Comptes rendus

Francis Lagacé, Ce billet a cours légal. Chroniques sociales, politiques et d’humeur, Saint-Joseph-du-Lac, M Éditeur, 2018, 248 p.[Notice]

  • Emanuel Guay

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Auteur et militant actif dans le milieu syndical et pour les droits des personnes LGBT depuis de nombreuses années, Francis Lagacé offre dans cet ouvrage plus de cent vingt chroniques abordant des questions aussi variées que la culture, la diversité sexuelle, l’éducation et le socialisme. Dans un style accessible où se croisent sans heurts le sérieux et les pointes d’humour, Lagacé partage plusieurs réflexions importantes sur l’histoire politique récente du Québec. À défaut de pouvoir analyser tous les thèmes abordés dans le livre, j’aimerais revenir ici sur deux d’entre eux qui sont liés et qui traversent l’ensemble de l’ouvrage, soit la postérité politique du « Printemps érable » et les stratégies à adopter face au ressac de droite qui sévit depuis des décennies à travers le monde et dont la progression s’accélère depuis quelques années, ici comme ailleurs. L’un des moments marquants dans l’histoire québécoise récente, qui occupe une part importante du livre de Lagacé, est sans doute le Printemps 2012, au cours duquel des milliers d’étudiants et étudiantes ont occupé les rues et adopté des mandats de grève pour s’opposer à la hausse des frais de scolarité prévue par le gouvernement libéral de Jean Charest. Étant responsable du dossier « éducation » au Conseil central du Montréal Métropolitain de la CSN durant ce conflit social majeur, Lagacé a suivi de près son évolution et dénonce fermement dans son livre les nombreux stratagèmes qui ont été mobilisés par le gouvernement et ses alliés pour discréditer le mouvement des grévistes, de la répression policière et légale à l’emploi du terme « boycott » pour désigner la grève, en passant par le discours atomisant sur la « juste part » qui devait justifier la hausse. Malgré l’opposition très vive à laquelle il a fait face, le mouvement étudiant – et en particulier l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante (ASSÉ) – a mené un combat de plusieurs mois et est parvenu à s’imposer comme un acteur social majeur dans les années qui ont immédiatement succédé au conflit. On doit toutefois admettre que ce même mouvement étudiant s’est grandement essoufflé depuis, suite notamment à l’échec en 2015 d’une tentative de grève sociale unissant les associations étudiantes et les syndicats des secteurs public et parapublic contre le gouvernement libéral de Philippe Couillard et son programme d’austérité budgétaire. On perçoit ainsi, dans les chroniques de Lagacé qui couvrent cette période, le passage d’un certain enthousiasme combatif à une inquiétude vis-à-vis d’une gauche en position de faiblesse et de partis centristes qui jouent le jeu de la droite dure, tant sur les questions économiques qu’identitaires. Cet essoufflement du mouvement étudiant québécois est d’autant plus inquiétant qu’il coïncide avec une montée de la droite dans la province, ce qu’atteste notamment la victoire électorale de la Coalition Avenir Québec (CAQ) à l’automne 2018. Lagacé propose de nombreuses pistes d’action pour affronter ce ressac, qui s’en prend tant aux acquis sociaux obtenus par les luttes populaires qu’aux minorités ethnoculturelles, ces dernières se voyant pratiquement accusées d’exister par plusieurs figures éminentes dans les sphères politiques et médiatiques contemporaines. La gauche doit d’abord mener une offensive intellectuelle contre les piliers idéologiques qui sous-tendent la montée de la droite, soit l’individualisme possessif, le chacun-pour-soi, la peur de l’autre et le rejet de l’opposition gauche-droite. Elle doit ensuite encourager le développement d’une culture du rapport de force et de la démocratie élargie, ce qui implique de s’opposer au bonne-ententisme – c’est-à-dire la peur déraisonnable de l’affrontement et du conflit – et à une définition restreinte de la démocratie, qui la limite à l’élection ponctuelle de têtes dirigeantes qui ne répondent ensuite qu’aux exigences des …