Comptes rendus

Dany Fougères (dir.), Histoire de Montréal et de sa région, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2012, 2 vol., 1596 p.[Notice]

  • Nicolas Kenny

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  • Nicolas Kenny
    Département d’histoire, Université Simon Fraser
    Nka26@sfu.ca

Au retour d’un séjour à Montréal en 1916, le poète anglais Rupert Brooke évoquait son impression d’une ville formée « de banques et d’églises. Les citoyens de cette ville passent le plus clair de leur temps à accumuler du capital dans ce monde-ci ou dans l’autre », déclarait-il avec un humour teinté de dédain (p. 1290). Si cet ouvrage, dirigé par l’historien Dany Fougères et rédigé par plus d’une trentaine de spécialistes de différentes disciplines, ne se prive pas de ces perles qui en agrémentent la lecture, il parvient, pour la plupart, à évacuer les lieux communs pour présenter un Montréal en mouvement, en rapport avec l’autre et l’ailleurs, et dont l’identité même est façonnée par le « va-et-vient perpétuel de gens, de biens et d’idées » (p. 12). C’est d’ailleurs en misant sur le lien entre l’espace physique et son peuplement que ce fort attendu 21e ouvrage de la collection « Les régions du Québec » de l’INRS cherche à saisir le développement de Montréal depuis l’époque des premiers habitants à aujourd’hui. Délaissant les découpages chronologiques conventionnels, le livre privilégie plutôt une approche inspirée de la géographie humaine et de l’histoire environnementale, lui permettant de tracer des continuités insoupçonnées et de marquer de nouvelles ruptures en fonction de l’occupation et de l’exploitation du territoire et des façons dont les réalités spatiales ont de tous temps façonné l’économie, la gouvernance, la culture et les rapports entre groupes sociaux. Si certains contributeurs adoptent cette approche territoriale plus résolument que d’autres, celle-ci débouche néanmoins sur des interprétations novatrices. Une des plus grandes forces de ce positionnement est sans contredit la manière dont la région dans son ensemble est intégrée à l’analyse. On dresse ici le portrait d’une agglomération débordant largement du cadre municipal de la ville-centre et – de manière encore plus marquée au 20e siècle à raison de routes, de ponts et d’aéroports – de sa forme insulaire. Cette vision large de ce que constitue « Montréal » permet aux auteurs de faire état de réalités sociales et économiques liées à la dispersion des Montréalais bien au-delà du noyau historique de la ville, de montrer sur une échelle plus étendue l’impact sur le milieu urbain de plusieurs temps forts de l’histoire québécoise et canadienne (telles la colonisation française puis anglaise, l’industrialisation massive, l’immigration internationale et plus récemment la mondialisation de l’économie, du savoir et de la culture) et de situer la spécificité des quartiers, des municipalités, des banlieues ou des arrondissements à l’intérieur d’un ensemble certes plus structurant que… cohérent ! Enfin, l’approche territoriale rend possibles certaines analyses originales plus ponctuelles à l’intérieur des différents chapitres. Notons l’exemple de l’agriculture dans la région, présentée par Stéphane Castonguay non pas comme la chronique d’un long déclin, mais plutôt comme « une transformation de pratiques d’occupation du sol et une réinvention de rapports à un environnement agricole façonné par l’activité humaine » (p. 611). Tout en fournissant de riches possibilités interprétatives, l’approche préconisée a cependant certaines limites, surtout lorsque le territoire et sa gestion semblent prendre plus d’importance que les hommes et les femmes qui l’occupent. À s’étendre, par exemple, sur la kyrielle de structures administratives municipales à s’être succédés au fil des époques ou sur les tractations entourant les divers épisodes d’annexion, le livre raconte, par moments, l’histoire d’une ville gérée, plutôt que celle d’une ville vécue. Certaines sections font, par ailleurs, déferler les données statistiques, désincarnées de leur contexte humain, alors que dans un chapitre sur la technologie, la multiplication de grandes entreprises dans la région est synonyme de « réalisations » et de « succès », sans questionnement …