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Cadette des onze enfants de Marie-Louise Globensky et d’Alexandre Lacoste, Thaïs Lacoste-Frémont est beaucoup moins connue que ces soeurs Marie Lacoste Gérin-Lajoie et Justine Lacoste-Beaubien même si elle a été, comme elles, activement engagée dans diverses batailles entourant l’acquisition des droits sociaux et politiques des femmes des années 1930 aux années 1950.

Initiée très tôt par sa mère et son entourage à l’action sociale, elle soutenait déjà ses soeurs dans leurs initiatives avant son mariage avec Charles Frémont. Bien intégrée dans les réseaux de sociabilité de la bourgeoisie canadienne-française, Thaïs ralentit ses implications le temps de ses quatre grossesses, entre 1912 et 1923. Plutôt que de s’investir d’abord autour de la question du suffrage des femmes à l’échelon provincial, Thaïs s’engage dans l’arène politique fédérale, auprès du Parti conservateur auquel sont fidèles à la fois son mari et sa famille. Une première expérience lors des élections de 1925 l’amène à militer dans l’Association des femmes conservatrices. Rapidement élue vice-présidente, puis présidente de l’association, Thaïs devient une organisatrice de premier plan de la section féminine de ce parti. Lorsque ce dernier prend le pouvoir en 1930, elle amorce une carrière publique très active. Elle sera responsable de patronage féminin, rédactrice dans Le Journal, fondatrice d’un comité de secours et de placement avant d’être nommée déléguée du Canada à Genève à la Société des Nations.

C’est toute cette chronologie que Denise Girard relate de manière détaillée dans cette biographie de Thaïs Lacoste-Frémont, sans compter les événements qui ponctuent sa vie privée : maladie et mort de deux de ses quatre enfants, problèmes de santé, etc.

On comprend un peu mieux pourquoi son nom n’occupe pas la même place que ses soeurs dans la mémoire collective, même si son visage figure sur la Fresque des Québécois peinte sur un édifice du Vieux-Port de Québec. Travailleuse acharnée pour la cause des femmes, sa perspective conservatrice a peut-être desservi sa mémoire, ses propos apparaissant à nos yeux beaucoup moins subversifs que ceux de sa soeur Marie et ses actions beaucoup moins novatrices et structurantes que celles de sa soeur Justine. Elle se prononce néanmoins beaucoup plus que celles-ci sur des questions alors jugées « générales », notamment sur le communisme (qu’elle dénonce), l’économie, la religion et les traditions.

Sur la question des femmes, elle répète régulièrement que son « Association de Québec est une association féminine conservatrice et non féministe » (p. 96). On comprend donc que Thaïs Lacoste-Frémont fait partie de ces femmes de la bourgeoisie qui désiraient élargir « le rôle social de la femme » sans transformer les rapports sociaux de sexe, permettre aux femmes d’accéder à des espaces sociaux nouveaux, mais spécifiques. D’ailleurs, elle ne recommande pas aux femmes d’être candidates aux élections, mais simplement de s’y intéresser comme électrices.

Ces femmes engagées et conservatrices ont permis des changements importants dans le statut réservé aux femmes, mais elles ont également combattu certaines visions du changement et des inégalités beaucoup plus radicales que les leurs, visions qu’elles ont jugées immorales, dangereuses, etc. Malheureusement, Denise Girard demeure silencieuse à propos de la diversité des paroles féministes et occulte largement la dimension de classe des discours et des prises de position de Thaïs. À peine quelques mots sur Thérèse Casgrain et Idola Saint-Jean, et plusieurs phrases trop hagiographiques sur la sensibilité et l’empathie de Thaïs envers les femmes des classes populaires.

Après son retour de Genève en 1932, Thaïs reprend ses activités de bienfaisance, de conférencière et de journaliste, mais s’éloigne progressivement de la politique partisane pour s’engager surtout dans des associations d’action catholique où les libertés qu’elle prend avec les directives épiscopales lui valent des oppositions la contraignant à cesser son action. Son dernier combat sera mené au Comité paritaire du statut de la femme mariée. Thaïs pourra apprécier le Bill 99 qui autorise les femmes mariées à contracter et qui supprime l’exigence de la présence de la concubine dans la maison commune pour que les femmes puissent demander la séparation conjugale, mais ne vivra pas assez longtemps pour profiter complètement des fruits de son labeur et du Bill 16, voté en 1964 et établissant la pleine capacité juridique des femmes mariées.