Comptes rendus

Jean-Denis Gendron, La modernisation de l’accent québécois. De l’accent traditionnel au nouvel accent : 1841-1960. Esquisse historique. Contribution à l’histoire de la prononciation du français au Québec, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2014, 281 p., illustré. [Coll. « Langue française en Amérique du Nord ».][Notice]

  • Claude Poirier

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Cette étude s’inscrit au terme d’un parcours scientifique remarquable par sa cohérence et par la détermination de son auteur. Jean-Denis Gendron livre la troisième composante d’une trilogie dont la première pièce a été sa thèse de doctorat, soutenue à l’Université de Strasbourg en 1958 et publiée en 1966 (Tendances phonétiques du français parlé au Canada), et la seconde une étude sur l’origine des accents, parue en 2007 (D’où vient l’accent des Québécois? Et celui des Parisiens?). Parvenu à l’aube de ses 90 ans au moment où il soumet les résultats de sa recherche la plus récente, Jean-Denis Gendron fournit un exemple d’engagement scientifique soutenu et démontre qu’il est possible d’apporter une solide contribution à la recherche même à un âge avancé. Il faut souligner ici la constance de ce chercheur qui n’a pas perdu de vue son objectif en dépit des années et des diverses fonctions administratives, universitaires et publiques qu’il a exercées tout au long de sa carrière. Dans sa thèse, Gendron avait étudié les caractéristiques phonétiques de dix-sept Canadiens instruits, originaires de la région de Montréal et de la région de Québec et résidant en France, par comparaison avec la pratique de deux sujets parisiens. Il avait montré que la prononciation des Canadiens différait nettement de celle des Français, mais qu’elle n’était pas « non plus celle des milieux canadiens populaires, urbains ou ruraux » (Gendron, 1966, p. 160). Il notait le progrès accompli dans la recherche d’une prononciation canadienne soignée depuis le début du 20e siècle, mais déplorait tout de même que, sur beaucoup de points, elle restait « encore trop tributaire des habitudes phonétiques héritées du parler populaire » (ibid.). C’est cette première étude qui a fait naître chez lui un questionnement de nature historique. En premier lieu : comment expliquer la contradiction des jugements sur l’usage canadien entre les témoignages que portent les visiteurs européens sous le Régime français et ceux qu’ils formuleront au 19e siècle? De très favorables qu’ils étaient avant 1760, ils deviennent résolument critiques après 1800. En second lieu : quel était au juste l’accent traditionnel des Canadiens et quelle évolution a-t-il suivie pour aboutir au modèle de prononciation soignée qu’on observe chez des personnes instruites dans les années 1950? La première question a fait l’objet de l’étude publiée en 2007 (voir Poirier, 2009). Le chercheur s’attaque maintenant à la deuxième qui porte sur une période commençant avec la publication du Manuel des difficultés les plus communes de la langue française, adapté au jeune âge (1841), de l’abbé Thomas Maguire, et qui se termine à la veille de la révolution tranquille (1960). C’est ce modeste Manuel qui a, selon Gendron, provoqué chez les lettrés la prise de conscience de l’importance de l’écart qui s’était creusé entre le français de Paris et celui des Canadiens. Le recueil correctif de Maguire, bien imparfait dans sa facture et son contenu, dénonçait avec force la piètre performance langagière des Canadiens, surtout en matière de grammaire et de vocabulaire. Mais il attirait l’attention aussi sur quelques traits de prononciation, notamment sur « l’articulation vicieuse de la diphthongue [sic] oi, si fréquente chez nous » (Maguire, s.v. prononciation). Cette observation déclenchera une riposte vigoureuse de la part de l’abbé Jérôme Demers qui prendra la défense de l’usage canadien où s’était conservée l’ancienne prononciation [wè] alors que Paris avait adopté [wa]. Ces deux pédagogues réputés, mais aux visions antagonistes, élargiront le débat à d’autres aspects de la langue et leur échange musclé aura des échos jusqu’au début du 20e siècle. On reconnaîtra avec Jean-Denis Gendron …

Parties annexes