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Cet ouvrage se penche sur l’histoire de l’esclavage à Montréal sous le Régime anglais, et à partir d’un travail d’archives impressionnant, il retrace les trajectoires d’esclaves et de leurs descendants, en analysant particulièrement l’effet des périodes de « transition » sur leurs statuts et leurs « droits », c’est-à-dire dans le passage du Régime français au Régime anglais, et de l’esclavagisme à son abolition par l’Imperial Act de 1833. Ces transitions montrent, par exemple, les différentes formes d’exclusions et contradictions du système judiciaire dans la reconnaissance des droits fondamentaux et civiques des Noirs, même lorsqu’ils étaient affranchis : droit de vote, droit d’association, mariages interraciaux (généralement entre hommes noirs et femmes blanches, et dans les classes sociales inférieures), accès à la propriété, accès à l’éducation et aux différentes fonctions occupées exclusivement par les Blancs (dont celle d’enseignant), ou même la façon de désigner les Noirs (« nègres », « nègres de nation » pour coller une « origine nationale », et autres) par les instances judiciaires, les journalistes, le recensement et les Blancs en général, même après 1833. Sur le plan juridique, les Noirs avaient les mêmes droits que les Blancs au début du 19e siècle, mais dans les faits, leur disqualification sociale avait plus d’impact que les lois sur la jouissance effective de leurs droits. Dans la sphère politique, ces règles « non écrites » empêchaient les Noirs d’être candidats et d’être élus, même si les Noirs propriétaires (certes peu nombreux) votaient aux élections, car, rappelons-le, l’Acte constitutionnel de 1791 ne spécifiait pas si les personnes éligibles devaient être blanches ou de sexe masculin. Malgré le régime esclavagiste toujours en vigueur jusqu’en 1833, leur droit de vote ne leur a pas été retiré, paradoxalement, comme ce fut le cas pour les femmes.

L’intérêt de l’ouvrage réside non seulement dans la période traitée − la Nouvelle-France ayant été largement étudiée (notamment par les célèbres travaux de Marcel Trudel depuis 1960, et ceux de nombreux historiens du 19e siècle) − mais aussi dans la richesse des archives consultées, qui a permis à l’auteur de déconstruire ou du moins, de remettre en question certains faits généralement admis par les historiens. Alors que certains historiens du 19e siècle niaient l’existence juridique de l’esclavage au Bas-Canada, ou soutenaient que les pratiques esclavagistes avaient presque disparu d’elles-mêmes au début du 19e siècle, Mackey constate plutôt, en analysant les lois, la jurisprudence, les actes notariés et les journaux de l’époque, que le régime esclavagiste a été « techniquement légal » bien après son abolition en 1833. L’ouvrage met en évidence, de manière critique et détaillée, les « tâtonnements » et pratiques esclavagistes contradictoires sous le Régime anglais, et que seul le combat, souvent isolé, d’une poignée d’esclaves a permis de transformer. L’abolition de l’esclavage n’est pas attribuable aux politiciens ou juges blancs « de bonne volonté », mais aux combats de Charlotte, Judith, Robin, Augustin et d’autres esclaves (ou leurs descendants) pour contester les jugements des tribunaux et obtenir des droits, combats que Mackey arrive à reconstituer minutieusement.