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L’ouvrage collectif Régionalismes littéraires et artistiques comparés Québec/Canada-Europe, paru en 2014, rassemble des articles proposant une redéfinition du phénomène du régionalisme sous trois éclairages : littéraire et artistique; comparatiste; et dans ses manifestations concrètes illustrées notamment par des transferts culturels entre le Québec et la France. Les études rassemblées par Aurélien Boivin, Hans-Jürgen Lüsebrink et Jacques Walter permettent, d’une part, de mettre en lumière le rôle fondamental d’influences extérieures (américaines, allemandes et françaises, par exemple) sur le développement de l’« identité régionale canadienne-française » (p. 9). D’autre part, plusieurs articles insistent sur les convergences entre le régionalisme canadien-français et certains mouvements régionalistes européens de la première moitié du 20e siècle, notamment en France. Cette approche comparatiste, qui fait l’originalité du recueil, a le mérite de faire ressortir des traits communs entre les régionalismes canadiens-français et européens (en s’appuyant surtout sur les exemples allemand, suisse, français et belge). Elle permet aussi de mettre en lumière, par l’examen des traits communs aux formes littéraires et artistiques, le processus de folklorisation des régionalismes, auquel ont contribué des musées en organisant diverses expositions, mais aussi des peintres et des illustrateurs.
De manière générale, l’ouvrage explore les dimensions théorique et conceptuelle des régionalismes. Dans la première section du livre, surtout, les contributions insistent sur le fait que le référent géographique n’est pas le vecteur principal à considérer lorsqu’il est question de littérature régionale; au-delà de l’ancrage géographique, comme l’explique A. Von Ungern-Stermberg, « les espaces artistiques littéraires » se rassemblent « en fonction de leurs ressemblances et forment des « régions narratives » (p. 29). Dès lors, ce sont davantage des traits formels, génériques et thématiques récurrents des textes qui doivent être considérés lorsqu’on s’intéresse au régionalisme littéraire, et non plus seulement la réalité géographique dont ils sont issus.
Les études réunies dans la seconde partie du recueil abordent les régionalismes sous un éclairage interculturel, et insistent notamment sur l’influence de Charles Maurras sur l’essor du régionalisme littéraire, artistique et politique, en France comme au Québec. Dans son texte, Aurélien Boivin s’attache par ailleurs à montrer l’influence que les romanciers français René Bazin et Pierre Pourrat ont eue sur l’oeuvre de Damase Potvin. Cette perspective d’analyse est intéressante dans la mesure où elle sort le roman de Potvin du cadre agriculturiste canadien-français pour montrer que l’importance accordée à la terre et aux gens des campagnes n’est pas exclusive au roman paysan d’ici − ce qui est plutôt rare dans les études consacrées au roman du terroir canadien-français.
L’article phare de la troisième section, si ce n’est de l’ouvrage tout entier, est sans aucun doute celui de Maurice Lemire, qui a publié en 2007, aux Éditions Nota Bene, Le mouvement régionaliste dans la littérature québécoise (1902-1940), un ouvrage incontournable dont il reprend certaines prémisses qui servent de base à une comparaison entre les régionalismes français et québécois. Il est certes juste d’affirmer, explique Lemire, que le sentiment nationaliste est ce qui distingue le régionalisme canadien du régionalisme français; mais l’un et l’autre poursuivent, au fond, les mêmes objectifs, c’est-à-dire la défense de la langue française, de la culture et de l’identité. Cela s’est avéré un échec, au Canada français et en France, entre autres à cause de l’urbanisation qui s’est intensifiée avec la Seconde Guerre mondiale et du nouveau mode de vie qu’elle a entrainé (p. 166-167).
Somme toute, malgré la présence de plusieurs coquilles et un travail d’édition qui aurait gagné à être plus soigné, cet ouvrage collectif propose une perspective comparatiste intéressante sur les littératures régionales en Europe et au Québec/Canada. Il est dommage, par contre, que le livre ait été publié sept ans après le colloque duquel les contributions rassemblées découlent, ce qui fait en sorte que la bibliographie n’était plus tout à fait à jour en 2014 au moment de sa parution. Enfin, la présentation des différentes sections dans l’introduction aurait dû respecter les regroupements de textes établis dans la table des matières (l’article de Lemire étant annoncé comme appartenant à la seconde section de l’ouvrage alors qu’il appartient en réalité à la dernière).