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Le mythe entourant Hector de Saint-Denys Garneau (1912-1943) s’estompe peu à peu à la lecture de la biographie écrite par Michel Biron. Un tel ouvrage permet d’éclairer les zones d’ombre de la vie du poète décédé à l’âge de 31 ans. La mélancolie et l’isolement du poète et artiste après la publication de son unique livre paru de son vivant, Regards et jeux dans l’espace (1937), ont contribué à alimenter de nombreuses rumeurs, que le biographe s’emploie à démonter.

Cette biographie se lit très bien et nous renseigne sur la vie et l’oeuvre de de Saint-Denys Garneau que plusieurs lettres inédites viennent éclairer. Pour ce faire, Michel Biron a dépouillé plusieurs fonds d’archives récemment ouverts à la consultation – un travail de recherche colossal –, ce qui apporte de nouvelles informations sur les idées et le vécu du jeune poète. Ces documents d’archives constituent une riche source qu’il faut faire parler sans interpréter à outrance. À cet égard, le biographe s’en tire bien. Biron a également mis à contribution les textes écrits par de Saint-Denys Garneau et les témoignages de ses proches.

Suivant un ordre chronologique, la biographie s’intéresse d’abord aux origines du poète, Biron brossant, dans les premiers chapitres, un portrait de la famille, en insistant sur ses ascendances nobles auxquelles la mère de Saint-Denys, Hermine Prévost-Garneau, se raccrochera tout au long de son existence. Pour sa part, de de Saint-Denys ne semble pas faire grand cas de ses ancêtres, même s’il peut s’enorgueillir, par exemple, d’être l’arrière-petit-fils de l’historien François-Xavier Garneau. Seuls les arts semblent avoir de valeur à ses yeux.

Dans les chapitres suivants sont présentées ses années de collège. Quand, en 1925, il remporte un concours littéraire avec son poème « Le dinosaure », c’est pour lui un encouragement à persévérer dans la voie de l’écriture. Le biographe raconte aussi les amours peu connues de de Saint-Denys, les femmes qu’il convoite, parfois plus âgées que lui, et pour lesquelles il compose plusieurs poèmes. Mais ce sont ses amitiés surtout qui ressortent des extraits de lettres à Jean Le Moyne, à Robert Charbonneau et à Robert Élie, pour ne nommer que ceux-là. Dans ses lettres, le jeune homme se dévoile, ce qui nous permet d’en apprendre sur l’homme et l’artiste qu’il a été. Le lecteur en apprend ainsi sur l’univers culturel canadien-français dans lequel gravite le poète, notamment lors de la création de la revue La Relève.

Le livre est particulièrement éclairant sur la pratique de la peinture qui a été peu discutée en comparaison de celle de l’écriture. C’est durant ses années de collège que de Saint-Denys développe son goût pour la peinture. Et lorsque son médecin le force à interrompre ses études – de nombreux extraits de lettres font état de ses problèmes de santé, son coeur étant, depuis son adolescence, fragile –, crayons et pinceaux seront pour lui un réconfort.

L’année 1936 est intense en écriture et en peinture. Il réalise près d’une toile par jour – des petits formats surtout, afin de les terminer en une séance – et envisage de devenir peintre et critique d’art. Il rêve alors « d’organiser une "vaste exposition rétrograde, pardon rétrospective" » (p. 261), ainsi qu’il le confie à Claude Hurtubise. Une de ses critiques d’art, publiée dans La Relève en décembre 1936, lui apportera une certaine estime, de la part de peintres, comme John Lyman et Jean Palardy. En dépit de telles ambitions, il se montre plus secret avec ses toiles qu’avec ses vers qu’il n’hésite pas à faire lire.

Les deux derniers chapitres de cette biographie de 456 pages montrent bien qu’après tous les efforts qu’il a consentis afin d’être reconnu en tant qu’artiste, de Saint-Denys Garneau s’effondre devant les critiques défavorables de Regards et jeux dans l’espace. Il revient par ailleurs avec un sentiment d’échec de son séjour écourté en France – durant lequel, comme le rapporte Michel Biron, il a eu « un moment de grâce » (p. 341) lorsqu’il a écouté deux messes à la cathédrale de Chartres. Il cultive dès lors sa solitude, qualifiée de « phobie » sociale par Biron (p. 270) qui reprend un mot employé par de Saint-Denys dans une lettre à Jean Le Moyne.

Tout au long de ce travail d’érudition, différentes anecdotes nous sont présentées. On apprend ainsi qu’à son retour d’Europe, de Saint-Denys envisage un retour à la terre – comme son père l’avait fait en 1916, après avoir perdu son poste de gérant à la Banque Royale, en raison d’un problème de surdité.

Cette biographie a le mérite de tracer un portrait tout en nuances de l’homme, du poète, du peintre et du critique d’art, qui invite à se replonger dans l’oeuvre de de Saint-Denys Garneau.