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La sécurité des milieux urbains est un sujet d’actualité : elle constitue l’un des éléments de la qualité de vie urbaine. Malheureusement, force est de constater, dans certains quartiers, la recrudescence de différentes formes de violence, un phénomène qui affecte la sécurité et donc le sentiment de sécurité éprouvé par les résidents des milieux touchés. Cela dit, « il existe peu d’études longitudinales sur les sentiments d’insécurité » (Elchardus, De Groof et Smits, 2003, p. 5). Par ailleurs, la violence est génératrice d’insécurité, mais les écrits scientifiques ne font pas consensus sur la nature de celle-ci; il y a presque autant de définitions qu’il y a d’auteurs, de professions, d’intérêts et de perspectives (Martel, 1996). Celle-ci est particulièrement pertinente pour notre étude :

La violence est un acte physique, psychologique ou mémoriel perpétré à l’encontre d’individus avec pour finalité une forme de coercition, de subordination, d’exploitation ou de totale soumission, voire de destruction physique, matérielle ou psychologique.

Brun-Picard, 2009, p. 352

Les travaux de Hacker (1972), Michaud (1978), Maffesoli (1985) et Bergeret (2000) nous éclairent sur la multiplicité des formes de violence : ces écrits nous rappellent que la violence est évaluée en fonction des valeurs et d’une idéologie propres à chaque communauté (Brun-Picard, 2009), que la violence influence le sentiment de sécurité et qu’elle engendre la peur. Quant à la peur du crime, c’est un sentiment polymorphe aux contours flous (Siméone, 2004) et aux origines multiples, comme nous le verrons un peu plus loin. Dans un ouvrage intitulé Liquid Fear, Bauman (2006) montre que le monde postmoderne est en tant que tel une source importante d’insécurité et de peur; dans une analyse détaillée, l’auteur lie « évolution technologique » et « insécurité ». De nombreuses recherches soutiennent que les personnes âgées sont particulièrement affectées par la peur du crime (Garofalo, 1979; Lachanceet al., 2010; L’Espéranceet al., 2006; Stafford et Galle, 1984) alors qu’elles sont susceptibles d’être victimes d’un crime (Turcotte et Schellenberg, 2006; Tulloch, 2000). Nous avons voulu vérifier cette thèse chez les personnes âgées de l’agglomération de Longueuil, territoire symbolisant jadis l’ascension sociale (Collin et Poitras, 2002). Dans cet article, nous tentons d’évaluer le sentiment de sécurité des résidents des habitations à loyer modique (HLM) réservées aux personnes âgées, situées sur le territoire desservi par l’Office municipal d’habitation de Longueuil. Nous souhaitons en outre comprendre les facteurs affectant leur sentiment de sécurité. Nous voulons enfin savoir si, chez ces personnes, le sentiment de sécurité est lié au genre et à l’âge. Nous nous appuyons sur une enquête menée à l’hiver 2010 dans 32 résidences de type HLM pour personnes âgées, réalisée à la demande de la direction de l’Office municipal d’habitation de Longueuil (OMHL) et visant à améliorer la qualité de vie des locataires.

Sentiment d’insécurité ou peur du crime?

Quelle est la nature du sentiment d’insécurité? Comment naît-il? Est-il lié à d’autres émotions? Est-ce un concept universel?

Le hasard veut que l’anglais n’ait pas d’expression pour les « sentiments d’insécurité ». Les scientifiques anglo-saxons parlent de « fear of crime » et dans l’analyse des causes des sentiments d’insécurité, leur attention est conditionnée par la langue. Longtemps, l’intérêt s’est porté unilatéralement sur le crime et la victimation. Cette tendance s’est étendue bien au-delà du monde anglo-saxon. Les chercheurs néerlandais Steinmetz et Van Dijk (1983), par exemple, ont proposé il y a vingt ans d’abandonner la notion de « sentiments d’insécurité » pour ne plus parler que de « réactions à la criminalité ». L’évolution du domaine de recherche n’a pas suivi cette proposition, mais il existe toujours une tension entre la mesure de la « peur du crime » d’une part et la mesure de sentiments plus étendus d’anxiété et de malaise d’autre part.

Elchardus, De Groof et Smits, 2003, p. 7

L’analyse de la peur du crime et de la criminalité est complexe. En fait, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la recherche montre que ces deux réalités sont peu ou pas liées, un niveau de peur élevé ne correspondant pas nécessairement à une criminalité plus importante. Des travaux récents font valoir l’utilité de mieux identifier la corrélation entre le sentiment d’insécurité et la victimisation criminelle (Beaulieu, Leclerc et Dubé, 2003; Lachanceet al., 2010). Deux théories s’affrontent, l’une rationnelle, l’autre symbolique. Le paradigme rationaliste soutient que le sentiment de peur découle d’une évaluation raisonnée du risque et que le sentiment d’insécurité est une conséquence du risque appréhendé (Rountree, 1998; Warr, 1987). Ainsi, pour les tenants de ce paradigme, il est logique que le sentiment de peur soit plus fort chez les personnes vulnérables, c’est-à-dire sans véritables moyens de défense face à de possibles agressions physiques. En revanche, le paradigme symbolique soutient que, dans le monde postmoderne, les sentiments de vulnérabilité et de peur sont véhiculés et amplifiés par les médias et d’autres acteurs et notamment les voisins (Elchardus, De Groof et Smits, 2003; Sparks, Girling et Loader, 2001). Les tenants du paradigme symbolique sont d’avis que les médias instillent une peur chronique au sein de la population; selon eux, c’est pourquoi certaines personnes au sein de la population sont perturbées par l’idée qu’un agresseur ou un criminel puisse surgir à tout moment, même dans leur espace privé.

