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Rares sont les ouvrages consacrés à la voix des femmes, surtout lorsque celle-ci se fait militante et québécoise. Vingt ans après l’enquête d’Évelyne Tardy et d’André Bernard (1995) publiée sous le titre Militer au féminin, Marie-Ève Surprenant et Mylène Bigaouette nous proposent un nouveau panorama du militantisme au féminin, non pas sous forme d’une démarche scientifique de terrain, mais plutôt en laissant s’exprimer des militantes et quelques militants féministes qui ont participé directement au Printemps québécois. En tout, une trentaine de textes, sous diverses formes littéraires (témoignage, poésie, démonstration, entrevue, etc.), dressent un portrait de la puissance de la voix féminine, mais surtout de sa diversité : d’abord, les étudiantes, mais aussi les femmes autochtones, les infirmières contre la hausse, le Regroupement des centres de femmes du Québec, la Coalition Main rouge, le Comité femmes GGI, etc. Enfin peuvent s’exprimer des voix trop peu entendues, qui prennent pourtant forme dans des paroles, des actes et des oeuvres qui habitent la sphère publique. Heureusement, ces voix laissent, dans ce livre, une trace afin de marquer le temps. Alors que l’histoire est écrite au masculin, ces militantes prouvent que l’égalité ne sera possible que si les femmes occupent l’espace public. Nombreuses ont été et sont encore les tentatives d’en exclure la parole féminine et féministe, mais l’ouvrage dirigé par Surprenant et Bigaouette nous démontre qu’il est possible d’écrire l’histoire au féminin et de participer à l’édification d’une mémoire collective.

La force de ce collectif est certainement de démontrer la pluralité des formes du féminisme à l’heure du militantisme et de les avoir contextualisées à travers les événements. Parmi tous les ouvrages consacrés au Printemps québécois, Les femmes changent la lutte est le seul qui leur soit entièrement consacré. Luttes, répressions, subversions et solidarités traversent ce récit collectif du rapport féministe au militantisme en soulevant les spécificités des pratiques militantes du mouvement des femmes. Sont exposées les formes de discrimination qu’elles subissent non seulement dans la société et lors du Printemps québécois, mais aussi les formes de discriminations à l’intérieur même du mouvement de lutte, plus « invisibles », sournoises même, et dont on parle trop peu. Rarement prenons-nous la mesure du double combat du militantisme féminin : lutte pour la « cause » et lutte à l’intérieur de la « cause » pour faire valoir sa voix ou même les droits de son corps. Alors qu’on pourrait croire certains milieux acquis à l’égalité homme-femme, ces militantes doivent au contraire faire face à de difficiles et inacceptables contradictions au sein même des idéaux. Oui, les femmes changent la lutte, car le féminisme a sa propre lutte. À la question posée par Julie Jacques et Anne Quéniart il y a 10 ans, Apolitiques, les jeunes femmes?, nous ne pouvons que répondre par la négative : une nouvelle génération de féministes milite en vue d’une société plus égalitaire, et elles le feront à leur façon, de manière plurielle.