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Elle se voulait exploratoire au sens où nous avons sondé des collègues du réseau UQ afin de mieux comprendre comment ils qualifient ou nomment les modalités des recherches-actions effectuées avec des acteurs locaux ou régionaux[1]. Le caractère exploratoire de l’étude signifie également que cette dernière n’a pas la prétention de faire un portrait complet des recherches conduites de façon collaborative dans le réseau UQ. D’une part, notre étude a porté sur sept institutions universitaires, ce qui fait que les pratiques d’autres institutions de ce réseau n’ont pas été étudiées. D’autre part, même à l’intérieur de ces six institutions, nous n’avons pas cherché à saisir l’ensemble des pratiques de recherche que l’on pourrait considérer comme collaboratives. L’objectif poursuivi était celui, plus modeste, d’identifier, à partir d’un ensemble de pratiques, les différents temps de réalisation de telles activités de « recherche avec » et de qualifier les rôles et les responsabilités répartis entre les membres de cet espace de collaboration.

Notre étude poursuivait aussi l’objectif de regrouper des chercheurs de différentes universités autour d’une réflexion sur ce que nous en sommes arrivés à qualifier par la notion de « recherche avec ». Nous expliquerons au fil de cette introduction pourquoi nous avons retenu ce qualificatif.

Les activités de recherche-action, de recherche collaborative, de recherche participative, de community-based research ou de recherche partenariale sont de plus en plus nombreuses au sein des universités québécoises et canadiennes. Ce phénomène n’est pas nouveau et l’origine en remonte facilement au début de l’ère moderne (Fontan, 2011). Plus spécifiquement, depuis le début des années 1960 (Hallet al., 2013) on observe une augmentation continue de demandes issues d’organisations de la société civile pour la réalisation d’activités de recherche-action. Ces demandes sont faites auprès de chercheurs individuels ou d’équipes de chercheurs. Pour faire écho à ce besoin, les grands fonds subventionnaires de la recherche du Canada ou du Québec, tels le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) ou le Fonds de recherche du Québec – Société et Culture (FRQSC)[2], ont fait évoluer leurs programmes de financement au fil des années afin d’y inclure des fonds consacrés au développement de collaborations entre des milieux universitaires et des secteurs socioéconomiques, sociopolitiques ou socioculturels.

En raison de la grande diversité des termes rencontrés pour décrire ou analyser des recherches-actions de type collaboratif, partenarial ou fondées sur une relation étroite avec des acteurs de la communauté, et en fonction de nos réflexions sur les données que nous avons analysées, nous avons convenu d’utiliser l’expression « recherche avec » pour regrouper toutes ces formes de mises en relation entre des universitaires et des non-universitaires. Deux éléments nous ont convaincu du bien-fondé de ce choix.

Premièrement, la préposition « avec » permet de nous distinguer clairement des recherches qui portent « sur » des sujets de recherches réalisées sans associer ces populations, acteurs, organisations ou institutions à leur démarche. L’expression permet aussi de distinguer ce type de recherche des études qui sont réalisées « par » l’acteur du terrain et dont il est le maitre d’oeuvre. Enfin, la « recherche avec » se distingue clairement de recherches « pour », lesquelles peuvent ne pas impliquer une dimension bilatérale et coproductrice de nouveaux savoirs (Campbell et Lassiter, 2015).

Deuxièmement, à la relation prenant place entre des universitaires et des non universitaires s’ajoutent deux autres modalités relationnelles :

  • les relations qui s’établissent au sein d’une équipe universitaire souvent hétérogène : cette dernière est composée de chercheurs établis provenant très souvent de champs disciplinaires complémentaires. De plus, des relations se nouent aussi entre ces derniers et les étudiants embauchés qui se retrouvent en situation de « chercheurs en formation ». Cette scène relationnelle permet un travail interdisciplinaire et multidisciplinaire qui permet parfois de transcender les disciplines et d’aller vers la transdisciplinarité;

  • les relations qui s’établissent entre les membres non universitaires : ce groupe peut associer des personnes représentant une diversité de postures et de statuts, à savoir, un ou des représentants de l’organisation ou des organisations partenaires; un ou des représentants de bailleurs de fonds ou d’autres organisations dites intermédiaires; enfin et possiblement, un ou des représentants citoyens concernés par la question traitée. Le groupe constituant la partie prenante non universitaire est constitué de personnes provenant souvent d’horizons sectoriels distincts, permettant le développement de réflexions intersectorielles ou multisectorielles.

Si le volume des activités universitaires de recherche, de formation ou d’accompagnement conduites avec des professionnels de différents secteurs est en croissance, cette réalité semble avoir eu peu d’impact sur la structuration et l’institutionnalisation de cette méthode d’enquête ou de formation au sein des universités canadiennes et québécoises. La reconnaissance de la valeur des activités de recherche « avec » reste inférieure à celle des activités classiques de production scientifique et de transfert de connaissances[3]. L’option d’accompagner et de soutenir des organisations de la société civile, par des activités de recherche ou de transfert vers les acteurs sociaux, de publier dans des revues non scientifiques et de présenter des résultats de recherche à des publics non universitaires est souvent peu valorisée par la communauté scientifique (Lamont et Guetzkow, 2016).

L’indicateur-clé de cette non-reconnaissance est le poids disproportionné accordé aux activités de diffusion et de transfert dites classiques, qui consistent donc à publier dans des revues savantes cotées ou faire des communications dans des colloques purement scientifiques, par rapport aux activités de diffusion et de transfert dites non scientifiques (relevant de la vulgarisation des connaissances!). De plus, au sein même de la communauté universitaire, la valeur des recherches réalisées avec des acteurs sociaux est souvent qualifiée de « moins scientifique » car elle reste perçue comme moins rigoureuse dans ses méthodes de travail (Dehli, 2008). Enfin, le transfert auprès de groupes et d’acteurs professionnels ou sociaux est souvent un des éléments inhérents et incontournables d’une démarche de recherche en collaboration ou en partenariat. Une telle démarche est très prenante puisqu’il faut s’investir dans des actions d’appropriation des résultats. Cela fait généralement partie du contrat de collaboration ou de partenariat et peut représenter un frein pour des chercheurs.

Au plan institutionnel, au fil des dernières décennies, les universités canadiennes et québécoises se sont dites en faveur d’une science ouverte sur la société, sans que cette ouverture, telle est notre hypothèse, se soit historiquement traduite par l’instauration de mécanismes, de dispositifs ou de politiques permettant le bon fonctionnement de cette posture et méthode de travail (AUCC, 2008). Qu’en est-il vraiment ? Les universités québécoises sont-elles bien ou mal outillées pour s’investir dans l’aventure du croisement des savoirs et de la coproduction de connaissances ? Quelle compréhension les chercheurs universitaires ont-ils de ce que signifient et de ce qu’impliquent pour eux et leur discipline tant la posture de travailler « avec » que la méthode de croiser des savoirs transsectoriels et transdisciplinaires afin de coproduire de nouvelles connaissances et instaurer de nouvelles pratiques ?

Afin de répondre à ces questions et dans le but d’en arriver à la constitution d’un groupe québécois élargi de réflexion critique sur la recherche « avec », nous avons conçu et réalisé une étude exploratoire sur des pratiques de recherche « avec » conduites dans six constituantes du réseau Université du Québec (UQ), à savoir la TELUQ, l’UQAC, l’UQAM, l’UQAR, l’UQO et l’UQTR[4]. Cette étude a bénéficié d’un financement interuniversitaire du réseau UQ (programme FODAR[5]). Le tout fut réalisé entre l’hiver 2014 et le printemps 2015. Les résultats furent présentés à un colloque consacré à la recherche partenariale dans le cadre du Congrès de l’ACFAS tenu à Rimouski en mai 2015.