Pourtant, le taux de criminalité rapporté tant par les médias que par la population ne correspond pas au niveau de risque appréhendé. Selon Siméone (2004), il n’existe pas de corrélation étroite entre le taux de criminalité et la peur du crime. Ce dernier croit que les liens sociaux entre les résidents d’un quartier, les mouvements des personnes et l’instabilité géographique des résidents influencent le sentiment de peur. La théorie de la vulnérabilité vient appuyer le paradigme symbolique et expliquer le sentiment exacerbé de peur chez les personnes âgées et les femmes. Ainsi, selon Killias (1990), trois facteurs expliquent conjointement le sentiment de peur chez ces deux groupes de personnes : le degré d’exposition à un risque non négligeable, le sentiment de perte de contrôle (qui se manifeste par le manque de moyens de défense efficaces ou de mesures de protection) et la prévision de conséquences négatives importantes.

Impact de la violence sur le sentiment de sécurité

Depuis les années 1980, les enquêtes sur les victimes d’actes violents ou criminels ne cessent de s’accumuler (Cousineau, 1994; Walklate, 1998). Cousineau distingue deux formes de violence criminelle : les agressions directes telles que les menaces, les voies de fait, les tentatives de meurtre et les homicides, et les agressions indirectes telles que le vandalisme et les introductions par effraction. Quelle que soit la forme qu’ils prennent, les actes violents engendrent un état d’insécurité et la simple peur de la violence ou des crimes peut générer de l’anxiété (Walklate, 1998), laquelle engendre en retour un sentiment d’insécurité. Rea (2007) distingue pour sa part l’insécurité associée à la délinquance et celle liée à des événements exceptionnels tels que les actes terroristes et les catastrophes naturelles. Notre article s’intéresse surtout à la délinquance.

Tous les types de délits peuvent faire naître un sentiment d’insécurité, des crimes les plus graves ‒ le meurtre ‒ aux méfaits moins violents ‒ le vol à l’étalage ou à la tire. On doit ajouter à la seconde catégorie le vol d’identité : apparu au milieu des années 1990 (Dupont, 2010), ce type de délit connaît une forte croissance depuis quelques années (Finklea, 2012). Il faut enfin ajouter à la catégorie des méfaits moins violents les incivilités que certains voient comme une atteinte à l’ordre social, comme le fait de passer devant une autre personne dans une file d’attente ou de la bousculer. De tels comportements peuvent sembler banals, mais ils peuvent engendrer un sentiment d’insécurité chez des personnes particulièrement fragiles.

Autres facteurs affectant le sentiment de sécurité

De très nombreux facteurs peuvent exercer une influence sur le sentiment de sécurité. Parmi ceux-ci on retrouve (Élie, 1981) :

  • l’attitude des citoyens face à la criminalité;

  • la capacité de la police à découvrir des crimes;

  • la manière de réagir à la violence;

  • la propension à rapporter les crimes et les délits;

  • l’évolution des lois;

  • la densité urbaine;

  • le poids démographique d’une collectivité;

  • plus récemment enfin, la création de services de police et de sécurité privés.

La pauvreté est un autre facteur qui affecte le sentiment de sécurité, puisqu’elle accroît le risque de violence, conjugale entres autres, et de crimes (Bensonet al., 2003; Raghavanet al., 2009; Renzetti et Maier, 2002). La mixité des générations affecte également le sentiment de sécurité, comme le montre une étude de Leloup (2007) établissant une relation entre le sentiment d’insécurité et la forte présence des jeunes dans un espace HLM abritant des familles à faible revenu à Montréal. De même, les facteurs culturels influencent le sentiment de sécurité : dans une étude comparative sur la criminalité au Canada et aux États-Unis, Waller (1981) attribue en partie le taux plus élevé de criminalité aux États-Unis à des facteurs culturels, en particulier le droit de posséder des armes à feu inscrit dans la constitution et le racisme envers les Noirs.

L’influence de certains facteurs sur le sentiment de sécurité peut également résulter des conséquences indirectes du méfait. Prenons l’exemple du vol d’identité, un crime non violent qui ne provoque généralement pas sur le champ d’insécurité chez les victimes : ces dernières sont souvent confrontées à des obstacles pour être reconnues comme telles par les autorités financières, policières et judiciaires (Cavoukian, 1997; Newman et McNally, 2005), ce qui affecte leur état psychique ou moral et par le fait même leur sentiment de sécurité, à cause de la crainte de voir l’événement se reproduire.

En contexte urbain, le sentiment de sécurité est également lié à l’espace géographique (Koskela, 1999). Certaines villes ou certains territoires sont associés à une fréquence plus élevée d’un type particulier de criminalité : dans une région, ce sera les crimes contre les biens (vol qualifié, cambriolage), dans une autre les homicides, dans une troisième la prostitution ou la vente de drogue (Waller, 1981). Les victimes directes de ces crimes ou délits développeront évidemment un sentiment de peur, lequel sera associé à la région en question (Cousineau, 1994); quant aux victimes indirectes ‒ les témoins de la scène et les proches des victimes directes (amis, familles, collègues) –, elles garderont également des souvenirs douloureux de ces actes, eux aussi associés à la région en question. Dans tous les cas, l’insécurité initialement ressentie à l’égard d’un lieu particulier peut s’étendre à d’autres lieux, voire se transformer en une peur continuelle (Cousineau, 1994).

