Note critique

Les prophètes du nouvel ordre universitaireLacroix, Robert et Louis Maheu,Les grandes universités de recherche. Institutions autonomes dans un environnement concurrentiel, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2015, 325 p.[Notice]

  • Yves Gingras et
  • Johan Giry

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Depuis les années 1990, les universités des pays industrialisés ont été le théâtre de mutations profondes touchant à la fois les programmes, le financement, la gouvernance interne et les mécanismes d’évaluation et d’accréditation (Bruno, Clément et Laval, 2010; Lorenz, 2012). Dans un rapport récent de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), Éric Martin avance que le principe cardinal de ces changements consisterait à faire de l’université « non plus une institution indépendante au service du bien commun, mais une organisation modelée sur les autres organisations économiques (entreprises), et pilotée en fonction des mécanismes de régulation du nouveau “marché” mondial de l’enseignement supérieur globalisé » (Martin, 2016; Vinokur, 2014). Sur la base d’une étude de cas portant sur l’Université de Montréal, il insiste surtout sur le fait que ces changements sont parés par leurs promoteurs des atours de l’inévitable. Dans cette perspective, les responsables politiques et universitaires devraient accompagner ces changements pour permettre aux institutions d’enseignement supérieur de leur pays de se maintenir dans la concurrence internationale. Dans leur ouvrage Les grandes universités de recherche, Robert Lacroix et Louis Maheu présentent une série d’énoncés visant justement « à mettre en place des politiques qui faciliteront une telle mutation » (p. 12) – présentée comme inévitable – pour contrer une catastrophe appréhendée. Cet ouvrage aux allures académiques prétend offrir aux responsables politiques et universitaires des analyses rigoureuses sur la base desquelles développer leur action à l’endroit des institutions d’enseignement supérieur. Il nous arrive également auréolé d’appuis de grands personnages du monde académique dont le sociologue Alain Touraine, qui prédit même que ce livre « devrait provoquer une explosion deux fois plus forte » que celle déclenchée par la publication des classements internationaux des universités en 2003, qui avait « fait l’effet d’une bombe dans les universités de recherche du monde entier » (quatrième de couverture). Il est également paru en anglais aux Presses McGill-Queen’s. Pour rassurer les lecteurs anxieux à la vue des mots « explosion » et « bombe », disons tout de suite qu’au terme de notre travail de déminage et de désamorçage, la bombe s’avérera n’être qu’un pétard mouillé… Devant l’importance appréhendée d’un tel ouvrage, on comprendra qu’il mérite une grande attention de la part de tous ceux et celles qui ont quelque expertise sur la question de la recherche universitaire et ont aussi à coeur l’avenir de nos universités. Si, comme semblent en convenir les auteurs, la rigueur de la démonstration est ce qui garantit le bien-fondé des recommandations qui en découlent, il est d’autant plus important d’éprouver les analyses proposées, l’ouvrage risquant d’être pris au sérieux par ceux et celles qui se laisseront impressionner par les petites phrases élogieuses de la quatrième couverture ou la multiplicité des tableaux chiffrés. De plus, certains se diront aussi qu’un ancien recteur (Lacroix) et un ancien doyen (Maheu), qui ont fait carrière à l’université de Montréal, sont sûrement des experts sur les questions d’enseignement supérieur et se contenteront de conclure qu’il est maintenant « prouvé » qu’il faut réformer les universités pour les rendre « compétitives » au plan international. Pour contrer cette impression, il nous faudra donc aller dans le détail de l’argumentation des auteurs pour montrer les sérieuses failles méthodologiques et logiques de l’ouvrage, lesquelles invalident la plupart de leurs conclusions. Celles-ci, loin d’être fondées sur des données probantes, ne sont en fait que la réaffirmation de postulats idéologiques fondés sur la « compétition », postulats qui semblent d’ailleurs imperméables aux démentis empiriques et à la complexité et la diversité du monde universitaire. Après avoir résumé la structure de l’ouvrage, nous expliquerons pourquoi …

Parties annexes