D’entrée de jeu, il est important de rappeler le statut particulier de l’Université du Québec. Il s’agit d’un réseau relevant des « universités nouvelles », c’est-à-dire d’universités créées au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale dans un contexte économique et politique caractérisé par une forte croissance économique et des turbulences importantes au plan politique et ce :

  • en raison d’une croissance importante des missions de l’État québécois et d’une volonté d’assurer une présence accrue des institutions publiques déconcentrées dans les divers territoires du Québec;

  • en lien avec une concentration importante de la croissance économique dans la métropole montréalaise et l’émergence de mouvements régionalistes dans les périphéries productrices de ressources.

Le réseau UQ fut créé par le gouvernement du Québec en 1968 et fête cette année ses cinquante ans. Des unités universitaires publiques sont implantées dans différentes régions du Québec, dont Montréal avec l’Université du Québec à Montréal. Ce réseau a démontré la possibilité de rendre accessible l’enseignement supérieur aux générations dont les parents n’avaient pas atteint le niveau d’éducation universitaire et de rapprocher les universités des aspirants aux études vivant dans des régions éloignées. Les universités du réseau ont opté pour un mode collégial de fonctionnement. Dans cette perspective, elles ont proposé des mécanismes novateurs pour établir un dialogue constructif entre des chercheurs, des enseignants et des représentants des organisations de la société civile. C’est le cas, par exemple, de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) (Alberio et Fortin, 2017; Fortin et Fournis, 2014), qui se propose dès sa création de faire de l’université un agent de développement régional[6]. Il en est ainsi pour la majorité des autres constituantes du réseau UQ, qui ont démontré un fort niveau d’implication en termes de développement local ou régional.

En ce sens, les universités du réseau UQ sont à la fois représentatives des universités de façon générale et font partie d’un échantillon d’universités particulières dont la vocation initiale est tournée vers la « communauté ». En témoigne notamment la participation de représentants « socioéconomiques » à des conseils de module, des comités de programme ou aux conseils d’administration. Pour ce réseau d’universités, il est clair qu’il s’agit particulièrement de voir comment la « recherche avec » s’inscrit d’emblée dans le « vivre ensemble » promu par ces universités qui, à leur création, avaient un fonctionnement tourné vers leur communauté locale ou régionale d’ancrage. Nous pourrions penser spontanément qu’étant donné cette vocation initiale, les universités de ce réseau représentent un terreau fertile pour ce type de recherche-action.

L’objet du présent article est de présenter une analyse des principales observations et des constats généraux qui se dégagent de l’étude que nous avons réalisée. Dans un premier temps, nous contextualiserons l’engouement présentement observé pour la réalisation d’activités de recherche, de formation ou d’accompagnement regroupant des acteurs de la communauté et des chercheurs universitaires. Dans un deuxième temps, nous présenterons la méthodologie que nous avons utilisée pour conduire cette étude. Dans un troisième temps, nous brosserons un portrait rapide des principales observations ainsi que des constats généraux qui se dégagent de notre étude. Enfin, dans la dernière section, nous développerons, au-delà de la question de la reconnaissance institutionnelle et du bien-fondé des activités de recherche « avec », une analyse critique sur la capacité effective des universités québécoises à offrir un environnement et des conditions favorables à la bonne conduite tant d’activités de recherche-action que d’activités transdisciplinaires visant le croisement des savoirs et la coproduction de connaissances.

Contextualisation

Au passage du 19e au 20e siècle, deux phénomènes retiennent particulièrement notre attention. Premièrement, en Europe et aux États-Unis, on voit des représentants de milieux universitaires (enseignants et étudiants) et des professionnels de l’action sociale joindre leurs efforts pour intervenir de façon novatrice sur des situations dites injustes : par exemple sur les questions de la lutte contre la pauvreté ou de la revitalisation territoriale (Dubost, 2001).

Sur ces deux espaces continentaux se sont développés les fondements de ce que nous nommons aujourd’hui « la science citoyenne », c’est-à-dire des activités scientifiques menées uniquement par des citoyens ou menées par des citoyens en association avec des chercheurs scientifiques[7]. Ces collaborations représentent un mouvement d’extension des activités de recherche du champ scientifique et de la scène universitaire, lesquelles débordent les réseaux scientifiques et se délocalisent du « campus universitaire » pour investir d’autres lieux. C’est ainsi qu’une variété de dispositifs et de mécanismes de recherche-action ou de formation adaptée apparaissent à la fin du 19e siècle, dont les plus connus sont le University Settlement (Mauduit, 2011) et les Universités populaires[8]. Notons qu’une nouvelle vague d’innovations de ce type prend naissance à la fin des années 1960 avec la création des Boutiques de science (Science Shop[9]) et du mouvement de la Community Based Research (Hall, 1975).

Deuxièmement, sur un autre plan, un nouveau courant philosophique apparait aux États-Unis, qui se veut et se dit en rupture avec les paradigmes philosophiques européens dominants de l’époque. Le pragmatisme, mouvance philosophique issue des travaux du Metaphysical Club (Menand, 2001), proposait une conception qui demeure toujours novatrice sur ce que connaître signifie et surtout sur les processus qui sont à la source de l’évolution ou de la transformation du savoir. L’apport central de cette approche est de démystifier le caractère fondamentalement véridique de la connaissance scientifique pour mettre en lumière sa dimension consensualiste. Selon les pragmatistes de la première heure, connaissance et vérité sont deux phénomènes distincts et toute connaissance[10] est en soi une croyance dont le degré de véracité dépend du niveau de résonance sociale qu’elle est en mesure de générer. En d’autres termes, une connaissance est une forme de croyance qui relève plus de la convention que la vérité pure.

À la mouvance pragmatiste s’ajouteront, quelques décennies plus tard, les réflexions issues des avancées effectuées par Kurt Lewin (1946) autour du concept de recherche-action participative dans les années 1940, et, dans les années 1960, par Paolo Freire (1971), autour du concept d’éducation populaire.

Dès le début du 20e siècle, si ces voies innovantes apparaissent clairement dans le paysage scientifique, il faut attendre presque trois quarts de siècle avant que les implications de ces fondements s’ancrent institutionnellement dans des dispositifs universitaires d’enseignement et de recherche. Le passage au 21e siècle concrétise cette reconnaissance un peu partout en Afrique, dans les Amériques, en Asie et en Europe (Hall, Jackson et Tandon, 2016). C’est dans cette mouvance que nous situons la reconnaissance récente de cet état de fait par l’Association des universités et des collèges du Canada (AUCC).

Les universités créent et mobilisent le savoir en collaboration avec les gouvernements, les collectivités, les organismes à but non lucratif, les entreprises privées et des partenaires étrangers, et souvent grâce au soutien de ceux-ci. Le savoir généré par les universités dans le cadre de ces partenariats est diffusé auprès de la population de multiples façons : publications, présentations, consultations d’experts, services et activités communautaires, contributions à l’élaboration des politiques publiques, activités de développement socioéconomique, valorisation de la recherche universitaire, etc.

