Ouest et des États-Unis. La présence d’enfants influence négativement la probabilité d’appartenir à ce profil.

Lorsque l’on compare les trois profils restants au dernier profil, il appert que la grille de sélection ne permet pas de partages aussi clairs. La scolarité demeure néanmoins un élément déterminant de l’appartenance à l’un ou l’autre des profils ; les diplômés des métiers et les individus possédant une faible scolarité se distinguent des docteurs de par leur plus grande présence dans les profils intermédiaires troisième et quatrième. Pour les quatrième et cinquième profils, les universitaires de premier et de deuxième cycle (profil 5 uniquement) se démarquent, négativement, toutefois. Les séjours prémigratoires au Québec et l’inscription dans la liste des formations privilégiées de la province ont également une incidence positive sur l’appartenance au troisième groupe. Ceux possédant une bonne maîtrise de l’anglais ont une propension plus forte à se retrouver dans le cinquième profil, alors que l’effet inverse est à noter pour ceux ayant des enfants mineurs.

En somme, la grille de sélection a un effet limité sur l’appartenance aux différents profils liant l’immigrant à l’emploi qualifié, particulièrement pour ceux dont le lien n’est pas affirmé dès le début de l’établissement[10]. La scolarité, la formation privilégiée et les séjours en sol québécois sont au nombre des facteurs permettant le plus de départager le lien entretenu avec l’emploi qualifié.

Aucune étude longitudinale n’avait exploré le lien entre le niveau de formation possédé par le migrant et les emplois décrochés dans la société d’accueil au-delà du premier accès à un emploi correspondant à ses compétences. De plus, la majorité des immigrants au Québec sont sélectionnées en fonction de leurs compétences. Il était donc primordial de se donner une meilleure description de leurs itinéraires professionnels afin de voir s’ils arrivent à exercer au Québec des emplois pour lesquels ils sont qualifiés.

Il faut faire preuve de prudence face à une représentation monochrome de la réalité. Si dans leur étude, Renaud et Cayn (2006) laissaient transparaître une image relativement optimiste par rapport à l’emploi qualifié chez les travailleurs sélectionnés, nous avons vu qu’aborder cette question sous différents angles permet d’apporter plusieurs nuances. Nous avons choisi de nous doter de quatre points de vue distincts des cheminements professionnels des immigrants, et chacun de ceux-ci amène à des lectures différentes selon les postulats de chacune des méthodes. Or, aucun point de vue ne prévaut sur les autres ; ils constituent autant de facettes d’une même réalité.

Le premier point de vue, soit celui obtenu par le biais de l’analyse des transitions, nous a appris que l’entrée sur le marché du travail est déterminante pour les expériences futures. Les travailleurs immigrants ayant eu comme toutes premières occupations des emplois correspondant à leurs compétences sont peu enclins à se tourner vers l’emploi sous-qualifié et vice versa. De plus, seulement 54 % des immigrants se dirigent directement vers l’emploi qualifié dès leur entrée sur le marché de l’emploi. La proportion ayant accédé à l’emploi qualifié augmente de 12 points de pourcentage pour atteindre 66 % au terme des trois premières transitions considérées. Cependant, outre l’ordre chronologique dans lequel surviennent les différentes transitions, cette première facette ne permet pas de saisir l’évolution de la présence en emploi qualifié des immigrants.

À ce titre, le second point de vue reposant sur l’évolution de l’état des répondants dans trois états donnés (l’emploi qualifié, l’emploi sous-qualifié et le non-emploi) à chaque semaine montre que ce ne sont pas tous ceux qui ont accédé à l’emploi qualifié qui se trouvent simultanément dans ce type d’emploi. C’est environ la moitié de l’échantillon qui se trouve dans un emploi qualifié, la proportion allant d’un peu moins de 45 % après un an de résidence à 55 % au terme des trois premières années passées au Québec. La part des répondants en emploi sous-qualifié se situe aux alentours de 20 % pour l’ensemble de la période considérée. Vue sous cet angle, la capacité des immigrants à se maintenir en emploi qualifié pose problème. Décrivant les tendances pour l’ensemble de l’échantillon, la série chronologique ne permet pas d’étudier les parcours individuels. On ne peut savoir si ce sont les mêmes individus qui se maintiennent tout au long de la période d’observation dans des emplois qualifiés. La proportion ayant accédé à l’emploi qualifié (soit aux environs de 60 % pour les trois premières années d’établissement), laisse croire qu’au moins une partie des individus effectue des va-et-vient entre l’emploi qualifié, sous-qualifié et le non-emploi.

