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Le thème qui constitue la trame principale du livre stipule qu’à partir de 1990 on assiste à un changement important dans la politique d’immigration, changement caractérisé par la « fédéralisation » de la politique canadienne d’immigration. Le processus de fédéralisation fait référence ici au fait que depuis 1990, toutes les provinces se sont mises à intervenir de façon très active dans la gestion des politiques d’immigration.

L’analyse rigoureuse et systématique du processus de fédéralisation est articulée autour de trois axes principaux. D’abord, Paquet définit le concept clé de la construction provinciale de l’immigration considérée comme une ressource pour la société et pour l’économie provinciale : les immigrants sont perçus comme porteurs de compétences et de capital humain, avec un potentiel démographique et financier important. Cette définition lui permet de considérer le Québec sur le même pied que le Manitoba puisqu’avec elle, le processus de fédéralisation commence au début des années 1990. Avant cette date, l’intervention québécoise est centrée sur l’acquisition de pouvoirs et la mise en place d’institutions susceptibles d’assurer que l’immigration ne représente pas une menace pour l’identité québécoise et la langue française.

Le deuxième axe analytique identifie quatre modes d’intervention. Le premier est dit « holiste » : l’immigration est fondée sur des bases économiques et sociales, selon une direction globale de développement de la communauté sociale avec un rôle important de l’État provincial dans la sélection et l’intégration. Ce mode caractérise le Québec et le Manitoba qui font figure de précurseurs. Le deuxième mode d’intervention, le mode « passerelle », fait référence au fait que l’immigration est envisagée comme réponse aux besoins du marché du travail et que l’État sert de passerelle entre les employeurs et les immigrants. Ce mode caractérise l’Alberta et la Saskatchewan. Le troisième mode d’intervention est plutôt « réactif » : il répond aux besoins créés par l’immigration et cible surtout les compétences élevées. Il s’agit de l’Ontario et la Colombie-Britannique. Le quatrième mode d’intervention, qui touche les provinces de l’Atlantique, est défini selon le modèle « attraction-rétention », qui vise la survie démographique et économique.

Enfin, l’analyse de l’évolution de la construction provinciale s’effectue en trois temps : l’activation (l’immigration est mise à l’ordre du jour politique), la « consensualisation » (une fois mise à l’ordre du jour, un consensus se développe sur le rôle de l’immigration) et l’institutionnalisation (la mise en place effective de politiques et une administration publique spécifique pour gérer l’immigration). Sans entrer dans les détails, l’étude montre que le processus de fédéralisation s’est déroulé de façon différente dans le temps, avec le Québec et l’Ontario commençant leur processus au début des années 1990, l’Alberta et la Colombie Britannique au début des années 2000, et les provinces atlantiques plutôt vers la fin des années 2000.

Cette analyse province par province est fort bien documentée. Elle est basée sur un travail colossal d’analyse des documents officiels et de 71 entretiens semi-dirigés (auprès de fonctionnaires provinciaux et fédéraux, d’élus et de certains organismes communautaires). On aurait aimé avoir une répartition plus détaillée des types de personnes interviewées.

L’étude de Mireille Paquet ne s’arrête pas là. Un deuxième thème parcourt l’ensemble des analyses, à savoir que l’implication des provinces en matière d’immigration a été essentiellement le fait de l’élite politique (élus et fonctionnaires) et, dans une moindre mesure, de l’élite économique. Il n’y aurait donc pas eu de mobilisation de la société civile et des groupes communautaires. Je pense qu’elle a probablement raison, mais il manque, à mon avis, des éléments importants de preuve. J’en mentionnerai deux. D’abord, en se concentrant sur l’immigration « économique », elle exclut les nombreuses revendications issues du milieu communautaire concernant les réfugiés et les travailleurs temporaires. En deuxième lieu, la représentation des groupes communautaires paraît plutôt faible. Sur les 126 références aux interviews en bas de page, seulement 11 font référence à des représentants des groupes communautaires. L’analyse serait donc quelque peu biaisée en faveur des représentants des groupes gouvernementaux. D’ailleurs, à la page 245 (note 1), l’auteure reconnaît le potentiel de surestimation de l’indépendance ou de l’importance de l’élite par rapport à la société. Nous sommes donc d’accord avec elle lorsqu’elle suggère la nécessité d’études empiriques des mobilisations.

En conclusion, l’auteure propose une hypothèse concernant l’évolution récente de la politique d’immigration, à savoir que le gouvernement fédéral, sous Stephen Harper, aurait tenté de reprendre davantage de pouvoir en matière d’immigration et de freiner en quelque sorte le rôle des provinces, en particulier dans le cadre du programme des travailleurs étrangers temporaires et par la mise en place d’un nouveau système de sélection des immigrants (« entrée express »), créant et renforçant les liens avec les acteurs économiques au détriment des provinces. Cette hypothèse ouvre une voie d’avenir cruciale pour approfondir la recherche sur les politiques d’immigration au Canada.

Bref, grâce au travail très méticuleux de l’auteure, ce livre constitue une contribution majeure à l’étude des politiques d’immigration au Canada. En effet, c’est la première étude du genre qui analyse en profondeur l’ensemble des interventions provinciales en matière d’immigration.