AUCC, 2008, p. 71

Il existe certes des nuances importantes entre les propositions issues de la mouvance pragmatiste ou de l’approche des University Settlement et le concept de mobilisation des connaissances proposée par l’AUCC. D’une part, selon cette organisation, le rôle des universitaires consiste principalement à produire de nouvelles connaissances. D’autre part, toujours selon l’AUCC, le rôle des milieux non universitaires consiste à être les récipiendaires des « savoirs savants » afin de les appliquer dans une perspective développementaliste.

Dans les faits, les collaborations qui prennent place entre des universitaires et des non-universitaires sont plus complexes que le simple mouvement de transfert unilatéral présenté par l’AUCC. Les travaux de nombreux chercheurs (Barbier, 1977; Desroche, 1991; Goyette et Lessard-Hébert, 1987; Desgagné, 1997; Fontan, Bussières et Klein, 2014), réalisés au moins depuis le début des années 1970, nous montrent des relations entre ces deux entités caractérisées par des échanges bilatéraux où l’une apprend de l’autre. D’une part, ces études démontrent que les professionnels des milieux non universitaires ont des savoirs que les universitaires ne détiennent pas et que ces savoirs sont cruciaux dans la compréhension des phénomènes qu’ils étudient. D’autre part, il est aussi démontré que l’espace collaboratif de travail entre ces identités distinctes permet une émulation cognitive qui constitue en soi une valeur ajoutée dans le processus créatif mis en oeuvre. En d’autres mots, il se crée une atmosphère de travail qui prend la forme « d’une intelligence collective en action » (Noubel, 2007), laquelle émerge du partage d’idées et de la confrontation des expertises, des savoirs et des compétences propres à chacune des parties en présence.

Cela dit, la dimension « échanges bilatéraux » décrite par ces études est faiblement reconnue dans les universités canadiennes ou québécoises. Dans les faits, l’appareil universitaire est conçu à l’image d’une entreprise privée libérale. La production des connaissances est réalisée à partir d’une définition claire et hiérarchisée des rôles et des responsabilités. L’université a le devoir d’offrir à des clientèles diversifiées – étudiants, organisations ou entreprises – la somme des connaissances scientifiques à sa disposition. Il lui est demandé de le faire de façon de plus en plus efficace et efficiente. D’où l’apparition d’un nombre important de mécanismes de courtage des connaissances dont la fonction est d’assurer une diffusion du haut vers le bas, c’est-à-dire de la tour d’ivoire universitaire vers des publics ciblés.

Au début du 20e siècle, l’appel lancé par John Dewey (1938) pour une science ouverte sur la société, démocratisée, décloisonnée et ancrée dans des milieux de pratique, fonctionnant à la façon d’un immense laboratoire réflexif et critique en réponse à des aspirations, à des besoins ou à des enjeux sociaux, a donc été faiblement entendu et ne s’est pas concrétisé. Bien que cet appel ait été repris au début des années 1970, en lien avec les perturbations qui marquèrent la fin des années 1960, il n’a pas été réellement compris. Selon Jantsch (1969), pour affronter les défis environnementaux ou encore pour répondre aux aspirations portées par les différents mouvements sociaux de l’époque, les universitaires se devaient de penser leur profession en plaçant l’interdisciplinarité au coeur de leur travail. Pour Jantsch, il s’agissait carrément de refonder l’identité des grandes institutions, dont l’institution universitaire.

[traduction] La tâche n’est rien de moins que de construire une nouvelle société et de nouvelles institutions. Avec la technologie, qui est devenue l’agent de changement le plus puissant dans notre société, des batailles décisives seront perdues ou gagnées en fonction du sérieux avec lequel nous abordons le défi de la restructuration des « systèmes encadrant » le rapport entre la société et la technologie.

Jantsch, 1969, p. 8

Fort de réflexions et de pratiques plongeant leurs racines dans plus de 150 ans d’histoire, notre groupe de travail s’est demandé ce que nous avons collectivement retenu des appels ou des mots d’ordre lancés par nos prédécesseurs. Afin de porter un regard critique sur cette évolution, nous avons tenté de répondre aux questions suivantes.

  • En quoi et comment, au sein du réseau de l'Université du Québec, la recherche est-elle devenue une opération élargie de coproduction de connaissances, non seulement entre chercheurs universitaires, mais aussi et surtout entre ces derniers et des professionnels provenant de différents secteurs, milieux d’intervention et parfois de représentants de la population ?

  • La recherche « avec » est-elle une pratique courante au sein du réseau UQ ? Si tel est le cas, ce mode de fonctionnement « avec » exige-t-il et bénéficie-t-il de mesures institutionnelles particulières ?

  • À la lumière des apprentissages qui se dégagent de la « recherche avec » et du fait de travailler dans l’interdisciplinarité, en quoi et comment nous est-il possible de constituer un réseau de chercheurs et de mobiliser des acteurs de différents secteurs de la société québécoise afin d’amener nos institutions universitaires à valoriser cette posture épistémique et cette méthode de travail ?

Méthodologie

Lorsque nous avons entrepris cette recherche, l’objectif poursuivi était double. Dans un premier temps, nous voulions brosser un portrait des différents types de « recherche avec » présents dans chacune des entités du réseau UQ membre de notre collectif de recherche. Cette opération nous a permis de recenser, à partir d’un questionnaire et d’une recension de pages web, la présence de différentes activités de « recherche avec ». Dans un deuxième temps, nous voulions (1) creuser et approfondir notre compréhension des processus utilisés pour faire de la « recherche avec », et (2) identifier les modalités institutionnelles de support à ces activités existant au sein du réseau UQ. Pour réaliser cette opération, nous avons produit de courtes études de cas sur des recherches partenariales effectuées dans chacune des entités universitaires concernées.

Les questionnaires que nous avons administrés pour repérer différents types d’activités de recherche demandaient aux chercheurs d’indiquer, parmi un choix de types de « recherche avec », celles qu’ils pratiquaient. Il leur était demandé de préciser :

  • le nombre de « recherches avec » effectuées au cours des cinq dernières années;

  • leur département d’attache;

  • leurs champs de recherche.

Nous avons complété cette information de base par des données extraites des sites Internet présentant des activités de recherche développées par les répondants. Pour chacune des définitions proposées par les répondants pour qualifier ce qu’ils ou elles faisaient, nous leur demandions de définir chacun des termes. Ceci nous a permis de capter l’étendue des champs sémantiques propres à chacun des termes utilisés.

Enfin, nous avons caractérisé la nature des projets et leur importance. Pour chacun des projets de recherche, nous demandions d’indiquer les principaux thèmes des recherches réalisées en partenariat. Sur l’ampleur des projets, nous demandions de quantifier, en moyenne, le nombre de partenaires du milieu, le nombre de chercheurs universitaires impliqués, le nombre d’étudiants mobilisés et le budget moyen à leur disposition.

Pour la production des études de cas, notre grille d’entrevues comportait cinq grandes catégories de questions. Dans un premier temps, il s’agissait d’obtenir des informations générales sur le projet de « recherche avec ». Dans un deuxième temps, nous avons porté notre attention sur les conditions de mise en marche de l’étude en examinant les modalités de définition du projet, la répartition des rôles et des responsabilités entre les parties prenantes, le processus de gouvernance et enfin les formes d’appui institutionnel. Dans un troisième temps, nous avons passé en revue les grandes étapes de réalisation de l’étude en vérifiant comment se définissaient les rôles et les responsabilités des acteurs en présence. Le quatrième temps était consacré aux résultats de la recherche. Cela nous a permis d’identifier les mécanismes de valorisation des savoirs, les rôles et les responsabilités de chacun et la nature des connaissances produites. Enfin, le dernier temps portait sur l’évaluation de la démarche conjointe de recherche. Cela fut examiné sous deux angles. Premièrement, cette activité de « recherche avec » a-t-elle ou non donné lieu à un bilan évaluatif ? Deuxièmement, nous voulions savoir, dans la mesure du possible, en quoi le produit final représentait ou non un croisement réel de savoirs.

