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Le titre suggère une ambition : positionner le Québec dans le mouvement international vers un développement durable. Toutefois, le contenu du livre, plus modeste, ne reflète pas le titre. Il s’agit plutôt des résultats d’une enquête auprès de 225 Québécois sur leurs « comportements verts » visant la protection de l’environnement. Tout au long de l’ouvrage, une confusion est entretenue autour du concept de développement durable (DD), qui y est réduit à sa seule dimension environnementale. Or, le DD, tel qu’il a été accepté par l’ensemble de la communauté internationale depuis le rapport Brundtland (1987), est beaucoup plus que la prise en compte de l’environnement dans les comportements et décisions. Il comprend trois dimensions reconnues inextricables : sociale, économique et environnementale.

Depuis 30 ans, le concept a évolué et s’est précisé. Chez plusieurs auteurs et organisations, deux nouvelles dimensions, celles de la culture et de la gouvernance, se sont imposées comme consubstantielles au DD. Or, à aucun moment, le premier chapitre – intitulé « L’économie durable », celle-ci étant présentée comme synonyme du DD – n’y fait allusion. De plus, l’historique se limite à quelques-uns des Sommets de la Terre et conférences internationales, événements médiatiques qui sont loin de rendre compte de l’ensemble de la genèse et de la construction des nombreux enjeux de ce paradigme. Les généralités y sont fort nombreuses, ce qui laisse le lecteur averti sur sa faim. Dans les chapitres 2 et 3, les auteurs réduisent le DD à une série de gestes citoyens qui s’inscriraient dans un mouvement de « retour à la terre » : « Il semble évident, si on se fie aux résultats assez mitigés en matière d’interventions concrètes de ces grandes conférences que l’essentiel des actions concrètes devra venir de la base, des citoyens » (p. 21).

Là encore c’est la confusion, car le DD n’est pas sous la responsabilité d’un seul type d’acteurs : c’est plutôt dans la coordination/concertation entre acteurs, tant privés que publics, que réside l’un de ses défis majeurs. Les organisations de petite comme de grande taille, locales comme internationales, ainsi que les gouvernements qui adoptent des lois et des stratégies écoresponsables, dont celui du Québec avec sa loi 118, s’avèrent tout aussi incontournables pour l’émergence d’un autre modèle de développement. Le chapitre 4, véritable apport original du livre, porte sur l’enquête par questionnaire auprès des ménages quant à leurs habitudes en matière de recyclage, d’utilisation de produits plus verts, de consommation d’énergie, de transport, etc. Il s’agit en réalité plutôt d’un sondage, du type de ceux fournis régulièrement par l’actualité. Le chapitre le plus intéressant offre une analyse du sens de l’impact économique de ces habitudes. Toutefois, cette analyse se limite à une catégorisation de l’impact (neutre, négatif ou positif) par thème environnemental, sans qu’il soit par ailleurs défini au départ. De là, les auteurs passent, avec peu d’explications méthodologiques, à des « études de cas » (dont l’usage est peu fréquent en sciences humaines) et en arrivent à un tableau de synthèse sur les emplois directs et indirects de ces cas (ou plutôt des secteurs d’interventions). Le dernier chapitre, avant la brève conclusion, reprend l’idée d’une empreinte écologique passant par la mesure des écogestes des répondants au questionnaire, pratique maintenant fort répandue. De même, leur « indice de durabilité » est introduit rapidement, en moins d’une page, et sans référence aux ouvrages sur le sujet. Tout cela devant permettre « à chacun de prendre des décisions éclairées ».

Enfin, le ton pamphlétaire et normatif des auteurs se marie mal avec la démarche d’enquête dite scientifique. Le concept même de développement durable est dénaturé, car il est réduit à l’économie durable, à des effets économiques nationaux qui découleraient de pratiques individuelles écoresponsables. Ont été éludés les principes et les enjeux du DD ainsi que ses caractéristiques, dont la complexité et l’interdépendance des dimensions et des échelles, de même que les actions de Québec (loi 118, Stratégie) pour l’atteindre, pour ne citer que quelques éléments de ce vaste paysage. Ce livre entretient donc l’ambiguïté à l’égard du paradigme social et scientifique du DD, ambiguïté mise plusieurs fois au banc des accusés par la communauté des chercheurs en sciences humaines.