In memoriam

Hervé Carrier, 1921-2014[Notice]

  • Jean-Philippe Warren

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La sociologie québécoise a parfois voulu hausser sa réputation dans les cercles académiques en rappelant le rayonnement international de quelques-uns de ses pionniers. Il est pourtant difficile de reconnaître au sein des sociologues de l’après-guerre habituellement cités (Jean-Charles Falardeau, Fernand Dumont, Guy Rocher, Marcel Rioux) une seule figure dont la réputation ait réellement débordé de manière significative les frontières québécoises, une remarque qui s’applique également à Léon Gérin et ses fugitives publications françaises. En fait, s’il y a un nom qui se distingue du lot, c’est celui d’un chercheur dont à peu près personne n’a entendu parler dans les cours de sociologie du Québec. Décédé dernièrement après une longue maladie, Hervé Carrier (1921-2014) fut, je n’hésite pas à l’écrire, notre premier « vrai » sociologue québécois de réputation internationale. Il le fut à plusieurs titres : par sa formation, par son enseignement, par ses collaborations, par sa présence lors de congrès et colloques et par ses travaux. Il a participé à un bouillonnement intellectuel qui lui a permis d’acquérir, par son inscription dans le champ de la sociologie catholique, une dimension naturellement mondiale. Carrier et son collègue jésuite Émile Pin l’ont remarqué eux-mêmes en 1965 : Carrier a d’abord suivi une formation à la Catholic University of America en 1951 et 1952, au cours de laquelle il rédige une étude remarquable sur Léon Gérin (Carrier, 1960). Ordonné jésuite, il s’envole ensuite pour la France, de 1957 à 1959, afin d’y suivre des séminaires sous la supervision de Jean Stoetzel, spécialiste de sociologie des sondages et de psychologie sociale, qui a occupé, de 1955 à 1978, la première chaire de sociologie à la Sorbonne. Ses travaux doctoraux prolongent les études de Le Bras, à qui Carrier rend régulièrement visite durant son séjour dans la capitale française. Sa thèse de doctorat, publiée sous le titre Psycho-sociologie de l’appartenance religieuse, reprend très librement les enseignements de son directeur et de Le Bras en mettant au service d’une philosophie catholique les techniques dérivées des sciences sociales de tradition américaine (Carrier, 1960). Cet ouvrage, salué comme « un événement pour la sociologie religieuse », inspira la préparation de la Conférence internationale de sociologie religieuse qui se tint à Königstein, en Allemagne, en 1962. Presque immédiatement traduit en trois langues (italien, espagnol et anglais), imposé comme texte d’enseignement dans plusieurs cours universitaires, ce livre sur la psycho-sociologie de l’appartenance religieuse a même connu une réédition en italien près de trente ans plus tard, en 1988. D’autres livres importants et influents ont suivi, qui ne firent qu’accroître la réputation du sociologue québécois. Contemporain de Vatican II, Carrier est alors emporté par le vent d’optimisme qui souffle sur l’Église, comme il l’a relaté lui-même en 2003 : Pendant cette décennie décisive, ses travaux participent tous, de près ou de loin, à l’effort d’aggiornamento de l’Église catholique. « C’était l’époque, écrivait Carrier, où l’Église entrait en Concile et allait connaître les bouleversements que l’on sait. L’analyse psycho-sociologique des attitudes du croyant et l’étude du sentiment religieux dans ce nouveau contexte pouvait aider à saisir sur le vif ce qui se passe à l’intime de la communauté des fidèles (Carrier, 1974, p. 290). » Fort de son premier travail sur la psycho-sociologie de l’appartenance religieuse, Carrier se voit offrir un poste de professeur de sociologie à l’Université Grégorienne de Rome, en 1959, à un moment où les jésuites et les universités catholiques commencent à s’ouvrir à l’enseignement des sciences sociales. Il est par la suite nommé secrétaire de l’Institut de sciences sociales, qui devient Faculté en 1972. C’est dans ce milieu académique …

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