Pour chaque entité institutionnelle de notre collectif de travail, l’équipe désignée était composée d’un ou d’une chercheure et d’un ou d’une étudiante. Ces cellules de travail avaient à leur disposition une banque de noms de chercheurs de leur université auxquels il était jugé adéquat de faire parvenir un questionnaire[11] à remplir, et sur qui il serait possible de compter pour la réalisation de deux ou trois études de cas.

Résultats de l’étude sur la « recherche avec » dans le réseau UQ

Le questionnaire

Nous avons présélectionné six concepts pour qualifier la « recherche avec » : recherche-action, recherche-action participative, recherche participative, recherche-intervention, recherche collaborative, recherche appliquée, recherche partenariale et recherche commanditée. Sans grande surprise, les définitions données par les répondants révèlent le caractère polysémique des termes utilisés.

À partir des six termes de référence proposés pour qualifier les activités de « recherche avec », trois grandes catégories de recherche non fondamentale se dégagent.

Une première catégorie regroupe des termes tels recherche-action, recherche collaborative ou recherche partenariale. Selon les réponses obtenues, l’élément clé de cette première famille conceptuelle repose sur les modalités de travail, lesquelles sont dites collaboratives. Sur cet aspect, l’accent varie en fonction de nuances légères entre les termes utilisés et entre les conditions mises en place pour travailler ensemble : cadre plus ou moins formel de collaboration ou d’engagement, volonté plus ou moins affirmée de transformation sociétale.

Une deuxième catégorie est centrée sur la notion de recherche appliquée. L’accent est placé sur l’application technique de connaissances scientifiques par des personnes non universitaires.

La troisième catégorie qualifie la recherche commanditée, laquelle met l’activité de recherche ou la collaboration au service d’organisations privées, publiques ou sociales. Au coeur de cette démarche, nous retrouvons la production de connaissances en réponse à un besoin exprimé uniquement par une ou des organisations non-universitaires donneuses de directives. Pour la recherche en commandite, l’accent est placé sur la relation financière de dépendance à l’égard du bailleur de fonds dans l’optique de produire une connaissance qui lui sera utile pour le fonctionnement de son organisation ou de son secteur. En ce qui a trait aux recherches appliquées et commanditées, les éléments distinctifs sont liés à la finalité visée. La recherche appliquée, est-il indiqué, vise essentiellement à modifier des pratiques par un transfert plus systématique de compétences ou d’expertises.

Portrait général de l’activité de « recherche avec »

Les répondants ont identifié une grande variété de thèmes de recherche pour qualifier le champ des recherches effectuées « avec ». Il est très difficile de dégager un portrait clair tant les thèmes abordés sont diversifiés. Ils touchent presque l’ensemble des domaines disciplinaires universitaires, bien que nous trouvions, du fait de la sous-représentation de répondants issus du domaine des sciences de la nature, une plus grande concentration de projets dans le grand domaine des sciences de la culture. Autre point intéressant, les projets sont souvent définis en fonction de problèmes à résoudre, de réponses à trouver à des enjeux sociaux, culturels, organisationnels ou environnementaux.

En général, les répondants ont indiqué avoir majoritairement réalisé entre un et cinq projets de « recherche avec » au cours des cinq dernières années. Peu de chercheurs ont effectué plus de dix projets dans cette période de temps. En général, les projets regroupaient majoritairement un petit nombre de partenaires (un à quatre), moins de projets mobilisaient entre cinq et neuf partenaires, et rares étaient les projets mobilisant plus de dix partenaires. La même situation prévalait pour le nombre de chercheurs membres de l’équipe.

La plupart des équipes regroupaient entre un et deux chercheurs, et un peu moins entre trois et quatre chercheurs. Plus rares étaient les projets regroupant plus de cinq chercheurs. Le même constat s’applique pour le nombre d’étudiants ou d’étudiantes mobilisées. Le nombre de partenaires par projet varie aussi en fonction de la même courbe que le nombre de chercheurs et d’étudiants impliqués. Il est intéressant de noter que les partenaires proviennent principalement, mais pas exclusivement, des milieux associatifs (société civile, mouvements sociaux) et plus marginalement d’agences gouvernementales (incluant les trois paliers de gouvernement).

En ce qui a trait aux budgets afférents aux projets, ils varient entre de petits montants (moins de 1 000 dollars par an) et des budgets très importants (plus de 100 000 dollars par année). La moyenne des projets se situe dans une fourchette variant entre 15 000 et 50 000 dollars par année. Bref, plus un projet est doté d’un budget substantiel, plus il tend à mobiliser des ressources humaines et organisationnelles importantes, et plus il est en mesure de se pencher sur des questions ou des enjeux qui peuvent avoir un impact multi-scalaire et intersectoriel.

Malgré un taux de réponse relativement faible, nous pouvons tout de même observer que la « recherche avec » est bien présente dans les différents milieux étudiés. Si elle prend souvent la forme de petits projets, elle peut aussi prendre la forme de projets plus importants bénéficiant de subventions substantielles et qui, dans plusieurs cas, impliquent un grand nombre de chercheurs, d’étudiants et de partenaires. Cela laisse entendre que la « recherche avec » n’est pas marginale et qu’elle fait partie intégrante de la boite à outil des chercheurs du réseau UQ.

Tableau 1

Synthèse des données quantitatives par université répondante du réseau UQ

Synthèse des données quantitatives par université répondante du réseau UQ

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Les études de cas

Les équipes de recherche des six constituantes ont réalisé dix-sept entrevues auprès de répondants du milieu universitaire qui ont coordonné des projets de « recherche avec ». Les données que nous avons colligées portent minimalement sur dix-sept projets[12]. Dans les faits, les répondants ont mobilisé des connaissances issues de leur expérience générale de « recherche avec » tout en exemplifiant les réponses à nos questions à partir d’un cas spécifique. Dès lors, la base de référence est plus large que les dix-sept études de cas que nous avons réalisées.

Nous présenterons les données recueillies en fonction des entrées suivantes : l’appui institutionnel, les conditions de mise en marche de l’étude, la réalisation de celle-ci, les produits ou retombées de la recherche et l’opération bilan.

L’appui à la recherche

L’appui à la recherche renvoie à plusieurs dimensions. La première est financière. Sur ce plan, tous les projets étaient dotés d’un financement provenant majoritairement des grands fonds canadiens ou québécois d’appui à la recherche. Un nombre appréciable de projets pouvaient aussi compter sur un financement complémentaire provenant d’autres sources (en espèces ou en nature), dont les partenaires du projet par exemple. Un très petit nombre de projets comptaient uniquement sur un financement provenant des organisations partenaires.

La deuxième dimension touche aux infrastructures à la disposition des équipes de recherche. Lorsque le financement provient d’un grand fonds de recherche, l’université hôte du projet reçoit un budget pour soutenir les activités de recherche[13]. Lorsque le financement provient de sources extérieures, la nature de l’entente fait en sorte que l’université peut recevoir ou non une contrepartie financière des bailleurs de fonds (prélèvement allant de 0 % à 40 % du montant transféré). La nature de l’aide institutionnelle est relativement standard et se traduit généralement par le support à la gestion administrative (comptabilité générale et responsabilité juridique éthique), l’allocation d’espaces de travail et l’accès à des infrastructures de télécommunication.

