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La grande grève étudiante de 2012, la plus longue de l’histoire du Québec et celle qui aura déclenché le plus de passions, a déjà engendré une floraison de publications[1]. Toutes ont, sans abolir leur réflexion critique, pris fait et cause pour les « carrés rouges ». Le livre de Marc Simard en prend nettement le contre-pied et réactive un certain nombre d’arguments qui ont rempli les colonnes de plusieurs journaux au cours du « printemps érable ». L’auteur ne s’en cache d’ailleurs pas et annonce dès l’introduction qu’il a été impliqué dans le conflit comme « citoyen, analyste et acteur politique ». L’enjeu de ce livre n’est pas uniquement de nature idéologique. Il s’agit aussi pour l’auteur de proposer un outil de référence destiné, dit-il, à « nourrir les analystes ». De fait, le livre retrace non seulement l’histoire du mouvement étudiant au Québec, mais aussi, à gros traits, l’histoire de la province, voire celle des grands événements internationaux au cours du dernier demi-siècle. On y retrouve la première grève en 1958, qui a généré la tentative, trois mois durant, des « Trois Braves » pour remettre au premier ministre un mémoire sur l’accessibilité aux études universitaires, l’action de l’Union générale des étudiants du Québec, la mobilisation de 1968 qui produit le gel des frais de scolarité jusqu’en 1990, celle de 1988 pour réclamer une amélioration du régime des prêts et bourses, la grève de 2005 puis celle de 2012, jusqu’au Sommet sur l’éducation du début 2013, avec une étude orientée mais assez complète, chaque fois, des enjeux et des organisations impliquées. L’ouvrage est par ailleurs solidement documenté et agrémenté de plusieurs tableaux et graphiques utiles (par exemple, sur le nombre de prêts et bourses depuis 1940, sur les différences de stratégies entre l’ANÉÉQ, la FEUQ et la FECQ actuelles, sur les structures de l’ASSÉ, etc.). On y trouvera donc un complément intéressant aux livres de Pierre Bélanger (1984) et de Benoît Lacoursière (2007). Le lecteur se livrera toutefois à cette lecture avec précaution, puisqu’il s’agit là d’une prise de position entièrement contre le mouvement étudiant, cela selon trois thèmes de prédilection : d’abord, les seules justifications des mobilisations étudiantes seraient d’ordre financier (les frais de scolarité ou l’aide financière[2]), ce qui montrerait le caractère corporatiste de ces luttes et leur désintérêt pour tout autre chantier de réflexion; ensuite, il y aurait une fracture toujours béante entre une petite minorité de leaders ultra-mobilisés et portés par une vision fallacieusement syndicaliste du mouvement et une grande majorité d’étudiants passifs et intéressés par leur seul bien-être; enfin, le combat pour le gel des frais de scolarité ou la gratuité serait dangereux et rétrograde parce que, entre autres arguments avancés par Simard, ces mesures se révéleraient des facteurs d’injustice sociale (à l’inverse de l’impôt progressif sur le revenu), gaspilleraient des ressources précieuses et feraient payer les contribuables actuels plutôt que les futurs contribuables. Pour soutenir son propos, l’auteur égrène en notes de bas de page les références aux articles produits pendant la grève par Lysiane Gagnon, Alain Dubuc, André Pratte ou encore Francis Vailles dans La Presse. Ici n’est pas le lieu de contredire cette argumentation de la « juste part » baignée de méritocratie libérale[3]. Qu’il nous soit seulement permis d’indiquer, en premier lieu, qu’opposer quelques leaders et une masse indifférenciée dans les établissements d’enseignement supérieur est faire preuve d’un grand mépris à l’égard des milliers d’étudiants qui ont, semaine après semaine, participé à de longs débats et voté sur le maintien ou l’arrêt des grèves successives et, en second lieu, que s’il est vrai que les mobilisations se produisent ordinairement autour d’une question de type économique ou relative à l’accessibilité[4], en revanche il est faux de dire que ces mobilisations n’ont pas engendré de réflexions et d’actions à l’égard de la pédagogie, de la démocratie universitaire ou du rôle de l’enseignement supérieur, entre autres. Le printemps 2012 en est l’incarnation même, avec ses séminaires donnés en pleine rue, ses expressions artistiques de tous ordres et ses innombrables réflexions publiées sur Internet[5]. Si l’étude de l’histoire du mouvement étudiant québécois, comme de celle de tout mouvement social, est importante, c’est qu’elle ne peut se penser indépendamment des réflexions plus larges sur notre société et ses injustices, dont elle a été le terreau.