Témoignages

Quelques réflexions sur les revues d'idées au Québec, leur rôle, leur importance passée et présente, leur avenir[Notice]

  • Patrick Moreau

…plus d’informations

Quand on m’a sollicité pour participer à cette table ronde consacrée aux « revues de sciences humaines et sociales de langue française », j’ai tout d’abord hésité tant l’intitulé même de cette activité me semblait en quelque sorte étranger à la réalité de ce qu’il est convenu d’appeler les revues d’idées. Puis, la lecture du texte de la conférence de Mme Andrée Fortin aidant, l’idée a fait son chemin que, en dépit de cette différence, il y avait bien des rapprochements à faire entre les revues de sciences humaines et sociales, qui émanent pour la plupart du monde universitaire, et les revues d’idées, entre autres parce qu’elles avaient suivi, durant l’histoire contemporaine du Québec, des courbes destinales sinon identiques, du moins parallèles. Je remercie donc la revue Recherches sociographiques de son invitation, qui m’a permis de mettre au clair dans le texte qui suit certaines réflexions à propos des revues d’idées, qui, sans cela, en seraient demeurées au stade de l’intuition. Il ne s’agit toutefois pas de proposer une étude sur ce genre de revues en tant que tel ni même de dresser un panorama un tant soit peu exhaustif de ces revues au Québec, où elles jouèrent un grand rôle au plan politique et culturel. Dans ce texte, je me cantonnerai donc à quelques observations suscitées par la conférence prononcée par Mme Andrée Fortin, qui faisait notamment l’historique des revues savantes québécoises et traçait les grandes lignes d’une synthèse sur la fonction particulière qui est la leur au sein de la communauté scientifique québécoise. J’ajouterai que ces observations sont personnelles, et qu’en outre le monde des revues d’idées y est perçu, si je puis dire, par le petit bout de la lorgnette, à partir de mon expérience en tant que membre du comité de rédaction et rédacteur en chef de la revue Argument. La première observation est que les revues d’idées constituent, dans notre univers intellectuel et médiatique, un objet médiatique plutôt singulier, qui se distingue tout autant des revues scientifiques que des magazines d’information ou des journaux, et même de ces publications périodiques plus modernes que sont les blogues, qui flirtent eux aussi, à l’occasion, avec les débats intellectuels ou avec la forme de l’essai. Commençons par les distinguer des revues de sciences humaines et sociales. Les revues d’idées se différencient des revues scientifiques avant tout par un déficit, au moins initial, de légitimité. Comme Andrée Fortin l’a rappelé, les revues scientifiques émanent dans leur très grande majorité de l’institution universitaire : souvent elles apparaissent comme la « voix » des départements universitaires et donc des spécialistes qui y oeuvrent, à qui elles permettent de diffuser les résultats de leurs recherches. Du fait qu’elles s’inscrivent dans un tel cadre institutionnel, elles obtiennent d’emblée une grande légitimité scientifique et professionnelle, ainsi qu’un champ d’expertise assez clairement balisé. Le cas des revues d’idées est bien différent. D’abord, elles naissent et se développent en dehors de l’institution universitaire et, plus généralement, de tout cadre institutionnel, ou pour mieux dire, sur leurs marges. Cette marginalité au moins relative fait en sorte qu’elles n’ont pas au départ la même légitimité institutionnelle que les revues scientifiques. D’autant plus qu’elles ne peuvent pas non plus, pour la même raison, se réclamer de la science et de la recherche. Cette marginalité relative entraîne une autre différence majeure entre revues savantes et revues d’idées : ces dernières ne sont pas animées par des équipes homogènes de spécialistes d’un même domaine scientifique – et ce même si les universitaires y occupent la plupart du temps une place centrale, autant comme initiateurs qu’en tant qu’auteurs. Les équipes …

Parties annexes