La troisième dimension est juridique. Elle renvoie aux formalités liées au volet éthique, à l’établissement d’une entente ou d’un contrat légal entre l’équipe de recherche et les partenaires liés au projet. Cette dimension prend de plus en plus d’importance en milieu universitaire puisque tout mouvement d’argent (entrée-sortie) doit maintenant être lié, d’une façon ou d’une autre, à une « convention de partenariat » ou à un « contrat de service ». Cette dimension juridique relève d’une double responsabilité : du directeur ou de la directrice du projet de recherche et de l’institution d’attache. Généralement, les universités sont dotées d’un service des partenariats et de la recherche, lequel prend en charge cette opération. Advenant un conflit lié à une question d’ordre éthique, lorsqu’il y a une entente partenariale ou un contrat de service, les services juridiques de l’Université prennent en charge les opérations qui suivent si et seulement si le contrat ou la convention établissent clairement des règles à cet égard. Dans le cas contraire, la responsabilité relève généralement du chercheur ou de l’équipe de recherche.

À la question posée aux répondants relativement à l’appui institutionnel reçu, toutes les personnes ont fait référence à ces dimensions. Toutefois, pour les répondants de l’UQAM, l’appui institutionnel pouvait faire référence à un cas de figure particulier : celui d’un projet lié à la Politique 41 relative aux Services aux collectivités[14]. L’UQAM s’est dotée d’une politique de services aux collectivités en 2008. Cela permet aux projets de recherche qui conviennent aux critères de la Politique d’être encadrés par une agente de développement du Service aux collectivités (SAC) afin d’accompagner la démarche de « recherche avec ». Les trois cas de l’UQAM ont été réalisés sous le chapeau institutionnel de la Politique 41 et ont bénéficié de l’appui du personnel du SAC.

L’élément-clé de cet appui repose sur la mise à disposition d’une agente de développement qui joue, entre autres choses, un rôle de médiatrice entre l’équipe universitaire de recherche et les partenaires du projet de « recherche, de formation ou d’accompagnement avec ». Par cette Politique peuvent aussi être mobilisés des fonds particuliers pour des projets de recherche ou de formation « avec » qui auront été retenus[15]. De plus, un système de dégrèvements par concours, permet aussi, d’alléger la tâche de travail des chercheurs qui en font la demande.

Tout comme à l’UQAM, plusieurs autres composantes du réseau UQ ont des dispositifs qui permettent de soutenir la recherche avec le milieu. Cependant, contrairement au SAC, ces dispositifs n’ont pas formalisé des procédures d’appui adaptées aux besoins spécifiques de la « recherche avec ». Dans les autres institutions du réseau, le soutien a été de type standard (locaux, accès à de l’équipement informatique, etc.) et comporte donc peu ou pas de soutien spécifique en raison de la nature spécifique et des exigences particulières de la « recherche avec » (dont la question des négociations entourant la gestion du projet partenarial, les activités de suivi avec le ou les partenaires, etc.).

Définition du projet

Par définition du projet on entend le mode opératoire qui a conduit à la réalisation d’une étude « avec ». De l’ensemble des projets retenus, il se dégage trois modalités distinctes qui conduisent au développement d’un partenariat ou d’une démarche de recherche collaborative.

La première modalité est une demande formellement adressée à un chercheur ou à une équipe de recherche par un représentant d’une ou de plusieurs organisations. Ce cas de figure est le plus souvent mentionné par les dix-sept répondants. Il est important d’indiquer qu’un historique de collaboration entre des chercheurs et des représentants de divers milieux produit souvent un climat de confiance et se traduit par des mises en interface régulières ou occasionnelles. Cela favorise des échanges en continu entre ces personnes et permet parfois l’émergence de projets de « recherche avec ». Dans ce sous-cas de figure, le projet est en quelque sorte coconstruit et il émane de l’atmosphère de collaboration qui se développe entre des chercheurs et des praticiens.

La deuxième modalité est une étude conduite en réponse à un appel d’offres de type « action concertée ». Généralement, l’appel d’offre est lui-même le produit d’une démarche concertée entre des acteurs socioéconomiques et des instances subventionnaires[16]. L’appel représente une invitation adressée à des chercheurs universitaires à réaliser une ou des études à partir de processus classiques de recherche ou à l’aide d’un processus de travail collaboratif. Au moins deux des études de cas de notre population s’inscrivaient dans cette modalité de travail collaboratif.

La troisième modalité est un projet de recherche conçu et planifié par un chercheur et qui demande, pour être réalisé, une forme active ou passive de collaboration avec un ou des milieux particuliers. La démarche donne alors lieu à des formes actives de collaboration, avec une implication réelle des partenaires, ou à des formes passives de collaboration, principalement pour répondre à des questions techniques. Les deux cas étudiés qui s’inscrivaient dans cette catégorie ont donné lieu à une forme active de collaboration.

Bien que ces trois modalités constituent autant de points d’entrée pour lancer une opération de « recherche avec », la majorité des cas que nous avons étudiés représentent une réponse à une demande formulée par un acteur ou des acteurs non universitaires. Dès lors, une des opérations importantes, une fois acceptée la proposition de travailler ensemble, a consisté à clarifier la nature de la demande de recherche en vue de coproduire un devis de recherche.

Déroulement du projet – rôles et responsabilités

Tous les projets étudiés ont mis en relation des chercheurs et des partenaires de recherche. Cette mise en relation a donné lieu à deux types de processus. Un premier, que nous qualifions de formel, a vu la démarche dans son ensemble être encadrée par un Comité de suivi. Ce dernier avait pour fonction de regrouper les parties prenantes avec ou sans la présence d’une personne jouant le rôle d’agent de développement. Les trois projets de l’UQAM entrent dans la catégorie incluant un agent de développement.

Un deuxième processus, moins formel, repose sur des rencontres entre l’équipe de recherche et la ou les personnes représentant les partenaires. Aucun processus de médiation n’est alors présent et cette fonction est prise en charge par l’équipe universitaire de recherche.

La présence d’un ou d’une agente de développement de projet facilite l’organisation des réunions, assure une compréhension mutuelle des étapes, permet de traiter de possibles points de tension et assure une participation réelle de l’ensemble des parties prenantes à toutes les étapes de la démarche.

En fonction des données récoltées auprès des répondants, ces étapes peuvent être regroupées en trois temps distincts.

Le premier temps est consacré à la clarification de la question de recherche. Bien qu’une demande ait été formulée, sa systématisation en question de recherche exige souvent qu’elle soit retravaillée afin de lever les ambigüités, de déterminer ce qui est scientifiquement réalisable ou non et de valider la compréhension commune de la démarche à enclencher. Normalement, ce moment permet de préciser les rôles et les responsabilités de chacun et surtout de prévoir les modalités des suites à donner à l’étude. Ce premier temps de travail est un temps fort de collaboration où les parties impliquées sont très actives. Cela se traduit par la formulation d’un devis de recherche, d’un contrat ou d’une entente de service, et d’une demande d’approbation éthique. Le niveau d’excitation est élevé de part et d’autre.

