Corps de l’article

Thèse de doctorat dans une existence antérieure, cette monographie minutieuse de la série télévisuelle Le Canada, une histoire populaire inclut dans son analyse le travail de conception de chaque épisode, de la première version à la version finale (1re partie); les échanges au sein des équipes de production entre historiens et journalistes sur le contenu à privilégier et la manière de l’aborder (2e partie); les effets télévisuels et l’articulation entre images, musique et narration (3e partie); et la réception médiatique et celle des téléspectateurs (4e partie).

Le Canada, une histoire populaire est la plus imposante des productions documentaires créées pour la télévision de Radio-Canada/CBC tant sur le plan financier que pour l’envergure du récit proposé, qui couvre, en 17 épisodes, une période allant de plusieurs milliers d’années avant J.-C. à la fin du 20e siècle. Elle a été diffusée à l’automne 2000 et à l’automne 2001, mais c’est au milieu des années 1990 que l’idée en a germé dans la tête de Marc Starowicz, producteur délégué, qui avait à coeur de soigner l’identité vacillante du Canada durement éprouvé par la quasi-victoire souverainiste de 1995. Ce n’est pas sans raison que des commentateurs québécois ont dénoncé la propagande fédéraliste à l’oeuvre derrière cette superproduction (p. 330 et 331).

Loin de révolutionner la vision anglophone courante de l’histoire canadienne, la série se contente plutôt d’actualiser le discours libéral du nation-building canadien, tel qu’il s’est progressivement mis en place après la Deuxième Guerre mondiale. L’actualisation entrecroise un premier discours inspiré par l’ouvrage, devenu classique, d’Arthur R. M. Lower qui trace l’évolution historique du statut du Canada comme colonie [autonome de l’Empire britannique] vers celui de nation [indépendante dans le Commonwealth], avec un second discours libéral, populaire celui-là, célébrant la diversité culturelle canadienne à la Pierre Berton. La réalisation de la série n’a pas été exempte de tensions, beaucoup s’en faut. Tensions tout d’abord entre les équipes de production de Montréal et de Toronto, l’équipe ontarienne accaparant plus des deux tiers du budget global et produisant vingt-deux heures d’épisodes contre seulement dix à Montréal. Tensions également au sein de chacune des deux équipes, entre historiens et journalistes dont l’apport professionnel est pourtant complémentaire : les premiers assurent la qualité scientifique de la production et les seconds l’impartialité du récit. Mais les journalistes, plus naturellement proches de la version historique officielle, imposent leurs vues quand un désaccord survient entre les deux groupes. Tensions enfin entre historiens de différents champs de spécialisation (histoire militaire, sociale, des identités limitées, etc.) et de différentes obédiences (gauchisante, féministe, etc.). Bien que majoritaires, les défenseurs d’une histoire sociale n’ont pu imposer leurs vues : leurs pressions pour faire éclater la narration centralisatrice, qui donne le beau jeu à l’État fédéral, n’étant pas concertées, se sont neutralisées l’une l’autre. Enfin, les réalisateurs Marc Starowicz et Gordon Henderson ont exercé un poids éditorial déterminant, surtout Starowicz qui cumule pour certains épisodes les fonctions de scénariste, de réalisateur et de producteur délégué. Sont écartées aussi bien les visions résolument anticolonialistes et féministes radicales de certains historiens que les résistances xénophobes de la population contre diverses vagues d’immigrants et la violence raciste de l’État vis-à-vis des minorités mentionnée par d’autres. À la place, on insiste plutôt sur l’action bienfaisante des élites politiques, sur le progrès continu des droits civiques, sur les réformes de la démocratie libérale canadienne. À mesure que s’enchaînent les épisodes, les réalisateurs pourront plaider la cohérence narrative pour aplanir les contre-discours critiques qui viennent constamment menacer leur perspective. Dans ce tableau, les Québécois présentent une figure identitaire parmi d’autres au sein de la grande mosaïque culturelle canadienne. Côté met en valeur l’ambiance bon-ententiste de la série, dans laquelle l’alliance La Fontaine-Baldwin « pour l’émancipation coloniale » devient l’archétype des relations entre Canadiens français et anglais : grâce au compromis, la bonne entente instaure la dualité institutionnelle, puis le bilinguisme officiel des instances fédérales – sauf dans l’équipe de production torontoise!

Quant aux effets télévisuels d’ensemble, ils misent sur le réalisme historique en combinant harmonieusement les reconstitutions historiques, les documents d’époque et les artéfacts visuels de toutes sortes. Le narrateur invisible s’adresse à un téléspectateur présumé patriotique, mais en quête de ses racines historiques pour cause de manque de repères identitaires. Faut-il s’en étonner, la série est bien reçue dans le milieu anglophone où la CBC recouvre, grâce à elle, un peu de sa pertinence culturelle.

L’ouvrage de Côté est instructif pour connaître de quoi est fait le nation-building (anglo)canadien, mais il aurait bénéficié d’une relecture avant publication. Plusieurs coquilles subsistent, et des erreurs aussi : p. 20, la dualité canadienne connaît son heure de gloire au tournant du 20e siècle (et non du 19e) lors du tricentenaire de Québec; p. 113, on cherche les italiques annoncées; p. 282, le texte mentionne un article du Globe and Mail quand la note de référence indique le Montreal Gazette; p. 289, Côté confond le personnage Joseph Brant et l’acteur Frédéric de Grandpré; p. 310, le poète et fondateur de la Cooperative Commonwealth Federation qu’épousera la peintre Marion Dale est Francis Réginald Scott, et non Norman Bethune; p. 362, Côté évoque les exemples de « Joseph et Tecumseh », mais veut certainement parler de Joseph Brant et Tecumseh.