Distinction entre centre-ville et banlieues

Cette réflexion sur l’espace géographique nous amène à faire une distinction entre centre-ville et banlieues. Plusieurs analyses attribuent, en partie du moins, l’origine des crimes à la pauvreté urbaine. Ainsi, Renzetti et Maier (2002) invoquent l’appartenance à une classe sociale défavorisée pour expliquer les crimes perpétrés dans les quartiers à faible revenu. Sur ce plan, en Amérique du Nord, les banlieues sont « l’antithèse » de la ville, un vocable que nous empruntons à Charbonneau et Germain (2002) : ces territoires symbolisent la réussite sociale (Collin et Poitras, 2002; Harris et Lewis, 2001; Morin, Fortin et Després, 2000) et ont historiquement été associés à des revenus plus élevés et à un milieu de vie paisible et sécuritaire.

La recherche scientifique s’est intéressée à la sécurité dans les centres urbains, mais peu d’auteurs se sont penchés sur l’étude de celles-ci dans les banlieues, ces dernières ayant longtemps représenté l’idéal américain de la prospérité et de la réussite sociale des travailleurs (Evenden et Walker, 1993). En Amérique du Nord, le centre-ville a longtemps incarné, et incarne toujours pour certains, la promiscuité, l’hétérogénéité socioéconomique et l’insécurité, alors que la banlieue est associée à une vie paisible, à la tranquillité et à la sécurité. Cela dit, certains arrondissements de Longueuil présentent désormais des caractéristiques socioéconomiques (densité, pauvreté, proportion plus élevée de personnes âgées et d’immigrants) similaires à celles que l’on retrouve dans un centre-ville (Collin et Poitras, 2002).

Influence du genre et de l’âge

Selon la théorie de la vulnérabilité, deux groupes de personnes ressentent plus que d’autres un sentiment d’insécurité : les femmes et les personnes âgées. Plusieurs auteurs se sont intéressés au sentiment de sécurité sous l’angle du genre. Ainsi, dès les années 1970, les féministes et les groupes de femmes se sont intéressés aux questions de sécurité et de sentiment de sécurité chez les femmes en milieu urbain (Waller, 1981). Plusieurs auteurs contemporains (Manchanda, 2001; Mouzos et Makkai, 2004) affirment qu’on ne comprend toujours pas l’étendue du problème de la violence chez les femmes et que l’opinion de celles-ci sur ces questions n’est que rarement exprimée.

Cela dit, plusieurs auteurs s’entendent pour affirmer que les femmes craignent plus le crime que les hommes (Stanko, 1990). En particulier, être l’objet d’un acte criminel est pour les femmes une expérience traumatisante entraînant des conséquences psychologiques et parfois une transformation de leur mode de vie. Baril décrit l’expérience en ces termes :

[…] être victime, c’est constater une perte de pouvoir sur la vie, c’est réaliser sa vulnérabilité, sa mortalité, perdre ses défenses contre l’angoisse de la mort […]. C’est vivre un sentiment de culpabilité ou de honte aboutissant très souvent à l’isolement et au repli sur soi. […] Nombreuses sont les victimes qui vivent à l’intérieur d’une prison spatiale ou mentale suite à une agression, prison dont personne ne peut les libérer.

Baril, 1984, cité par Cousineau, 1994, p. 77

Ces conséquences expliquent la peur du crime, en particulier lorsqu’il est plus répandu, comme c’est le cas dans certains milieux urbains. Baril (1983) a réalisé des entrevues approfondies avec les victimes de crimes. Ces travaux mesurent l’ampleur des conséquences psychologiques et physiques des crimes. Selon l’auteure, les victimes peuvent craindre des espaces ouverts ou des ascenseurs, des lieux publics ou des rues désertes, des inconnus, des hommes, des expériences nouvelles. Baril rapporte les problèmes d’une victime qui s’est terrée chez elle pendant plusieurs mois :

J’ai vécu comme une bête en cage durant deux ans. Après être sorti de l’hôpital, j’ai pris un autre logement et je suis resté caché là sans parler à personne. J’avais peur de tout. Je ne suis pas retourné travailler, je ne sortais jamais. À part l’épicerie, je n’allais nulle part et ne voyais personne.

Baril, 1983, p. 40

Ferraro (1995) note que notre compréhension de la crainte des femmes envers les crimes est limitée, et ajoute que, pour ces dernières, la crainte des crimes serait en grande partie liée au viol.

D’autres auteurs se sont penchés sur la sécurité sous l’angle de l’âge (James, Graycar et Mayhew, 2003). Ils ont montré par exemple que les personnes âgées sont vulnérables à certains types de délits (fraudes à la consommation, abus financiers et vols d’identité) mais sont moins susceptibles que les personnes d’autres groupes d’âge d’être victimes de crimes avec violence (Turcotte et Schellenberg, 2006).

Mentionnons finalement que peu d’auteurs se sont intéressés au sentiment de sécurité chez les résidents des HLM (Renzetti et Maier, 2002), en particulier les personnes âgées. C’est cette lacune que notre article vise à combler.

