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Philippe Fournier a parcouru le site web « Notre mémoire en ligne/Early Canadiana Online » et a sélectionné 1 956 documents choisis parmi « les principaux édits, ordonnances et règlements émis par les autorités royales et provinciales », « issus de la cour de France ou conçus ici même en terre d’Amérique ». À l’exception de deux documents (p. 473, 526), tous renvoient à la classification NML. La présentation des documents dans La Nouvelle-France au fil des édits consiste généralement en une description où se mêlent transcriptions (en italique) et résumés (en romain). Mais si dans certains cas la transcription est presque intégrale, à partir de 1683, les résumés (sans transcriptions) deviennent de plus en plus nombreux. Parfois ces descriptions contiennent aussi des renseignements historiques sur l’évolution du cas dont il est question. Les documents sont organisés par chapitre. Chaque chapitre correspond au mandat d’un gouverneur ou de son substitut intérimaire et débute par une section intitulée « Un brin d’histoire », qui renseigne le lecteur sur le gouverneur et son époque, et sur les caractéristiques principales des documents de son mandat. Apparemment, certains dirigeants n’ont produit aucun document institutionnel qui ait survécu. D’autres, tels que le sieur de Mézy (1663-1665), le premier marquis de Vaudreuil (1703-1725) et le marquis de Beauharnois (1726-1747), ont été au contraire très productifs.

Voici un livre pour les passionnés d’histoire, écrit par un homme curieux « du quotidien de nos ancêtres », qui a pris « un grand plaisir à cataloguer » ses documents et à communiquer à ses lecteurs les « anecdotes » les plus aptes à montrer « les moeurs de l’époque », « pour le bon plaisir de tous », grâce à une « chronologie » reconstituée. C’est sans doute dans le but de mieux illustrer ce quotidien que le document le plus long qu’a sélectionné M. Fournier est une longue liste de marchandises sur lesquelles la couronne imposait des droits d’entrée et de sortie (p. 531-543), et qu’il transcrit aussi presque intégralement un règlement de police (p. 139-143). Nous n’avons aucun mal à imaginer un médecin retraité de Saint-Hyacinthe se plongeant dans la lecture de cette documentation (à la fois imposante et très agréable dans sa présentation extérieure), afin d’acquérir une connaissance de première main sur les véritables conditions de vie de ses ancêtres – une lecture accompagnée des aimables commentaires de M. Fournier : « À chacun de juger » (p. 130), « Reste à savoir ! » (p. 406), « Autre siècle, autre monde ! » (p. 498), « Dernier effort avant le grand congé de lecture ! » (p. 581), etc.

Pour ce qui est de l’historiographie, le cadre est bel et bien celui du milieu du dix-neuvième siècle (sauf pour un recours au Dictionnaire biographique du Canada en ligne et cinq à Wikipedia). François-Xavier Garneau reste l’auteur de référence ; François de Laval intriguait (p. 49), François Bigot fut « infâme » et Louis XV « crapuleux ». Le « peuple » canadien, pour sa part, resta heureusement « catholique et breton au milieu des protestants, et français sous le drapeau de l’Angleterre » (p. 555). Dès le début, il est très évident que La Nouvelle-France au fil des édits n’est pas un ouvrage à la fine pointe de l’historiographie courante

Cependant, pour ce qui est de sa qualité documentaire, les problèmes sont considérables. Une douzaine de documents ne sont pas dotés d’un numéro de référence archivistique (55, 67, 106, 151, 159, 160, 187, 191, 215, 236, 238, 262, 272, 483, 497, 589). Les caractères typographiques aussi bien que les parenthèses et les crochets dans les transcriptions ne sont pas utilisés de manière cohérente et uniforme. Dans le cas de l’ordonnance « au sujet des Nègres appelés Panis », le titre assigné au document ne correspond pas à son contenu, dans lequel les « nègres » et les Panis sont clairement distingués (p. 295). Par surcroît, les modifications adoptées dans la transcription des textes ne sont pas expliquées. Une comparaison par échantillonnage avec Édits, ordonnances royaux, déclarations et arrêts du Conseil d’État du Roi concernant le Canada, une collection similaire publiée à Québec en 1854, révèle des différences. Par exemple, « aux dits cent associés, leurs hoirs et ayans cause, en toute propriété [...] en rangéant les côtes [...] dans le fleuve appelé Saint-Laurent [...] au long et au large [...] faire connaître [...] à canon, bâtir et fortifier les places [...] ès dits lieux », que l’on retrouve dans Édits, devient « aux dits Cent-Associés, et à leurs héritiers, en toute propriété [...] en longeant les côtes [...] dans le fleuve Saint-Laurent [...] au long et large [...] faire connaître [...] à canon, de bâtir et fortifier les places [...] dans lesdits lieux » dans Fournier. Autre exemple, « mil six cent soixante-dix-neuf » dans Édits devient « mil six cent soixante-neuf » dans Fournier.

Si donc les historiens et les étudiants d’histoire ne devraient utiliser La Nouvelle-France au fil des édits que comme toute première étape avant la consultation des véritables sources documentaires, les non-professionnels en revanche auront plaisir à explorer la vie sociale des habitants de la Nouvelle-France à travers les documents qui régissaient leurs vies. C’est d’ailleurs le souhait qu’avait formulé M. Fournier au tout début de son louable effort de synthèse.