L’étude des grands profils de présence en emplois qualifiés et sous-qualifiés permet d’apporter un éclairage sur les parcours individuels. L’étude des grands profils de présence en emplois qualifiés et sous-qualifiés permet d’apporter un éclairage sur les parcours individuels. Cet autre point de vue permet de réaffirmer le problème de l’accès et du maintien des immigrants en emploi qualifié. En fait, ce n’est qu’un peu plus du tiers de l’échantillon qui accède au cours de la première année à l’emploi qualifié et s’y maintient. Les autres profils identifiés révèlent des tendances inquiétantes. Pour 40 % des individus, l’accès même à l’emploi qualifié pose problème puisqu’ils sont pratiquement absents de ce type d’emploi au cours des trois premières années suivant leur arrivée. Pour d’autres, le problème est différent. S’ils accèdent à l’emploi qualifié, leur présence dans ce type d’emploi est intermittente. C’est alors soit leur capacité à se maintenir dans des emplois correspondant à leurs compétences qui est remise en cause, ou encore leur rapidité d’accès à l’emploi qualifié qui retient l’attention. Selon ce point de vue, la situation semble donc plus compliquée que ce que le laissait présager l’étude de Renaud et Cayn (2006). Au-delà de l’accès, le maintien dans l’emploi qualifié n’est pas chose acquise, car à défaut de se diriger massivement vers l’emploi sous-qualifié – 62 % en seront totalement absents au cours des trois premières années –, plusieurs individus connaissent des épisodes de non-emploi fréquents et/ou d’une durée relativement longue.

L’examen approfondi des profils de présence en emploi qualifié, soit le dernier point de vue considéré, révèle que les différentes composantes de la grille de sélection sont utiles pour départager ceux qui ont une forte présence en emploi qualifié dès la première année (profils 1 et 2) de ceux qui en seront absents, mais que celles-ci contribuent peu dans l’explication des parcours en emploi qualifié moins affirmés. Ainsi, les individus dont la présence en emploi qualifié est moins marquée, soit parce que l’accès prend un certain temps à se produire ou est plus épisodique, semblent peu se différencier de ceux qui en sont absents sur la base des critères utilisés pour sélectionner les candidats à l’immigration. Mais qu’en est-il de ces autres immigrants, pourtant fortement qualifiés puisqu’ils ont obtenu le seuil de passage établi par le ministère ?

Ce dernier point de vue repose sur la classification d’individus dans des parcours en emploi dès leur arrivée et pour l’ensemble de la période d’observation dans la mesure où ces individus sont ainsi classifiés dès le début de l’observation et ne peuvent changer de profil au fil du temps. Or, si cette façon de voir les choses a permis de se faire une première idée de l’établissement en emploi qualifié des immigrants, elle ne prend pas en compte le caractère dynamique de l’établissement. D’autres analyses devront donc être envisagées pour explorer l’effet des expériences vécues dans la société d’accueil, comme les formations suivies, l’exposition plus ou moins longue aux emplois sous-qualifiés ou encore l’effet de la conjoncture économique. Il se peut également que l’effet de la grille de sélection ne soit pas constant au fil du temps. Comme ses composantes renvoient à la situation prémigratoire des individus, il se peut qu’elle ait un effet concentré en début d’établissement et que celui-ci fasse place peu à peu aux expériences locales.

Si cette étude soulève plusieurs questions, elle aura au moins permis de constater la complexité de l’évolution du lien formation-emploi au cours des premières années d’établissement.