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Cet ouvrage, réunissant 21 textes publiés ou inédits destinés à la radio, au film documentaire ou aux musées, illustre en fait le parcours d’un chercheur et d’un infatigable défenseur du patrimoine religieux, de 1976 jusqu’à 2002. Cette période rappelle également l’essor qu’a connu l’ethnologie québécoise à l’Université Laval – discipline vouée jusque-là presque exclusivement à l’étude de la tradition orale, de la ruralité et du passé. Avec l’arrivée d’une deuxième génération de chercheurs à laquelle est associé Jean Simard, on assiste à une véritable ouverture sur l’ensemble des manifestations culturelles au Québec. Supportée par le contexte sociopolitique de l’époque, cette (initiative) engendre le développement de nouveaux chantiers de recherche tel celui de la religion populaire dirigé par Jean Simard. Rien d’étonnant alors que son intérêt pour le patrimoine religieux constitue une part importante de l’actuelle publication.

Le bilan tracé ici par cet ethnologue et historien de l’art révèle en fait les contributions de l’auteur et de ses équipes de chercheurs, de même que les orientations plutôt novatrices qu’il a su donner à ses champs d’intérêt, les divers concepts et approches qui ont guidé et continuent encore aujourd’hui d’influencer son parcours. C’est donc dans cette perspective essentiellement que l’ouvrage sera commenté.

Si le titre de la publication situe au premier coup d’oeil le lecteur quant à la nature de son contenu, l’introduction, elle, donne le ton en définissant le credo du chercheur missionnaire : « […] il n’y a pas d’ethnologie scientifiquement construite sans ethnographie [activités sur le terrain] rigoureuse » (p. 2). On reconnaît d’ailleurs la même logique dans la disposition des trois premiers chapitres voués à la religion populaire, soit les enquêtes, les analyses et les propositions de solutions pour le présent et l’avenir. Quant aux chapitres 4 et 5, ils portent sur l’art populaire et sur la contribution de certains pionniers de l’ethnologie au Québec.

Ainsi, les enquêtes sur la religion populaire, les objets de piété, les lieux de culte catholiques et protestants et les croix de chemin découlent-elles d’inventaires extensifs. S’inspirant des méthodes de l’ethnographie traditionnelle – tel l’inventaire systématique développé par Gérard Morisset en 1936 et celui de Jean-Marie Gauvreau en 1942 – et de celle de l’ethnographie historique mise au point par Robert-Lionel Séguin en 1967 qui confronte des sources écrites avec des données de terrain, l’ouvrage de Simard se démarque par une perspective horizontale ou relationnelle qui s’oppose à celle verticale des études antérieures à 1970, plus axées sur le diffusionnisme, l’étude des origines françaises du Québec et le caractère français des faits de culture. Aussi, ses premières analyses descriptives ou comparatives font-elles écho à l’étude des mentalités et des genres de vie (Saintyves, 1936 ; Varagnac, 1948 ; Cuisenier, 1975) qui renforce l’idée d’une tradition populaire évoluant en marge d’une tradition officielle.

L’importance des inventaires, largement soutenus par l’État provincial et fédéral jusqu’au milieu des années 1980, est illustrée par la création d’archives uniques en Amérique du Nord, par le développement de nouveaux outils de travail (répertoires, typologie, etc.) et par la production de monographies thématiques. Pour ce chercheur, la conjugaison de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée s’avère bénéfique à une analyse approfondie du patrimoine religieux, de même qu’à une conscientisation accrue du patrimoine collectif des Québécois.

C’est ainsi que la deuxième phase des travaux d’analyse s’élargit et s’organise cette fois autour des notions de « territorialité », d’appartenance et d’ethnicité, des concepts intimement liés à l’identité culturelle. La « territorialité » (C. Raffestein, 1980) invite aux observations sur la présence du religieux dans l’organisation du territoire, qu’il soit concret ou abstrait – comme celui de l’au-delà – (p. 50-56) et dans la relation que l’homme entretient avec son territoire. L’appartenance religieuse et les rapports ethniques sont examinés ici sous un angle relationnel et dans une perspective globale plutôt que thématique ou typologique et ce, avec le concours de la géographie culturelle, de l’histoire religieuse et de l’histoire de l’art. En témoigne d’ailleurs l’analyse de quelque 3 000 croix de chemin au Québec, qui visait à déterminer si leur présence était d’ordre structurel ou culturel et à expliquer les limites de leurs frontières au Canada (p. 57-63), à comprendre les stratégies identitaires développées par deux communautés paroissiales différentes occupant le même territoire (p. 73-83) et à mieux saisir les rapports de tension et de solidarité obligée entre trois communautés ethniques voisines dont les appartenances religieuses n’étaient pas partagées (p. 83-104). Autant de critères novateurs qui participent à la redéfinition de l’identité régionale et du territoire comme fondement des appartenances (p. 202).