Le deuxième temps est celui de la réalisation de l’étude. Théoriquement, ce temps devrait en être un de collaboration intense. Les données recueillies nous indiquent que les échanges tendent à être moins intenses lorsque le projet n’est pas doté d'un Comité de suivi, ce qui peut se traduire par des décisions prises unilatéralement par l’équipe de recherche (concernant le choix des outils méthodologiques, par exemple). Les données indiquent aussi, que, plus le travail de collaboration pendant l’étude permet des rapprochements entre les deux cultures, par la vulgarisation des données (tableaux, schémas, cartes, graphiques, etc.) ou par la clarification par l’acteur du sens à donner à certaines données ou pratiques, plus le travail d’appropriation des résultats et du sens à donner aux résultats se fait facilement entre les deux parties. Il résulte de cette intensité un effet positif : au moment où sont interprétés les résultats, la qualité de la communication entre les parties est généralement au rendez-vous. En d’autres mots, cette étape en est une non seulement de collecte des données pour le chercheur, mais aussi d’appropriation par l’acteur de ce que signifie et représente la réalisation concrète d’une recherche scientifique. Ces observations ne sont pas surprenantes et sont largement évoquées par différents théoriciens de la recherche-action. Ces derniers rappellent l’importance de travailler au sein d’un espace collaboratif pleinement assumé qui assure un réel croisement des savoirs de chacun, chercheur et praticien (Desgagné, 1997; Dumais, 2011; Gillet et Tremblay, 2011 et 2016; Divayet al., 2016, Lafranchiseet al., 2017). Ces auteurs rappellent aussi que la recherche partenariale implique l’établissement d’un rapport égalitaire, équitable et d’interdépendance entre les chercheurs et les partenaires ou collaborateurs, ainsi que l’engagement dans un processus de coconstruction de l’objet, des objectifs, de la démarche de recherche et des savoirs produits.

Enfin, au temps fort de cette deuxième étape, des rencontres de travail formelles ou informelles (par téléphone, par échange de courriel, etc.) prennent place à certains moments, pour valider le contenu des rapports intermédiaires ou afin de contourner certains problèmes (comme l’accès à des données manquantes ou à des personnes difficiles à mobiliser pour des entrevues).

Le troisième temps de l’administration de la « recherche avec » est celui de la production du ou des rapports finaux ou du ou des autres types de résultats de la recherche, sous différents formats possibles (guide de formation, vidéo, etc.). Ce moment représente un retour en force des rencontres entre les membres du groupe. Il exige souvent une mise à niveau de l’information auprès des partenaires. Cette dernière étape leur permet de s’investir dans la coécriture d’éléments centraux du rapport final. Ce temps, dit à la fois de validation et de coanalyse, est crucial dans le renforcement de la collaboration. Si le premier temps scelle l’entente de collaboration, le temps trois remet tout en perspective.

D’une part, les partenaires doivent intégrer les données qu’ils produisent ou qu’ils examinent sous un jour nouveau. Il s’ensuit un sentiment d’extériorité qui exige d’eux un effort d’appropriation. Plus la relation de collaboration « avec » aura été continue et engageante, moins cette distanciation opérera et plus les partenaires auront l’impression que les données leur appartiennent.

D’autre part, il s’agit de valider les grands constats qui se dégagent de l’étude et les éléments d’analyse présentés par les chercheurs (sous la forme d’un document martyr[17], car l’écriture est non finalisée). Ce moment peut être difficile, de part et d’autre, puisque les données, les constats et les éléments d’analyse peuvent aller dans une direction autre que celle initialement envisagée par le ou les partenaires au moment où l’étude a été lancée. Le paradoxe est le suivant : une étude permet parfois de trouver exactement ce qu’on cherche, mais souvent elle informe moins sur ce qui était recherché que sur des éléments intéressants mais non recherchés par les partenaires (effets non attendus).

Ce moment peut aussi être très délicat pour l’équipe de recherche qui peut voir se dessiner un sentiment d’insatisfaction ou d’incompréhension chez le ou les partenaires. Si tel est le cas et que l’université dispose d’un mécanisme d’appui à la recherche partenariale, la médiation d’un ou d’une agente de développement de projet devient un élément crucial pour diminuer la distance ou les tensions entre les parties engagées dans le processus de recherche.

Ce troisième temps est souvent un moment de reconfiguration de la qualité de la relation entre l’équipe de recherche et le ou les partenaires. Reconfiguration au cours de laquelle la légitimité du ou des chercheurs est confirmée – le niveau de confiance s’élève alors d’un cran, – ou remise en question, et le niveau de confiance s’abaisse. Cette reconfiguration affecte aussi le ou les chercheurs qui peuvent modifier positivement leur perception de la capacité du partenaire de composer avec les résultats présentés, ou négativement si ces derniers remettent le processus en question du fait que les résultats ne vont pas dans la direction voulue.

Nous avons qualifié les rôles observés et les responsabilités incombant aux membres de l’équipe universitaire, au groupe de partenaires et, le cas échéant, au service facilitateur, en fonction d’une entrée binaire : rôle de leader et rôle d’appui ou d’accompagnateur. Le tableau suivant résume les principales tendances observées pour chacune des grandes étapes des processus de « recherche avec » décrits dans les études de cas que nous avons réalisées.

Tableau 2

Étapes de travail et rôles et responsabilités des parties prenantes[18]

Étapes de travail et rôles et responsabilités des parties prenantes18

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Bien qu'une relation partenariale implique une participation pleine et entière des partenaires à toutes les étapes de la conduite d'une activité de recherche, nos expériences témoignent de formes d'implication qui sont nuancées. L’ensemble du processus indique que les étapes situées en amont du processus de recherche sont plus souvent sous le leadership des partenaires que de l’équipe de recherche. La situation est nuancée pour la diffusion des résultats en aval. Les acteurs sont très actifs dans le champ de leur domaine d’action mais jouent un rôle très effacé lorsque le domaine d’action n’est pas le leur. En ce qui a trait à l’analyse des résultats en montval, ce travail est principalement fait par les universitaires. Ils construisent l’argumentaire central, qui sera plus ou moins retravaillé par les partenaires. Il apparaît donc que la conduite des activités de recherche (l'enquête à proprement parler dans sa dimension méthodologique et empirique) de recherche relève principalement du rôle et des responsabilités des chercheurs universitaires. C’est à ce niveau que leur expertise centrale se déploie, et c’est d’ailleurs ce que le ou les partenaires attendent des chercheurs.

La mise à plat des rôles et des responsabilités rend compte de « qui fait quoi et quand » dans l’espace de collaboration. Cet espace constitue une scène d’interaction où prennent place des transactions au sens où l’entend John Commons.

Toute transaction repose en effet, selon Commons, sur des « règles opérantes » (working rules), qui se présentent pour l’essentiel comme des règles juridiques encadrant le comportement individuel. Ces règles opérantes indiquent ainsi ce qu’un individu peut ou ne peut pas faire, doit ou ne doit pas faire, dans le cadre des transactions.

Beaurain et Bertrand, 2009, p. 17

En d’autres mots, les parties prenantes amènent avec elles un bagage de préconceptions sur la façon dont chacun doit se comporter pendant le déroulement d’une transaction sociale (une activité de recherche est un exemple de transaction sociale). Pour les parties prenantes, le fait que l’espace soit transactionnel, donc sujet à négociation, signifie que la scène peut devenir un espace propice à la redéfinition des règles du jeu. D’une part, par sa nature même, le processus de travail collaboratif, s’il n’est pas déjà objet d’une appropriation par les parties prenantes, demandera à l’être. Par exemple, il peut être exigé des étudiants embauchés qu’ils soient formés à la méthode et à la posture de la recherche-action. Sur ce point, les répondants ne nous ont pas indiqué avoir tenu des activités formelles de formation et ont plutôt travaillé en mode formatif, « sur le tas ». D’autre part, l’activité de recherche se double aussi d’une activité de négociation pour la redéfinition des rôles et des responsabilités. La non-prise en compte de cette dimension peut entrainer des tensions et générer des conflits. La présence d’un ou d’une agente de développement facilite la prise en compte, par la médiation, de la dimension de la négociation.