Méthodologie

Sur le plan méthodologique, des différences apparaissent également dans la mesure des sentiments d’insécurité. Certains auteurs soutiennent que l’évaluation des sentiments d’insécurité doit faire explicitement référence au crime. Pour ceux-ci, il est donc impératif de mesurer un sentiment précis, la peur du crime (fear of crime), plutôt qu’une anxiété généralisée :

[…] il importe de faire explicitement référence au crime et de distinguer différents types spécifiques de crime. À leur [Ferraro et LaGrange (1987); Ferraro (1995); Hale (1996)] avis, il faut éviter une référence générale, vague ou plus abstraite au « crime ». Le « crime » et la « criminalité » font en effet référence à un vaste éventail d’activités : violence personnelle, criminalité liée à la propriété, criminalité organisée…

Elchardus, De Groof et Smits, 2003, p. 9

A contrario, d’autres auteurs soulignent l’importance de distinguer la peur du crime de l’acte criminel :

Ils [Lupton et Tulloch (1999)] craignent en premier lieu qu’on introduise ainsi une distorsion rationaliste, autrement dit qu’on s’attende à ce que les gens, d’une manière ou d’une autre, rendent leur peur proportionnelle à leur risque. La peur des femmes et des personnes âgées apparaît alors irrationnelle puisque des niveaux souvent plus élevés de peur et de sentiments d’insécurité sont enregistrés dans ces groupes de population, alors qu’ils courent un risque moins élevé de victimation. Deuxièmement, ils estiment que la peur peut avoir différentes causes et qu’elle peut être projetée par les gens sur la criminalité.

Elchardus, De Groof et Smits, 2003, p. 9

Dans le cadre de la présente étude, nous avons fait explicitement référence aux différentes formes de criminalité pour évaluer le sentiment d’insécurité. Dans cette optique, des invitations à participer à notre étude ont été transmises à tous les résidents des 32 HLM réservées aux personnes âgées sur le territoire desservi par l’OMHL. Parmi ceux-ci, 380 personnes, soit environ 23 % de la population sondée, ont accepté de répondre à notre questionnaire. Celui-ci a été administré par le biais d’entrevues en personne à l’occasion de l’une ou l’autre des deux visites effectuées par les enquêteurs à chacune des 32 HLM. Cette façon de procéder explique l’excellent taux de participation. Chacun des participants a signé un formulaire de consentement.

Notre questionnaire a été élaboré en collaboration avec la direction de l’OMHL et son élaboration a débuté avec une séance de remue-méninges avec chacun des deux groupes d’étudiants du cours EUT3018 (Méthodes d’interprétation des données en recherche urbaine) à l’hiver 2010. Nous remercions ici ces étudiants pour leur précieuse collaboration à toutes les étapes de la recherche. Deux prétests ont été effectués pour s’assurer d’une interprétation adéquate et uniforme des questions par les participants à l’étude. Le questionnaire définitif compte 26 questions, incluant celles destinées à classifier les répondants, et il a été traduit en anglais.

Analyse des résultats

Nous souhaitons rappeler que notre étude porte sur les personnes âgées vivant dans une HLM sur le territoire desservi par OMHL. Dans l’analyse des résultats et la conclusion, pour éviter d’alourdir le texte, nous utilisons des termes, tels « personnes » et « résidents », sans préciser à chaque fois que ces individus sont âgés ou qu’ils habitent dans une HLM de l’agglomération de Longueuil.

Profil des répondants

L’âge des participants à notre étude varie de 50[1] à 96 ans, la moyenne d’âge s’établissant à 71,6 ans, la médiane à 71 ans et le mode à 72 ans. Une majorité d’entre eux (88,6 %) habitent seuls. Certains éprouvent des difficultés de locomotion : 18,8 % utilisent une canne, 9,7 % une marchette, 2,8 % un fauteuil roulant non motorisé et 3,8 % un fauteuil roulant motorisé.

La majorité des participants est de sexe féminin (85,4 %) : à l’image de la plupart des HLM au Québec, il existe une forte présence féminine dans les HLM de l’agglomération de Longueuil. La forte féminisation de ce type de logements trouve son explication dans les critères d’attribution des logements sociaux, qui priorisent les personnes à faible revenu. Les femmes étant généralement davantage sujettes au dénuement que les hommes, ceci explique qu’elles se retrouvent en nombre élevé en logement social.

Sentiment de sécurité en fonction du territoire

L’agglomération de Longueuil est une banlieue située au sud de Montréal qui compte sept subdivisions administratives : les arrondissements de Greenfield Park, de Saint-Hubert, de Saint-Lambert et du Vieux-Longueuil et les municipalités de Boucherville, de Brossard et de Saint-Bruno-de-Montarville. D’après le recensement de 2001 (Institut de la statistique du Québec, 2001), le revenu moyen dans ces différentes subdivisions est le suivant (en ordre croissant) : Vieux-Longueuil (48 254 $), Greenfield Park (52 427 $), Saint-Hubert (56 517 $), Brossard (67 574 $), Saint-Lambert (81 516 $), Boucherville (82 801 $) et Saint-Bruno-de-Montarville (84 502 $).

La comparaison du revenu moyen avec la situation dans les agglomérations de Montréal (33 920 $) et de Laval (36 117 $) pour la même période de recensement révèle l’existence de différences importantes. Sur la base de ces données, il est possible d’affirmer que les HLM de l’agglomération de Longueuil sont situées sur des territoires économiquement plus favorisés que ceux des deux plus grandes agglomérations avoisinantes. En vertu des études présentées dans notre cadre théorique, il serait donc logique que la vaste majorité des résidents de ces HLM se sentent en sécurité dans leur milieu. Voyons ce qu’il en est.