Le troisième volet sur le patrimoine religieux, davantage pragmatique, renvoie à des exemples de recherche appliquée, ainsi qu’à un questionnement de fond sur l’avenir de ce patrimoine collectif. Du texte d’exposition sur l’enracinement et le rayonnement missionnaire de l’Église catholique au Québec (1984), en passant par le rapport d’implantation du Musée des religions à Nicolet (1983), puis par le projet de Musée du patrimoine religieux (1991) et, enfin, jusqu’à la cartographie des Cent destinations du patrimoine religieux (1997), une constante demeure : la défense du patrimoine religieux et son accessibilité au grand public.

Une des approches privilégiées par l’auteur demeure la recherche-action, qui incite et invite à la ré-appropriation du patrimoine religieux par le milieu d’origine. Il cite en exemple une communauté humaine dispersée qui, à la suite d’un projet de recherche, s’est réunie pour mettre en valeur les traits distinctifs de sa propre culture (p. 83-104) ou encore une communauté religieuse désireuse de consigner, pour son musée et les générations futures, la signification des faits et gestes et des objets associés à un mode de vie appelé à disparaître. S’impose alors à l’inventaire l’étude du patrimoine immatériel, c’est-à-dire ces « mentefacts » (par opposition aux artefacts) qui composent l’ensemble des savoirs et savoir-faire colligés au moyen de récits de vie. L’exemple cité est d’autant plus significatif que ladite communauté – celle des Augustines de Québec – est tributaire de plus de 325 ans de vie spirituelle guidée par le Concile de Trente (1545-1563) et d’une trentaine d’années par celui de Vatican II (1962-1967).

Le questionnement sur l’avenir de la religion populaire est présenté, quant à lui, sous forme d’un exposé de sa situation et des orientations souhaitées. Réalisé par un groupe de travail présidé par Simard, ce texte, datant de 1998, présente la toute première vue d’ensemble du patrimoine religieux au Québec impliquant à la fois ses aspects paysager, architectural, mobilier, archivistique et immatériel. Destiné d’abord aux instances gouvernementales, le document s’avère cependant indispensable aux chercheurs comme aux intervenants en milieu culturel préoccupés par cet héritage.

Deux incursions dans le champ de l’art populaire donnent la mesure des contributions de l’auteur qui est également historien de l’art. Dans un essai de définition de l’art populaire s’appuyant sur un inventaire sélectif de l’art populaire au Québec, capté in vivo, le chercheur propose une nouvelle orientation qui va bien au-delà des habituels problèmes de sémantique (Dumont, 1972, p. 25 ; Courtas et Isambert, 1975 ; Cuisenier, 1975 ; Verroust, 1978, p. 146-147 ; Laperrière, 1984, p. 19-53). Se basant sur le principe de la « reconnaissance [de l’art populaire] dans la culture d’origine » plutôt que sur les seuls jugements opérés dans la culture d’accueil, l’auteur invite à « étudier les arts populaires comme on analyse […] les contes, les mythes et les rituels en ethnologie [en raison] du fait que les structures de la production esthétique populaire sont les mêmes, que cette production soit verbale ou matérielle » (p. 185-191). Dans un tout autre ordre d’idées, l’auteur commente et critique la notion récurrente de diffusionnisme chez certains muséologues par rapport aux artistes populaires de l’Amérique française.

L’itinéraire s’achève sur un retour pertinent de la contribution de certains pionniers de l’ethnologie au Québec, tels Gérard Morisset (1898-1970), Jean-Marie Gauvreau (1903-1970), Pierre-Georges Roy (1870-1953), Antoine Roy (1905-1997), Robert-Lionel Séguin (1920-1982) et le père Benoît Lacroix (1915-).

L’abondance de notes, de commentaires et de références en bas de pages, les tableaux détaillés, la cartographie et les deux index extensifs – l’un sur les noms propres de lieux et de personnes, l’autre sur les pratiques, objets et sujets religieux – compensent largement l’absence d’une bibliographie.

À l’évidence, l’itinéraire du chercheur missionnaire ne s’est pas réalisé en vase clos, éloigné de son objet d’étude. Si, pour certains, cette ethnologie du proche peut sembler manquer d’objectivité, le parcours scientifique présenté ici nous permet d’en douter. Aussi, l’apport particulier de cet ouvrage est d’avoir démontré que la recherche fondamentale conjuguée à la recherche appliquée peut être aussi féconde pour le milieu scientifique que pour la communauté civile. Quant au défenseur du patrimoine religieux qui, en 1979, s’était donné comme objectif de « tirer du mépris le plus général ce patrimoine collectif », il est loisible de croire – à la lumière du chemin parcouru – qu’une part importante de sa mission est sinon totalement accomplie, du moins toujours en progression !