La scène de collaboration a la caractéristique de permettre des actions improvisées en ménageant des moments où les acteurs peuvent sortir de sentiers prédéfinis pour agir sur la base de registres d’action différents. Un partenaire de recherche, en fonction des connaissances émanant de sa profession et de son expérience, en lien avec la nature des résultats présentés par l’équipe de recherche, peut remettre en question la qualité de la méthodologie de cueillette de données. Il joue alors un rôle de critique « scientifique ». De la même façon, les résultats émanant de l’enquête de terrain peuvent amener le chercheur à produire une analyse proposant des changements importants au niveau organisationnel. Il s’approche alors du rôle de « consultant critique ».

Bien que le processus d’enquête ou de formation relève principalement de l’expertise de l’équipe de recherche, tant la participation des partenaires que la présence de l’agent de développement sont essentiels. Plus le partenaire est en mesure de jouer un rôle de cochercheur ou de coformateur actif, plus le croisement des savoirs et la coproduction réelle de connaissances peuvent advenir, et plus également la diffusion et le transfert peuvent percoler. Les données que nous avons colligées ne nous ont pas permis de mesurer de façon précise le niveau de participation des partenaires à chacun des moments clés de l’administration du processus de recherche. De même, nous n’avons pas été en mesure de statuer sur la nature et la qualité du croisement des savoirs qui a pris place entre les champs disciplinaires des chercheurs en cours de production du processus de collaboration.

La finalisation des rapports de recherche met la table pour la dernière étape du processus collaboratif, celle portant sur la valorisation des résultats. Sur ce point, les données recueillies ne nous permettaient pas de bien distinguer les opérations de diffusion et celles du transfert. Nous les avons donc placées dans la même phase du processus. Dans la réalité, ces activités sont distinctes et reposent sur un environnement particulier de travail et sur une durée pouvant s’étendre sur plusieurs années. La mesure de la dimension « diffusion des connaissances » est généralement plus facile à réaliser que celle portant sur le transfert des connaissances. La mesure du transfert exige des outils plus sophistiqués et finement conçus. Si la diffusion permet d’observer l’ampleur de l’étendue de la dispersion de connaissances, elle ne permet pas de comprendre en quoi et comment ces connaissances sont comprises, acceptées et intégrées. La qualité de l’opération de transfert permet de mesurer le niveau réel d’appropriation des connaissances découlant d’une « recherche avec ». L’activité de transfert est effective à partir du moment où des changements sont observables dans les comportements, les façons de faire ou de penser, les attitudes, les valeurs ou sur l’intégration de nouvelles croyances[19].

Retombées du projet

Les partenaires impliqués dans des activités de « recherche avec » aimeraient que tous les résultats de leurs recherches puissent marquer l’imaginaire et avoir un impact important sur la société. Dans les faits, les retombées de travaux de recherche, d’activités de formation ou d’accompagnement sont difficilement perceptibles et difficilement évaluables à court terme.

La majorité des répondants ont indiqué que les recherches « avec » donnent lieu à la production de rapports écrits plus ou moins vulgarisés. Par la suite, ces rapports se traduisent en articles universitaires et en communications faites auprès de membres de la communauté scientifique. Ces rapports se traduisent aussi par la production de documents de vulgarisation ou par des présentations destinées à une audience non universitaire. Bref, généralement, ces activités reposent sur la production d’une écriture relativement abstraite.

La fonction première de la recherche est d’appuyer et d’accompagner des prises de décision. Les processus de recherche « avec » étudiés au sein des constituantes du réseau UQ se terminent généralement par la production d’informations présentées dans des rapports. Ces informations demandent généralement à être traduites et appliquées dans l’action. Peu de répondants nous ont indiqué avoir développé un plan d’action qui présentait des propositions concrètes pour appliquer les connaissances coproduites.

À partir de l’analyse du problème ou de la question travaillée conjointement par une équipe de recherche, il est possible (ce n’est pas le cas pour toutes les recherches-actions) de dégager des constats et d’établir des pistes d’action à caractère technique, politique ou éthique. Bien que le rendu politique d’une recherche ne relève généralement pas de ce qui est attendu du chercheur ou de ce que le chercheur comprend comme relevant de ses responsabilités, il est constitutif, nous disent HirschHadorn et Pohl (2007), du processus entourant la relation de recherche « avec ». Selon ces auteurs, le travail de recherche « avec » permet de produire :

  • des connaissances informatives (qui révèlent et éclairent une question pour permettre d’en comprendre la genèse et la dynamique);

  • des connaissances sur les causes ou les effets (donc en fonction de problèmes précis);

  • des connaissances visant à changer les choses, à transformer les façons de faire ou d’être afin d’encourager de nouveaux comportements.

Tout projet de recherche « avec », étant itératif et délibératif, pourrait théoriquement permettre la production de ces trois types de connaissance. Parmi les processus de recherches étudiés, la plupart ont facilement permis la production des deux premiers types indiqués. Le troisième relève d’un niveau de collaboration avancé. Il comporte des exigences particulières et requiert des conditions qui ne vont pas de soi.

De plus, le processus de recherche, comme nous l’avons indiqué pour les cas étudiés, est un espace d’investissement et de mobilisation où les acteurs ont à exercer un leadership partagé et une forme active d’accompagnement. Si, pour les acteurs, leur présence se résume à être distants et passifs, il s’ensuivra des modalités de travail où l’implication dans la production des connaissances couvrira les trois premières catégories de la grille de Wiek (2007). La quatrième sera rarement atteinte.

  1. Unidirectionnelle : attitude partagée de rôle de consultant;

  2. Bidirectionnelle : attitude reposant uniquement sur l’échange partagé d’informations (forme de croisement des savoirs de premier niveau);

  3. Collaborative : échange d’informations, analyse conjointe et production de nouvelles connaissances à partir de l’apport des chercheurs et des praticiens;

  4. Décisionnelle : au-delà de la coproduction de nouvelles connaissances, l’alliance se poursuit pour agir, prendre des décisions et les porter politiquement auprès des instances concernées ou visées. Au-delà de coproduire des connaissances, il s’agit alors de coproduire un changement ou une transformation sociale.

Aucun des répondants n’a indiqué s’être contenté du premier niveau d’implication. Les cas étudiés se situaient plus entre l’échange bilatéral et la collaboration (niveaux 2 et 3). Nous n’avons aucune indication suggérant que les projets de « recherche avec » étudiés ont atteint le quatrième niveau d’implication. Il est certain que le niveau de confiance joue un rôle important pour atteindre cette catégorie relationnelle.

Les données recueillies permettent de faire l’hypothèse que plus le niveau de confiance est élevé, plus la compréhension des identités de chacun est communément comprise et acceptée, et plus chacune des parties est à l’aise et s’investit dans la production et la valorisation des résultats.

