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Cette plaquette parsemée de photos prend place dans une collection éditée par le magazine Nouveau Projet qui, peut-on lire en 4e de couverture, propose « de courts essais portant sur les enjeux sociaux, culturels et individuels de notre époque, et écrits à chaud, dans l’urgence de dire les choses ». Voilà qui permet de mieux comprendre la facture du texte de Jonathan Livernois, vendu 11,95$, qui se lit en moins d’une heure. Un produit littéraire qui se consomme donc rapidement malgré un sujet sérieux et ô combien sensible, le patriotisme, qui a inspiré quantité d’intellectuels.

L’essai se divise en deux parties. La première, plus introspective, tente une « archéologie » du patriotisme de l’auteur. Jonathan Livernois y mobilise une série de souvenirs qui seraient à l’origine de son adhésion spontanée à sa patrie, le Québec. Le ton général est à l’humour et à l’ironie, l’ironie de certains littéraires revenus de tout qui se plaisent à déconstruire, sourire en coin, ce qu’ils avaient autrefois naïvement chéri, admiré.

Livernois se souvient de sa passion un peu puérile pour la généalogie qui lui apprenait un tas de choses inutiles sur son ancêtre Guillaume Labelle – en 1681, ce colon possédait « un fusil, deux bêtes à cornes et quatre arpents » (p. 14). C’était l’époque où, enfant, il considérait la vieille maison de son grand-père de Saint-Constant comme une sorte de sanctuaire où régnait l’esprit des ancêtres; l’époque d’avant la mode hipster du lumbersexual où le mackinaw (la veste à carreaux) symbolisait la dureté des camps de bûcherons; l’époque où il écoutait les épisodes des Belles histoires de pays d’en haut, ce téléroman qui témoignait « de la stabilité d’un passé calme, doucereux, sans danger » (p. 34); l’époque où le défilé de la Saint-Jean avait encore un peu de sens, même avec ses statues ridicules à force d’êtres géantes et ses chars en carton-pâte; l’époque où il lisait avec la plus grande déférence Laurent-Olivier David, cet arriviste un peu benêt qui cite un ennemi (Benjamin Holmes) dans l’épigraphe de son livre sur les Patriotes; en somme, c’était l’époque où, à l’instar de Lucien Bouchard – celui d’un discours de victoire qu’il ne prononcera jamais, dont certains extraits furent lus dans le documentaire Nation de Carl Leblanc –, il muséifiait le passé.

De cette histoire figée, enjolivée, sans aspérité, remplie d’images d’Épinal et de mythes, fondements d’un mauvais patriotisme, Johnathan Livernois se serait enfin libéré. C’est qu’entre temps, notre professeur d’histoire littéraire et intellectuelle de l’Université Laval a lu, entre autres, Jean-Paul Sartre, Hubert Aquin et Jean-François Nadeau, autant de consciences éclairées qui nous auraient enfin permis de comprendre à quel point cette représentation surannée du passé était gentille, inoffensive, à quel point elle nous confortait dans notre soumission et notre médiocrité tranquille.

Pour nous libérer de ce patriotisme passéiste, encore défendu par un courant « néocanadienfrançais » à l’origine de l’infâme Charte des valeurs québécoises du gouvernement péquiste, Jonathan Livernois, dans la seconde partie de son essai, formule trois propositions qui devraient nous permettre d’enfin voir la lumière. Notons qu’il s’agit rien de moins que de « créer un nouveau patriotisme », ancré dans la vérité et surtout, dans l’avenir…

Première proposition : avoir une vision plus juste du passé. Après avoir lu le verbatim du dernier procès et quelques lettres du patriote Joseph-Narcisse Cardinal, l’un des 12 pendus au Pied-du-courant, Livernois découvre que l’homme, pour sauver sa peau, était prêt à toutes les génuflexions. Révélation du professeur : le patriote était un simple être humain, non un « titan ». Une telle découverte laisse pantois quand on suit l’évolution de l’historiographie des dernières décennies. S’il avait davantage discuté avec son « ami » Yvan Lamonde, il aurait vite réalisé que cette approche du passé est celle de la grande majorité des historiens de profession. D’Allen Greer à Gilles Laporte en passant par Louis-Georges Harvey, les historiens n’ont créé aucun « mythe », ils n’ont fait que situer le mouvement patriote dans un contexte plus large. Aussi, que des artistes ou des politiciens recourent à l’histoire pour magnifier certains personnages, rien de plus banal – Livernois souhaiterait-il les censurer au nom de la Vérité?! Quant au courant « néocanadienfrançais », s’il a fait preuve d’une certaine déférence pour les anciens, il cherchait avant tout à situer le combat québécois dans l’histoire longue du Québec, non à créer des mythes de toutes pièces. L’aurait-il souhaité qu’il en aurait été incapable.

Deuxième proposition : avoir une vision plus juste de ce que serait le Québec, « réellement » (p. 63), c’est-à-dire une société hantée par les inégalités sociales, le désabusement face à la politique et la marginalisation des « communautés culturelles ». Ce qu’est une société « réellement », n’est-ce pas le fruit d’un débat démocratique où des positions différentes s’opposent, où des vues divergentes s’affirment? Un portrait du Québec « réel » pourrait-il (et devrait-il) un jour s’imposer, une fois pour toutes?

Dernière proposition, plus audacieuse : créer un « patriotisme prospectif », être fier de cette jeunesse qui entre en scène, même si elle ne croit plus aux frontières et qu’elle se réclame de l’universel… Une proposition généreuse, évidemment, mais qui semble pécher par un excès d’optimisme. En effet : comment fonder le patriotisme sur ce qui n’est pas encore advenu? Sur une génération, certes pleine de promesses, mais qui n’a pas encore fait ses preuves ni affronté les dures épreuves du réel? Même s’il tient jalousement à son droit d’inventaire, même s’il entend rompre avec des valeurs ou un régime politique qui ne convient plus, n’est-ce pas normal que le patriote ressente une sorte de dette à l’égard des devanciers? Un patriote peut-il être autre chose qu’un héritier reconnaissant? Livernois élude ces questions importantes en réactivant cette vaine opposition entre passé et avenir. Fernand Dumont, qu’il cite avantageusement, ne répétait-il pas que la nation était à la fois héritage et projet?

On peut lire cet essai comme une charge contre le courant « néocanadienfrançais », vraisemblablement à l’origine de tout ce qui va mal au Québec. Rien n’est dit cependant sur le « patriotisme constitutionnel » des trudeauistes au pouvoir, à Québec et à Ottawa. Au final, un constat s’impose. Jusqu’en 1995, progressistes et conservateurs pouvaient cohabiter au sein de la grande coalition souverainiste. Force est de constater que ce n’est plus le cas. Cet essai témoigne donc d’une recomposition politique majeure.