Notre enquête révèle des résultats nuancés. En effet, loin de former une majorité écrasante, seulement 63,3 % des personnes interrogées se sentent parfaitement en sécurité dans leur immeuble et 56,5 % dans leur quartier. Un nombre appréciable de participants (29,9 %) se sentent plus ou moins en sécurité dans leur immeuble et 6,7 % ne s’y sentent pas du tout en sécurité, ce qui, combiné, donne 36,6 %. Le sentiment d’insécurité est encore plus fort par rapport au quartier, puisque 43,5 % des répondants ne s’y sentent pas du tout en sécurité et aucun ne s’y sent plus ou moins en sécurité. Ces chiffres globaux cachent une autre réalité : des analyses croisées révèlent que le sentiment de sécurité, que ce soit dans l’immeuble ou le quartier, varie considérablement en fonction du territoire (subdivision administrative).

Ainsi, dans les quatre municipalités de l’agglomération et dans l’un des trois arrondissements, le pourcentage de participants se sentant parfaitement en sécurité dans leur immeuble est sensiblement, parfois largement, supérieur à la moyenne générale : Brossard avec 94,7 %, Boucherville avec 91,7 %, Saint-Bruno-de-Montarville avec 70,0 %, Saint-Hubert avec 69,1 % et Saint-Lambert avec 68,4 %. Inversement, dans deux des trois arrondissements, le pourcentage de répondants se sentant plus ou moins ou pas du tout en sécurité dans leur immeuble est sensiblement plus élevé que la moyenne générale : Greenfield Park avec 47,2 % et Vieux-Longueuil avec 42,6 %. Ces différences sont statistiquement significatives à un niveau de confiance supérieur à 95 % (p = 0,037).

Par ailleurs, dans trois des municipalités de l’agglomération, le pourcentage de participants se sentant parfaitement en sécurité dans leur quartier est largement supérieur à la moyenne générale : Saint-Bruno-de-Montarville avec 100,0 %, Saint-Lambert avec 66,7 % et Brossard avec 65,0 %. Inversement, dans deux des trois arrondissements, le pourcentage de répondants ne se sentant pas du tout en sécurité dans leur quartier est manifestement plus élevé que la moyenne générale : Greenfield Park avec 51,4 % et Vieux-Longueuil avec 48,2 %. Ces différences sont statistiquement significatives à un niveau de confiance supérieur à 99 % (p = 0,005).

Dans ces deux arrondissements, Greenfield Park et Vieux-Longueuil, quelque 50 % des répondants ressentent un sentiment d’insécurité, tant dans leur immeuble que dans leur quartier. Voyons quels sont les facteurs qui pourraient influencer leur sentiment de sécurité.

Dans le questionnaire, les participants à l’enquête étaient invités à identifier quels étaient les problèmes liés à la sécurité dans leur immeuble et leur quartier. Les choix de réponses étaient les suivants : le vol, le vandalisme, la vente de drogue, l’intimidation, l’agression verbale et l’agression physique. Pour l’immeuble, des analyses révèlent l’existence d’une corrélation inverse d’effet moyen entre le sentiment de sécurité et quatre de ces facteurs, soit le vandalisme (r = -270), l’agression verbale (r = -261), la vente de drogue (r = -246) et, dans une moindre mesure, le vol (r = -216)[2]. Pour le quartier, des analyses révèlent l’existence d’une corrélation inverse d’effet moyen entre le sentiment de sécurité et trois de ces facteurs, soit le vandalisme (r = -372), le vol (r = -310) et, dans une moindre mesure, la vente de drogue (r = -204). Toutes ces corrélations sont statistiquement significatives à un niveau de confiance supérieur à 99 % (p = 0,01).

Voyons maintenant si ces problèmes sont plus fréquents dans les deux arrondissements où le sentiment d’insécurité est le plus fort, soit Greenfield Park et Vieux-Longueuil. Pour trois des facteurs mentionnés ci-dessus, soit le vandalisme dans l’immeuble, la vente de drogue dans l’immeuble et la vente de drogue dans le quartier, des analyses croisées révèlent que dans les arrondissements du Vieux-Longueuil et de Greenfield Park un pourcentage de répondants beaucoup plus élevé que dans les autres subdivisions administratives de Longueuil fait état de ces problèmes. Le tableau 1 révèle par exemple que 25,7 % des répondants du Vieux-Longueuil mentionnent le vandalisme dans l’immeuble, alors que ce pourcentage est nul à Brossard et Saint-Lambert, et quatre fois moins élevé (6,1 %) à Saint-Hubert. Ou encore, que 16,2 % des répondants de Greenfield Park mentionnent la vente de drogue dans l’immeuble, alors que ce pourcentage est nul à Saint-Hubert, Brossard et Saint-Lambert, et trois fois moins élevé (5,3 %) à Saint-Bruno-de-Montarville. Ou, enfin, que 27,0 % des répondants de Greenfield Park mentionnent la vente de drogue dans le quartier, alors que ce pourcentage est nul à Brossard et plus de quatre fois moins élevé (6,3 %) à Saint-Bruno-de-Montarville. Le niveau de confiance associé aux différences observées est indiqué pour chacun des facteurs et il est dans tous les cas égal ou supérieur à 95 % (p ≤ 0,055).