En fin de processus, les répondants ont témoigné de niveaux de satisfaction très différenciés. Si tous les répondants se sont dits convaincus de la pertinence de cette posture et méthode de travail, tous les projets auxquels ils ont participé ne leur ont pas toujours donné pleine satisfaction.

Évaluation et suivi

On pourrait souhaiter que tout projet de collaboration se termine par un retour critique, mais aucun répondant ne nous a fait mention de la réalisation d’un tel retour. Sans aller jusqu’à dire qu’il n’y a pas eu de rétroaction verbale, il est clair que les démarches n’ont pas donné lieu à un processus formel d’évaluation. En revanche, la plupart des répondants ont indiqué poursuivre des recherches de cette nature, parfois avec les mêmes acteurs, souvent avec d’autres.

En termes de suivi, pour un ensemble de raisons, peu de collaborations se traduisent par un engagement avec un même partenaire pour plus d’une activité de recherche, de formation ou d’accompagnement. La situation rencontrée en est plus une de butinage où les collaborations avec des organisations ou des acteurs se font sur une période de temps relativement courte.

L’étude exploratoire et mobilisatrice que nous avons réalisée nous permet de dégager un certain nombre de propositions et d’hypothèses raisonnables sur l’environnement de la « recherche avec » dans le réseau UQ. Elle nous permet aussi de valider le besoin de structurer la réflexion à l’échelle québécoise sur cette posture et méthode de travail.

Sur le premier point, la « recherche avec » est bien présente dans chacune des universités ayant collaboré à notre étude. Nous avons observé une présence forte de ce mode de production de nouvelles connaissances sans pouvoir dire que nous avons été en mesure de générer un portrait exhaustif rendant compte de l’étendue disciplinaire, de la variété et de la diversité de formes non classiques de recherche au sein de ce réseau.

Il est intéressant de noter, malgré la pluralité des termes utilisés, une convergence sur les façons d’en parler qui rend compte d’une posture éthique et d’une méthodologie de travail relativement commune. Nous avons choisi de qualifier cet « esprit commun » par le terme « recherche avec ».

Les éléments communs relèvent de deux dimensions. Premièrement, il y a une volonté de travailler à la production de connaissances à partir d’une relation qui va au-delà d’un rapport contractuel. Nous ne sommes pas dans un environnement de demande de connaissances (par l’acteur du terrain) et d’offre de service (par le ou la chercheure universitaire). Nous nous retrouvons plutôt dans une situation où l’activité de recherche implique la construction d’un espace commun de travail qui s’inscrit sur une scène dialogique et itérative.

Sur ce point, nous observons trois situations. La scène de travail, l’espace collaboratif qui permet la construction d’un forum-hybride (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001) s’inscrit dans un spectre allant de la scène informelle à la scène institutionnalisée. La scène informelle est représentée par des mises en relation peu structurées et relativement peu structurantes. Elle repose sur des rencontres fortuites ou qui sont liées à des intérêts communs entre des représentants universitaires et des acteurs du terrain. La scène institutionnalisée présente au moins trois cas de figure.

  • Des collaborations qui prennent place au sein d’un programme de recherche ou d’un centre de recherche. Dans la très grande majorité des cas, le programme ou le centre sont liés à des fonds subventionnaires canadiens ou québécois. Le cadrage est alors fortement ancré dans la culture universitaire de recherche.

  • Des collaborations qui prennent place à partir d’une structure formelle de médiation, tel le Service aux collectivités de l’UQAM. Dans ce cas, bien que cette structure soit logée à l’université, elle fut définie de façon partenariale afin de jumeler universitaires et acteurs du terrain dans la cogestion des activités de cette dernière. Le cadrage se veut hybride au sens où il tient compte des intérêts et des préoccupations de recherche provenant du milieu universitaire et d’organisations représentantes de secteurs de la société civile.

  • Enfin, des collaborations semi-formelles prenant la forme de conditions facilitantes proposées ou mises en place par l’administration d’une université. Sur ce point, notre étude a permis tout au plus d’identifier des éléments de ce modèle sans pouvoir dégager une vue d’ensemble aussi claire que pour les deux autres.

Deuxièmement, selon les propos que nous avons recueillis auprès des répondants, le processus et la dynamique de « travail avec » rend compte de grandes étapes qui sont sensiblement les mêmes dans chaque université. Sans reprendre ces dernières, qui vont de la rencontre et de la définition du devis de recherche à la diffusion des résultats, nous avons aussi observé une distribution des rôles et des responsabilités qui demeure similaire lorsque les projets de recherche sont réalisés sans la présence d’une personne ayant pour mandat d’animer et de gérer la rencontre entre chercheurs universitaires et acteurs du terrain. Nous pensons très spécifiquement au contexte de travail lorsque le projet transite par le Service aux collectivités de l’UQAM.

En simplifiant, nous observons une rencontre d’intérêts liée à la volonté de production de nouvelles connaissances, dans laquelle les expertises des parties prenantes sont mises en relation de deux manières différentes. Les expertises peuvent être mises en relation en respectant les terrains de chacun d’entre elles. Le travail de coproduction des connaissances est alors minimal et relativement conventionnel. La mise en relation des expertises peut, au contraire, voir les parties prenantes explorer et agir sur le terrain l’une de l’autre. Les entrevues nous ont permis d’observer ce phénomène uniquement du point de vue de la recherche universitaire. Il nous faudrait compléter notre travail auprès de répondants et répondantes non universitaires.

Agir ou non sur le terrain de l’autre s’inscrit dans une dynamique où les identités se transforment par et dans la relation. L’acteur du terrain, en participant à la collecte et à l’analyse des données, devient en quelque sorte un ou une cochercheure à part entière. De la même façon, le ou la chercheure qui s’investit au point de prendre une posture d’acteur dans la définition d’actions à engager à la suite de la réalisation d’une étude menée de façon conjointe avec l’acteur du terrain sort de sa zone de confort et des balises du métier de chercheur. Il est intéressant de noter que l’appel au changement d’identité peut provenir tant de l’équipe universitaire que de l’acteur du terrain. Dans le premier cas, l’universitaire demande à l’acteur, ou lui fait saisir l’importance de s’approprier la culture de recherche, à la fois pour faciliter la conduite du projet qu’ils ont en commun et pour développer son pouvoir d’agir en matière de recherche conduite par le milieu. Dans le deuxième cas, l’acteur demande à l’universitaire, ou lui fait saisir l’importance d’adopter la posture politique du terrain. Ce brassage identitaire peut se faire sans heurts, comme il peut engendrer des tensions et parfois des conflits. La présence de personnes à l’interface de ces univers, à l’image de la situation créée par la présence d’agents de médiation de projets de recherche – situation rencontrée au SAC –, est cruciale pour faciliter l’atterrissage en douceur des errances identitaires.

Concernant la dimension mobilisatrice, notre étude exploratoire confirme l’importance de mettre sur pied un mécanisme québécois de réflexion et de réseautage sur la « recherche avec ». Assez curieusement, outre le travail réalisé au Service aux collectivités et dans quelques centres ou équipes de recherche, il se fait peu de travail de systématisation et de théorisation sur ce mode de production des connaissances. Le besoin est aussi méthodologique. Peu de réflexions existent sur la façon de repenser les méthodologies de travail lorsque le laboratoire de production des connaissances est constitué sur la base du forum-hybride. De plus, le fait de travailler « avec » soulève l’enjeu du « avec » entre universitaires. Là aussi, sur les questions de l’interdisciplinarité, de la multidisciplinarité et de la transdisciplinarité, le champ de réflexion est ouvert.