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Ce tome 4 de la correspondance du chanoine Lionel Groulx comprend deux introductions, l’une écrite par G. Huot (p. 25-45) et l’autre par P. Trépanier (p. 47-113), avec une intéressante typologie des combinatoires entre nationalisme, traditionalisme, libéralisme et socialisme; une chronologie de la période (p. 115-130); les lettres de Groulx, des numéros 1481 à 1595 (p. 135-358); des annexes de lettres des périodes précédentes récemment trouvées ou attestées (p. 361-392); des notices biographiques (p. 393-461); une liste chronologique des 112 lettres expédiées et des 587 lettres reçues de Groulx pour la période (p. 463-483); une bibliographie (p. 485-692); un index onomastique et thématique (p. 695-744) et une table des 26 illustrations (p. 745). Soit 223 pages de correspondance contre 522 pages d’appareil critique. Dans une perspective de biographie intellectuelle, on regrettera avec Trépanier que le manque d’espace ait obligé à interrompre l’analyse de la bibliothèque et des lectures de Groulx.

Groulx vient de quitter le Séminaire de Valleyfield où il avait commencé sa carrière et dont il doit s’éloigner après un procès canonique contre Mgr Émard, procès gagné par le jeune abbé. Il crée alors une chaire d’histoire du Canada à l’Université Laval à Montréal (qui deviendra une université autonome en 1920). Trépanier a raison de parler de conférencier plutôt que de professeur ou d’universitaire. Ses conférences sur la Conquête, les luttes constitutionnelles, la Confédération et les « événements » de 1837 et de 1838 ne laissent pas indifférents en temps de guerre et d’impérialisme. Mgr Bruchési est tenté de censurer le jeune conférencier (annexe XII et lettre 1490) en priant l’ami de Groulx, l’abbé Émile Chartier, secrétaire de l’Université, de faire le travail de plume. Ce sera la fin d’une amitié, après bien des égratignures épistolaires (p. 74-77 et lettre 1549). Loin d’être ennuyeux, Groulx aura ses propres égratignures de plume à l’égard de l’abbé D’Amours de L’Action catholique de Québec et de nombreux « québécquois » bons ententistes, de Mgr Émard ou de l’exotiste Victor Barbeau, virulent critique du régionalisme.

L’introduction fait bien voir la portée de l’entrée en guerre en 1917, au moment de la crise scolaire en Ontario et au moment où Groulx est déjà en pratique directeur de L’Action française lancée la même année. La table est mise pour le tome 5 (1921-1928) de la correspondance car on voit bien comment le contexte de 1917 mène à la grande enquête de L’Action française de 1922 sur « Notre avenir politique » et l’indépendantisme.

L’intérêt majeur de ce tome réside dans le choix fait par Trépanier, historien affirmé des droites intellectuelles au Québec (Cahiers des Dix, 48, 1993), de situer Groulx dans ce qu’il a appelé le traditionalisme, façon de caractériser autre chose que le traditionnel. On peut ne pas être d’accord avec le contenu de ce concept, mais il a l’avantage de bien caractériser la droite à laquelle appartiennent Groulx et ses disciples. Ce traditionalisme intellectuel préconise « une modernisation sans modernité philosophique » (p. 60). Cette vision du monde est historique, traditionaliste, communautaire « et non pas contractuelle, libérale et individualiste; en somme, elle est antimoderne » tout en entendant « transformer les nouveautés en fidélités » (p. 65). Elle repose sur « l’intégrité » catholique et française – dans l’ordre – et fonde le nationalisme de Groulx auquel il faut ajouter, conséquence de l’intégrité catholique, le providentialisme d’un Dieu qui « veut » quelque chose pour le Canada français.

Le refus chez Groulx de la « modernité philosophique » – la Renaissance, les Lumières et le rationalisme cartésien – doit sans doute à « l’humanisme intégral » de Maritain et c’est ici qu’on déplore la remise ultérieure d’une analyse des lectures de l’abbé. Car il y a évidemment plus que Maritain. Même chose pour la place que Trépanier fait à Groulx dans la « décolonisation » jusqu’ici conçue à la manière de Parti pris, alors qu’on oublie la part faite à la dénonciation de droite du colonialisme à l’Alliance laurentienne de Raymond Barbeau et dans les écrits d’un André D’Allemagne ou d’un Marcel Chaput.

Le prochain tome mettrait en scène la vision nationaliste et indépendantiste de Groulx à compter de l’enquête de 1922. Trame délicate de la pensée de Groulx qui avance, piétine, recule selon les moments et les pressions d’autres indépendantistes, y compris ceux de La Nation des années 1930 et ceux du RIN vers la fin de sa vie. « État français » qui n’a rien d’indépendantiste, « autonomisme » qui en refroidira certains dans les années 1930 ou qui alimentera Maurice Duplessis après 1944, « indépendance si nécessaire ». Si. Toujours si, car Groulx ne sera pas de la mouvance intellectuelle du RIN et des indépendantistes laïques et socialistes. La Providence peut-elle aller en ce sens, l’intégrité catholique peut-elle survivre à l’indépendantisme « moderne »?

Mais faute de financement pour la recherche et en raison d’une expérience d’édition à perte des trois premiers tomes, il n’y aura ni tome 5 ni tome 10. Ceux qui voudront consulter la correspondance de Groulx ultérieure à 1920 le feront en consultant les manuscrits dans le fonds Groulx de BAnQ. La Fondation Lionel-Groulx, qui a financé le tome 4, a eu l’heureuse idée de le mettre en ligne, ainsi que les trois tomes précédents, sur son portail et sur celui de BAnQ, qui accueille également 90 autres publications de Groulx. L’initiative est de la plus grande pertinence.

Il faut s’arrêter un moment pour saluer celles et ceux qui ont porté ce projet et, en particulier, Pierre Trépanier, dont on espère une biographie intellectuelle de Groulx.