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En hommage à Claude Poirier, ce Festschrift est composé de dix-sept articles, d’une préface signée par Jean Pruvost et d’une introduction rédigée par les éditrices du volume, Annick Farina et Valeria Zotti. Les contributions – par des collègues et d’anciens étudiants, stagiaires ou collaborateurs de Claude Poirier – sont regroupées sous le thème de la variation lexicale. Ce choix est tout à fait approprié pour souligner l’apport exceptionnel de celui qui a été un « promoteur sans relâche de la connaissance de la variation linguistique francophone » (préface, p. 10). Et, ajouterions-nous, de la reconnaissance de cette variation. Comme on peut le lire dans l’article de Robert Vézina, qui présente les moments forts de la carrière de Claude Poirier, celui-ci s’est en effet toujours activement engagé à faire valoir la légitimité du français québécois comme celle des autres variétés de français, en plus d’avoir contribué à établir leur étude scientifique.

Le lecteur trouvera dans le collectif des contributions qui analysent le thème de la variation lexicale sous différents angles complémentaires et à partir de corpus variés. Plusieurs auteurs abordent des faits lexicaux propres à des aires précises de la francophonie (Brancaglion; Gauvin; Raschi) ou à des groupes sociaux donnés (Rézeau) de même que leur traitement lexicographique, incluant l’image que les dictionnaires projettent des communautés francophones sur le plan socioculturel (Farina; Molinari). D’autres s’intéressent à la tradition puriste qui a marqué l’imaginaire linguistique des francophones et qui a progressivement fait place à une tradition philologique plus descriptive (Aquino-Weber, Cotelli et Nissille; Saint-Yves). D’autres encore se concentrent sur la perception que les francophones ont de leur propre variété ou de celle des autres locuteurs du français (Plamondon; Poirier; Sheeren). S’ajoutent à cela plusieurs articles qui se penchent sur les difficultés auxquelles se heurtent les traducteurs lorsqu’ils sont confrontés à la traduction de diatopismes (c’est-à-dire des faits de langue propres à certaines aires de la francophonie), ce qui soulève également la question de la représentativité des ouvrages de référence disponibles dans la francophonie (Acerenza; Giaufret; Raus; Thibault; Zotti). Cette richesse thématique s’accompagne d’une richesse géographique visible dans l’ensemble du volume : les contributions ne portent pas seulement sur le Québec (ou le Canada), mais incluent aussi d’autres aires de la francophonie, notamment les francophonies européenne (Belgique, Suisse, France), antillaise et africaine (Afrique de l’Ouest, Maghreb) – c’est sans compter le fait que certains auteurs proposent un regard élargi sur des zones plus étendues, voire sur la francophonie dans son ensemble.

La diversité thématique et géographique qui caractérise ce volume illustre bien la richesse des recherches de Claude Poirier, qui n’ont pas seulement eu des retombées au Québec mais qui ont également inspiré des linguistes francophones à l’extérieur du Québec. Au fil de l’ouvrage, le lecteur a ainsi l’occasion de revisiter certaines de ses réalisations les plus marquantes. Plusieurs auteurs tirent profit, par exemple, de la Base de données lexicographiques panfrancophone réalisée avec le concours de Poirier et de son équipe du Trésor de la langue française au Québec. On notera aussi les nombreuses références au classement des variantes topolectales qu’il a proposé (Poirier, 1995) et qui a inspiré bon nombre de linguistes travaillant sur la variation géographique du français à travers l’espace francophone. Enfin, la perspective historique adoptée dans certains textes rappelle la contribution de Poirier à l’étude diachronique du français québécois et des conditions sociohistoriques de son développement. La participation de nombreux chercheurs italiens à ce volume confirme par ailleurs l’intérêt du milieu universitaire italien pour la langue et la culture québécoises, comme l’observe Poirier lui-même dans sa propre contribution (p. 35 et suiv.), tout en soulignant l’intérêt de ce genre de regards extérieurs : selon lui, en effet, les « perceptions d’Europe [francophone et non francophone] ont joué un rôle important dans l’acceptation et l’affirmation par les Québécois de leur identité » (p. 39).

Outre le rappel des principales réalisations de Poirier, ce collectif offre quelques nouvelles pistes dans le vaste champ de recherche portant sur la variation dans le domaine de la langue française. Je pense entre autres à l’intérêt de consulter de nouveaux corpus encore peu exploités (comme la bande dessinée ou la correspondance privée) dans l’étude des phénomènes de variation liés à l’oralité, ou encore la prise en compte de phénomènes de variation traditionnellement moins bien représentés dans les dictionnaires, comme la phraséologie. Les contributions qui relèvent les difficultés à traduire des romans qui affichent, par le choix des mots et par les thèmes abordés, une couleur linguistique locale sont particulièrement intéressantes, dans la mesure où elles montrent que l’étude de la variation, et tout particulièrement sa prise en compte dans les ouvrages de référence, peut être utile à des publics variés bien en dehors du milieu universitaire, ce qui devrait encourager tous les linguistes engagés dans la recherche sur la variation à poursuivre leur engagement.