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Osvaldo Gil, alias Henrique, de Carvalho Urbano, né à Fermentelos (Portugal) le 27 septembre 1938, est décédé à Lima (Pérou) le 24 octobre 2014. À sa demande, ses parents l’avaient confié au collège classique tout nouvellement fondé par les Dominicains québécois, qui avaient été chargés en 1948 de réimplanter leur Ordre au Portugal, d’où ils avaient été expulsés au milieu du 19e siècle. Il a ensuite rejoint la communauté, qui lui a décerné le doctorat de théologie en 1963 puis l’a inscrit aux études à son Institut de théologie pastorale de Montréal en 1966. Tout naturellement, ils l’ont dirigé l’année suivante vers le Département de sociologie à l’Université Laval, où il a obtenu un diplôme de maîtrise en 1970 et un doctorat en 1979.

D’abord professeur assistant puis substitut de 1976 à 1978, Henrique Urbano est entré à temps complet au Département de sociologie de l’Université Laval le 1er juin 1978 et il y a enseigné jusqu’au 30 mai 1999, date de sa retraite. Il a alors poursuivi à plein temps et jusqu’à la fin la carrière parallèle qu’il menait au Pérou (durant le trimestre d’été ou ses années sabbatiques) depuis les années 1970, désormais au titre de responsable des études doctorales sur le tourisme et le patrimoine à l’Université San Martin (Lima), ainsi que titulaire d’une chaire de l’Unesco dans le domaine.

Comme plusieurs autres professeurs de l’époque, Urbano a donné un grand nombre de cours différents pour répondre aux exigences des programmes du Département de sociologie. La liste de ces cours mérite d’être rappelée car elle témoigne des compétences générales qui étaient alors exigées des professeurs et des sociologues de cette génération : Cours sur Lévi-Strauss, Sociologie de l’utopie, L’explication en sociologie, Langage de la sociologie, Cours sur les successeurs de Marx, Sociologie du développement, Sociologie de l’Amérique latine, Les concepts fondamentaux en science de la religion, Théorie sociologique, Sociologie de la connaissance, Identité et modes de production, Culture et développement, Sociologie des religions, Méthodes qualitatives, Séminaire de doctorat.

Tout en menant quelques recherches au Québec – entre autres sur l’idéal missionnaire, sur la religion populaire ou sur l’identité – Urbano a consacré l’essentiel de ses travaux savants à l’époque de la Conquête au Pérou. Intitulée Mythes et utopies, sa thèse de doctorat traite de la mythologie inca. Il a ensuite poursuivi divers travaux d’érudition sur les chroniqueurs de la Conquête et animait à la fin un groupe de recherche international sur l’extirpation des idolâtries.

D’abord imprégné de structuralisme dumézilien, Urbano a rédigé son mémoire de maîtrise dans cette perspective, à propos des fonctions sacerdotales dans les écrits bibliques. Il a tout aussi bien intériorisé la sociologie de la culture de Fernand Dumont, qu’il a pris soin de diffuser auprès de ses étudiants péruviens.

Henrique Urbano a été l’un des membres fondateur du Centro de estudios rurales andinos Bartolomé de Las Casas à Cusco (Pérou) dont il a été par la suite président. Il a reçu des subventions d’organismes canadiens, notamment Développement et Paix, le CRSH, l’ACDI et le SUCO pour financer les activités du centre. Il a dirigé pendant de nombreuses années la revue Allpanchis portant sur les questions sociologiques et anthropologiques andines et il a fondé la Revista Andina, considérée comme la meilleure revue d’études dans le domaine. Le professeur Urbano a été très actif dans la promotion des études latino-américaines à l’Université Laval et ailleurs, tant par la direction de nombreux mémoires de maîtrise ou de thèses de doctorat que par l’organisation de colloques au Canada et à l’étranger. Il a ainsi coordonné les échanges entre l’Université Laval et diverses institutions d’Amérique latine pendant plusieurs années.

Henrique Urbano laisse le souvenir d’un homme toujours souriant, à la personnalité captivante, arborant une attitude positive contagieuse et un sens de l’humour aiguisé. D’esprit imaginatif et quelque peu poétique, il a donné une oeuvre à la langue subtilement caustique, marquée par un oeil critique souvent cuisant. Toujours soucieux de rendre son savoir accessible à chacun, il a non seulement patronné un nombre considérable de disciples qui poursuivent aujourd’hui une carrière dans diverses universités, mais il a su aussi nourrir des amitiés profondes et généreuses comme en témoignent les nombreuses manifestations d’affection provenant de tous ses réseaux. Henrique Urbano a laissé une empreinte durable dans le coeur, l’esprit et la langue de ses complices et de sa descendance intellectuelle.