Tableau 1

Pourcentage des répondants ayant mentionné un problème de sécurité en fonction des subdivisions administratives de Longueuil (2010)

Pourcentage des répondants ayant mentionné un problème de sécurité en fonction des subdivisions administratives de Longueuil (2010)

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Ces résultats établissent clairement un lien entre certains types de délits et l’augmentation d’un sentiment d’insécurité et ils montrent que, dans certains arrondissements de banlieue, on voit poindre, si l’on en croit les résidents, des problèmes de sécurité semblables à ceux constatés dans certains arrondissements de centre-ville.

Sentiment de sécurité en fonction du genre et de l’âge

Dans notre étude, le sentiment d’insécurité varie en fonction du genre. Le tableau 2 indique par exemple que 8,1 % des femmes mais aucun homme ne se sentent pas du tout en sécurité dans leur immeuble et qu’en outre 31,1 % des femmes et seulement 22,2 % des hommes se sentent plus ou moins en sécurité dans leur immeuble. Pour le quartier, les différences sont encore plus marquées, puisque 45,8 % des femmes et seulement 24,5 % des hommes ne s’y sentent pas du tout en sécurité. À l’inverse, environ trois hommes sur quatre se sentent parfaitement en sécurité dans le quartier et l’immeuble alors que seulement une femme sur deux se sent parfaitement en sécurité dans le quartier et un peu plus, soit six sur dix, dans l’immeuble. Le niveau de confiance associé aux différences observées est indiqué pour l’immeuble et le quartier et il est dans tous les cas égal ou supérieur à 95 % (p ≤ 0,022).

Tableau 2

Sentiment de sécurité en fonction du genre (2010)

Sentiment de sécurité en fonction du genre (2010)

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Le sentiment d’insécurité varie également en fonction de l’âge. Pour comprendre les différences liées à l’âge, nous avons réparti les participants à notre étude en quatre groupes distincts, soit la cinquantaine, la soixantaine, la septantaine et les personnes âgées de quatre-vingts ans et plus. Le tableau 3 fait état de différences quant au sentiment de sécurité dans l’immeuble, mais le sentiment d’insécurité ne croît pas systématiquement avec une augmentation de l’âge. Ainsi, le pourcentage de personnes ne se sentant pas du tout en sécurité dans leur immeuble est nul pour les personnes âgées de 80 ans et plus, et très faible (2,1 %) pour celles âgées de 50 à 59 ans; inversement, ce pourcentage est plus élevé chez celles âgées de 60 à 69 ans et de 70 à 79 ans, avec des taux respectifs de 9,9 % et 7,1 %. Quant au pourcentage de personnes se sentant plus ou moins en sécurité dans leur immeuble, il est sensiblement moins élevé (21,3 %) seulement pour les personnes âgées de 80 ans et plus et il monte à 26,7 % pour les personnes âgées de 60 à 69 ans, à 34,9 % pour celles âgées de 70 à 79 ans et à 35,4 % pour celles âgées de 50 à 59 ans. Le pourcentage le plus élevé des personnes se sentant parfaitement en sécurité dans leur immeuble concerne donc les personnes âgées de 80 ans et plus (78,7 %) et il tourne autour de 60 % pour les trois autres groupes d’âge.

Tableau 3

Sentiment de sécurité en fonction de l’âge (2010)

Sentiment de sécurité en fonction de l’âge (2010)

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L’utilisation de ces catégories d’âge ne révèlent aucune différence significative en ce qui concerne le sentiment de sécurité dans le quartier. Ce constat – et les résultats de la première analyse – nous ont amené à répartir les répondants en deux groupes distincts, celui des 50 à 79 ans et celui des 80 ans et plus. Cette nouvelle classification révèle un écart considérable entre les deux groupes. En effet, alors qu’un peu plus des deux tiers (67,7 %) des personnes âgées de 80 ans et plus se sentent parfaitement en sécurité dans le quartier, seulement un peu plus de la moitié (54,2 %) de celles âgées de 50 à 79 ans éprouvent ce même niveau de sécurité et, de la même manière, à peine le tiers (32,3 %) des premières et presque la moitié (45,8 %) des secondes ne s’y sentent pas du tout en sécurité. Le niveau de confiance associé aux différences observées est indiqué pour l’immeuble et le quartier et il est dans tous les cas égal ou supérieur à 95 % (p ≤ 0,050). Pourquoi les personnes de 80 ans et plus sont-elles beaucoup plus nombreuses à se sentir en sécurité, dans l’immeuble comme dans le quartier, que celles âgées de 50 à 79 ans?

Pour comprendre ce phénomène, nous avons analysé les facteurs qui affectent le sentiment de sécurité en fonction des deux groupes d’âge mentionnés ci-dessus. Avant d’exposer les résultats de nos analyses, rappelons tout d’abord le fait que quatre facteurs affectent tout particulièrement le sentiment de sécurité dans l’immeuble, soit le vandalisme, l’agression verbale, la vente de drogue et le vol. Pour le quartier, ces facteurs sont les mêmes à l’exception de l’agression verbale. Le tableau 4 présente les différences observées entre les deux groupes d’âge mentionnés ci-dessus quant à la mention de ces facteurs.

