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Le sociologue et directeur du collectif, É.-Martin Meunier, affirme d’entrée de jeu que le Québec est en « crise » (p. 1), une crise dont il faut comprendre la nature en examinant les changements que la province a connus en regard des questions sociale, nationale, identitaire et religieuse. À cet effet, il a réuni un groupe de 17 collaborateurs qui avaient auparavant presque tous participé au séminaire du Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM), en 2012.

Des six enjeux que l’ouvrage se propose d’aborder, l’un domine la réflexion, celui de la grève étudiante du printemps 2012. En effet, on compte neuf textes qui portent sur cette grève, ou bien directement lorsqu’ils cherchent à interpréter le sens du Printemps étudiant, ou bien indirectement lorsque les auteurs cherchent à situer cet épisode à l’intérieur du mouvement national (Mathieu Bock-Côté, Linda Cardinal) et des évolutions affectant les universités (Marc Chevrier, Éric Martin et Maxime Ouellet).

L’analyse du Printemps érable donne lieu à deux grands types d’interprétations. D’un côté, il y a ceux qui voient cette grève plutôt négativement. C’est le cas en particulier de Joseph Yvon Thériault qui la considère comme une manifestation de contre-démocratie, concept qu’il emprunte à Pierre Rosanvallon. La grève étudiante aurait été un mouvement horizontal, sans véritable projet autre que celui de freiner, avec succès, une hausse des frais de scolarité. Au total, la grève incarnerait un énième « symptôme d’anomie institutionnelle ». Dans le même sens, Mathieu Bock-Côté croit que la grève a contribué à dénationaliser l’espace politique québécois. De l’autre côté, on retrouve ceux accordant une dimension positive au mouvement, comme Linda Cardinal qui, dans une analyse trop impressionniste pour être convaincante, affirme que le Printemps érable descend en ligne directe des revendications nationalistes des années 1960. D’autres textes tendent aussi à lui donner une signification positive, qui y voient une tentative de « refondation » (Anne Trépanier), un véritable mouvement d’émancipation contre la droite (Pierre Beaudet) ou de redécouverte pour le peuple (Jean-François Bissonnette), une rencontre entre la plèbe et le démos (Dupuis-Déri), une critique de la « multiversité » (Marc Chevrier), et même un mouvement lié à « la crise de l’imaginaire au fondement de la civilisation occidentale » (Ouellet et Martin, p. 257). À lire toutes ces interprétations cinq ans plus tard, le lecteur a l’impression que l’hypothèse des facteurs scolaires (le manque de débouchés) évoquée par le sociologue Jean-Philippe Warren, et discutée par Marc Chevrier (p. 236-237) demeure encore fondamentale pour comprendre le Printemps québécois.

On retrouve ensuite un autre groupe de textes portant cette fois sur la question de la laïcité, un enjeu qui paraît d’ailleurs beaucoup plus structurant que celui des protestations étudiantes pour comprendre l’évolution de la démocratie québécoise. Cette section, qui est articulée autour des solides textes de François Rocher et de Solange Lefebvre, permet en effet de prendre en compte la complexité d’un débat qui s’inscrit dans la longue durée et dans le contexte canadien. Or, Lefebvre rappelle que la pure laïcité n’existe pas vraiment et que nombre d’intellectuels ont adopté avec un peu trop d’empressement le concept de la laïcité à la française où « la religion [est] présentée comme une institution dont on doit s’émanciper et se méfier » (p. 494).

Quelques-uns des textes s’intéressent plus particulièrement à la question des transformations de la culture politique et nationale ainsi qu’aux tendances démographiques. À cet égard, Jean-Claude Racine croit que la thèse de la décanadianisation du Québec est inexacte car, bien que de plus en plus de citoyens s’affirment comme Québécois, ces derniers n’envisagent pas l’avenir en-dehors du Canada (p. 372). D’une certaine façon, le politologue Gilles Labelle ne dit pas autre chose lorsqu’à partir d’une lecture d’Hubert Aquin (« La fatigue culturelle du Canada français »), il arrive à la conclusion que la culture politique monarchiste n’a jamais été mise de côté, surtout pas par la gauche multiculturelle qu’il accuse d’être « conservatrice dans le plus mauvais sens du mot » (p. 190). Mais certains resteront dubitatifs face au monarchisme, cet « héritage pernicieux du colonialisme britannique », une affirmation répétée deux fois plutôt qu’une (p. 184 et 190), qui empêcherait le peuple d’exercer de manière positive sa liberté politique.

Le parent pauvre du collectif est celui de l’économie puisqu’un seul article, celui de Gilles Paquet au style très personnel, y est consacré. Pourtant, d’autres analyses auraient été nécessaires pour mieux prendre en compte cette dimension ou encore pour comprendre les changements qui bouleversent l’économie des régions du Québec. En fait, les réalités régionales sont évoquées bien rapidement, comme le fait Guillaume Marois à propos de la démographie (p. 305-306). Malgré la richesse de plusieurs des contributions, c’est là une faiblesse du collectif qui rappelle que la diversité régionale du Québec reste parfois dans l’ombre de la réflexion des intellectuels.