Comptes rendus

Ivan Carel, Robert Comeau et Jean-Philippe Warren (dir.), Violences politiques. Europe et Amériques, 1960-1979, Montréal, Lux, 2013, 328 p.[Notice]

  • Jean Lamarre

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Après la répression des manifestations étudiantes au Québec en 2012 et alors qu’à Hong Kong la jeunesse qui manifeste pour jouir pleinement d’une vraie démocratie se frotte à la répression des autorités chinoises, il semble tout à fait à propos de revisiter certains épisodes violents qui ont marqué les décennies 1960 et 1970, ces « années de braise », et de s’interroger sur les mécanismes permettant de mieux comprendre « la rationalité de la violence politique ». C’est l’objectif premier que se sont donné les auteurs réunis ici sous la direction d’Ivan Carel, Robert Comeau et Jean-Philippe Warren. Il est pertinent de rappeler que ces années ont été marquées par de nombreuses manifestations de la jeunesse en Amérique et en Europe. Des jeunes, des étudiants insatisfaits, qui, devant leur incapacité à provoquer par la voie légale et démocratique les réformes sociales, politiques et économiques souhaitées et devant la répression des autorités à leur endroit, prennent graduellement conscience que seul le recours à la violence peut mener aux changements espérés. Divisé en quatre parties, le recueil traite d’abord du discours de légitimation de la violence, puis des contextes d’émergence de la violence et des pratiques de cette violence pour enfin aborder le thème de la mutation et de l’effritement de la légitimité. Une partie importante de l’ouvrage ‒ cela va de soi ‒ est consacrée à la crise d’Octobre 1970 au Québec, mais plusieurs auteurs abordent d’autres mouvements violents de contestation qui se sont développés aux États-Unis (Weather Underground et Black Panther Liberation Army), en Amérique latine, en Allemagne et en Irlande du Nord. Certains articles sont particulièrement percutants. Retenons la contribution du sociologue Guy Rocher, éclairante et riche en enseignement en ce qu’elle remet en perspective, avec comme toile de fond la crise d’Octobre au Québec, la dynamique interne qui mène à la violence et définit le concept de violence répressive de l’État. Il faut saluer aussi la contribution de Bernard Dagenais, professeur en communication à l’Université Laval, qui analyse la réponse de l’État à la violence et dissèque le discours étatique qui justifie son recours. Enfin, signalons l’article d’Isabelle Sommier, sociologue à la Sorbonne, qui analyse finement le processus de démobilisation qui touche la grande majorité des mouvements de jeunes et des mouvements étudiants à la fin des années 1970. Les différents auteurs traitent à divers niveaux de ce braquage opposant des individus frustrés et insatisfaits à l’égard d’un État qui refuse toute concession. Or, si violence il y a du côté des manifestants, l’État y a recours aussi, la justifiant par un discours qui discrédite toute action perçue et définie par l’État lui-même comme illégale et contraire à l’ordre public. Évidemment, aucun État ne consent à avouer que le recours à la violence politique n’est que la conséquence du blocage politique qu’il manifeste à l’égard des revendications et de sa propre incapacité à admettre les inégalités du système économique qu’il défend. Cet ouvrage, qui offre un regard croisé sur de nombreuses manifestations de violences politiques, permet de mieux comprendre non seulement le contexte social, politique et économique qui alimente la violence et le processus menant des groupes sociaux à avoir recours à la violence pour faire avancer leur cause, mais aussi, et surtout, le processus d’instrumentalisation de la violence par le pouvoir politique, qu’il soit d’ailleurs ou d’ici. La brillante conclusion rédigée par Robert Comeau permet d’apprécier l’éclairage original qu’offre ce recueil.