Tableau 4

Problèmes de sécurité mentionnés en fonction de l’âge (2010)

Problèmes de sécurité mentionnés en fonction de l’âge (2010)

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Pour quatre des facteurs qui affectent le sentiment de sécurité, nos analyses révèlent l’existence de différences majeures entre les personnes âgées de 50 à 79 ans et celles âgées de 80 ans et plus : dans tous les cas, le pourcentage des premières est beaucoup plus élevé que celui des secondes. Ainsi, 10,9 % des personnes âgées de 50 à 79 ans mentionnent la vente de drogue dans l’immeuble, contre seulement 1,6 % de celles âgées de 80 ans et plus. On note aussi que 28,8 % des personnes les plus jeunes font état d’agression verbale dans l’immeuble contre seulement 11,1 % des plus âgées. L’écart est très important également en ce qui concerne le vandalisme dans le quartier, soit 24,8 % du premier groupe et 12,7 % du second groupe. Enfin, l’écart le plus important concerne la mention de vente de drogue dans le quartier : un pourcentage plus de dix fois plus élevé de personnes âgées de 50 à 79 ans fait état de ce problème (17,4 %) contre seulement 1,6 % dans le cas de celles âgées de 80 ans et plus. Le niveau de confiance associé aux différences observées est indiqué pour chacun des facteurs et il est dans tous les cas égal ou supérieur à 95 % (p ≤ 0,036).

Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, les personnes les plus âgées sont beaucoup moins nombreuses à faire état de problèmes liés à la sécurité et se sentent davantage en sécurité dans leur immeuble et dans le quartier. Nous allons maintenant discuter de ce qui pourrait expliquer ce phénomène.

Notre enquête auprès des personnes âgées vivant dans une HLM illustre admirablement bien le fait que les délits, méfaits et autres formes de violence affectent négativement le sentiment de sécurité des gens dans leur milieu de vie : de fait, seulement 63,3 % des personnes interrogées se sentent parfaitement en sécurité dans leur immeuble et 56,5 % dans leur quartier. La seconde statistique force tout particulièrement la réflexion sur le mythe de la banlieue paisible où toute la population se sent en sécurité : d’une part, l’agglomération de Longueuil dans son ensemble est perçue comme étant parfaitement sécuritaire par seulement une faible majorité de répondants et, d’autre part, certaines subdivisions administratives de cette banlieue sont perçues comme étant beaucoup moins sécuritaires. Par exemple, dans les arrondissements de Greenfield Park et du Vieux-Longueuil, environ 50 % des répondants ressentent un sentiment d’insécurité, tant dans leur immeuble que dans leur quartier.

Des études tendent à montrer que les problèmes vécus dans certains arrondissements centraux de grandes villes comme Montréal sont en passe de s’étendre à des municipalités et arrondissements de banlieue, comme l’ont souligné Collin et Poitras (2002); la banlieue est de plus en plus hétérogène. Nous avons vu que la théorie sur la vulnérabilité de certains groupes de personnes avance que les personnes âgées et les femmes présentent une fragilité physique ou morale face à d’éventuels crimes, ce qui engendre chez elles un sentiment d’insécurité plus élevé que chez d’autres catégories de personnes. Cette insécurité peut s’expliquer aussi bien dans le paradigme symbolique, à cause de l’exacerbation des sentiments d’insécurité par les médias (Sparks, Girling et Loader, 2001), que par une évaluation raisonnée d’un risque appréhendé (Rountree, 1998; Warr, 1987). Rappelons toutefois qu’un sentiment d’insécurité plus fort ne correspond pas nécessairement à un taux de criminalité élevé (Elchardus, De Groof et Smits, 2003) : chez certaines personnes, l’évaluation du risque n’est vraisemblablement pas totalement objective, et est probablement en partie attribuable à une médiatisation accrue des actes criminels.

Nos résultats montrent que Longueuil n’est pas une tranquille banlieue-dortoir; c’est un nouveau pôle urbain et les problèmes de violence et de criminalité qu’on y retrouve sont les mêmes que ceux des centres-villes. Les résultats de la recherches permettent d’affirmer que les immeubles de type HLM sont le théâtre de certaines formes de violence : les résidents signalent fréquemment des délits perpétrés contre eux, que ce soit par d’autres résidents ou par des personnes vivant à l’extérieur des immeubles. Ces plaintes sont le plus souvent liées à des agressions verbales, au vandalisme, à la vente de tabac, parfois de drogue, de temps à autre à une forme d’abus et quelquefois au vol. Il est difficile, voire impossible, d’avancer des statistiques quant à la fréquence de ces méfaits, mais, dans les dernières années, les cas de vandalisme ont régulièrement été rapportés au printemps et en été, ce qui semble indiquer que ce type de méfait est saisonnier. Nos observations nous permettent également de formuler l’hypothèse que ces délits sont liés à l’emplacement de l’HLM : les méfaits seraient plus fréquents aux abords de certains parcs et dans les secteurs où l’on retrouve un pourcentage plus élevé de jeunes délinquants.

En outre, les intervenants des HLM ne sont pas des agents de la paix : si un résident fait état d’une insécurité ou rapporte un méfait, ceux-ci ne peuvent que conseiller à la personne de faire appel aux forces de l’ordre. Qui plus est, le gestionnaire des immeubles, l’OMHL en l’occurrence, ne peut expulser un résident soupçonné d’avoir commis un délit à l’endroit d’un autre résident, ou même pour toute autre raison : son principal recours est de faire appel à la régie du logement. Pour assurer la sécurité et promouvoir un sentiment de sécurité dans les immeubles, l’OMHL appuie les locataires dans leurs démarches auprès de la police communautaire et organise avec cette dernière des conférences sur la sécurité.

Cependant, le contenu des présentations n’est pas parfaitement adapté à la réalité de certains résidents. Par exemple, en cas d’agression physique, les agents expliquent comment une personne peut se servir d’une clé ou encore comment utiliser un parfum pour se défendre face à un agresseur. Nous nous interrogeons sur la pertinence de ces techniques pour des personnes diminuées physiquement par la maladie, un handicap ou tout simplement l’âge. Rappelons que l’âge moyen de nos répondants est de 71,6 ans, l’âge médian de 71 ans et qu’un nombre appréciable de ceux-ci éprouve des difficultés de locomotion. Il est par conséquent difficile, voire impossible, pour ces personnes d’opposer une résistance physique à un agresseur, même en utilisant les techniques enseignées. Elles se sentent donc démunies face à de tels gestes et leur sentiment d’insécurité peut augmenter. Assurer la sécurité et promouvoir un sentiment de sécurité dans les HLM nécessite une concertation et une collaboration encore plus étroites entre le gestionnaire des immeubles et les forces de l’ordre.

Nous l’avons montré, le sentiment d’insécurité est plus fort chez les femmes que chez les hommes. La criminalité et la violence affectent différemment les femmes et les hommes (Warr, 1984; LaGrange et Ferraro, 1989) et celles-ci sont plus vulnérables au harcèlement et aux agressions, sexuelles ou autres. En outre, les crimes ou violences perpétrés contre les femmes ne sont pas toujours rapportés (Mouzos et Makkai, 2004). Considérons aussi le fait que les aînées sont plus susceptibles que les hommes d’être victimes de violence familiale (Turcotte et Schellenberg, 2006). Dans tous les cas, rapportés ou non, ces méfaits peuvent engendrer un sentiment permanent de crainte chez les femmes, en particulier les plus âgées. À cela, s’ajoute la grande médiatisation de certaines violences (Rea, 2007) susceptibles d’engendrer presque quotidiennement un sentiment de peur. Comme l’affirme Cousineau (1994), la peur du crime, la peur d’être agressé ou battu, ne se fonde pas nécessairement sur un vécu personnel.

Terminons avec le lien entre les questions de sécurité et l’âge. Nos analyses ont montré que les personnes de 80 ans et plus sont beaucoup moins nombreuses que celles âgées de 50 à 79 ans à faire état de problèmes liés à la sécurité et elles se sentent davantage en sécurité dans leur immeuble et dans le quartier. Puisque la vulnérabilité augmente avec l’âge, le constat inverse aurait été logique. Plusieurs explications sont sans doute possibles. Nous croyons qu’une statistique concernant l’âge des victimes de crimes avec violence pourrait être l’une d’elles. En effet, selon Turcotte et Schellenberg (2006), les aînés sont moins susceptibles que les personnes d’autres groupes d’âge d’être victimes de crimes avec violence et cette information, si elle est connue, pourrait peut-être augmenter le sentiment de sécurité. Le sentiment de peur du crime ou de vulnérabilité s’estompe-t-il au-delà d’un certain âge? Avec l’âge, il y a une diminution de l’espace de vie et de circulation et on se prépare à la mort. Comme nous l’avons montré, les phénomènes liés à la sécurité dans le milieu des HLM sont très complexes, en particulier en ce qui concerne les personnes âgées, et nous n’en avons qu’effleuré la surface. Des études qualitatives ciblées sur des aspects précis sont requises pour mieux comprendre la complexité de ce phénomène, et cette compréhension de la sécurité est indispensable car le maintien des personnes âgées à domicile est au coeur des politiques québécoises actuelles. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement devra fournir une meilleure qualité de vie aux aînés, le sentiment de sécurité des milieux de vie étant un préalable absolu à ce projet.

Pour assurer la sécurité et promouvoir un sentiment de sécurité chez les aînés, en particulier ceux habitant dans une HLM, une campagne de sensibilisation devrait être menée auprès de ces personnes, de leurs proches et des intervenants communautaires. Les messages devront insister particulièrement sur les questions visant la sécurité à domicile, par exemple l’installation de serrures sécuritaires, la fermeture des fenêtres et portes, en particulier celles des entrées communes, et la dénonciation des abus et méfaits aux autorités policières. On pourrait également mettre les personnes âgées en garde contre les dangers de garder chez elles ou de transporter avec elles des sommes d’argent importantes ou des objets de valeur. Dans cette perspective, les différents paliers de gouvernement devraient encourager les pratiques comme le dépôt direct des chèques de pension et de sécurité du revenu. Le milieu communautaire peut venir en appui aux gouvernements : pensons à la Fédération de l’âge d’or du Québec (FADOQ) qui est déjà active dans l’amélioration de la qualité de vie des aînés au Québec.

Il conviendrait également de modifier l’aménagement de certaines HLM de façon à accroître le sentiment de sécurité, en éclairant adéquatement les accès et les alentours par exemple. Enfin, il faudrait briser l’isolement de certaines personnes aînées. L’appartenance à des groupes communautaires pourrait probablement contribuer à l’atteinte de cet objectif et, à ce titre, les différents paliers de gouvernement devraient promouvoir la création de tels groupes et en assurer le financement.

Bien entendu, toutes les solutions que nous proposons nécessitent l’injection de fonds publics. Nous sommes conscients du fait que le contexte économique actuel se prête mieux à des coupes budgétaires qu’à des investissements. Ce constat nous amène à poser une première question : existe-t-il une réelle volonté politique d’améliorer la qualité de vie des aînés habitant dans une HLM? Si la réponse à cette première question s’avère négative, en voici une seconde non moins pertinente : avons-nous les moyens de ne pas intervenir dans ce dossier, vu l’importance des coûts sociaux associés aux problèmes dont nous avons fait état dans cet article?