Comptes rendus

Frédéric Parent, Léon Gérin, devenir sociologue dans un monde en transition, Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2018.[Notice]

  • Simon Couillard

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Or, le débat entre les disciples français de Tourville et le sociologue canadien sur cette nomenclature illustrerait surtout, selon Parent, le lien étroit entre l’appartenance sociale et l’étude des groupements sociaux, ou les catégories d’analyse qui deviendraient plus problématiques hors de leur contexte d’émergence. Là est l’objet de cet ouvrage dans lequel l’auteur entend démontrer, entre autres, « […] le caractère nécessaire, ou fondé socialement […] » (p. 237) des modifications proposées par Gérin, à partir d’un espace social défini par les relations concrètes que ce dernier entretient avec ses collaborateurs, mais surtout avec les membres de sa famille et sa parenté. L’auteur propose ainsi une analyse des conditions sociales de la pratique sociologique à l’époque de son émergence au Canada, une époque « en transition », dans la mesure où les manières de faire société se trouvent profondément bouleversées par le développement du capitalisme industriel. Le procédé, l’étude de la correspondance, met plus largement en lumière la vie domestique et familiale de la bourgeoisie canadienne-française au tournant du 20e siècle, ce qui rappelle le type d’ethnographie qu’inaugure Gérin lui-même et que pratiquait, plus près de nous, le sociologue et professeur Gilles Houle. Pour Gérin, l’univers domestique renvoie à la mère, à la fratrie et à l’oncle Denis, l’autre religieux (avec Tourville) dont l’influence se révèle déterminante. Les femmes y ont une importance de premier ordre, et ce, dans l’accomplissement même du travail de Léon – une soeur qui aide le sténographe, la mère, surtout, qui veille à la diffusion des écrits du sociologue, etc. On constate donc une contribution qui ne se limite pas au dégagement des contraintes domestiques et familiales, mais qui touche directement au travail intellectuel, même si, à l’image de ce qui se passe dans les autres domaines d’activité, ce sont « les hommes [qui] assurent l’articulation abstraite de la théorie et de la pratique alors que les femmes la prennent en main de façon concrète » (p. 195). La correspondance avec ses frères et l’oncle illustre davantage le cheminement professionnel de Gérin et les enjeux autour de ses choix d’occupations rémunérées. Typiquement, c’est le travail de fonctionnaire qui assure d’abord à ce dernier et à sa jeune famille leur subsistance, et c’est Henri, le frère bien connecté dans les milieux politiques, qui joue d’influence pour le lui assurer. Ici, le recours aux échanges épistolaires se révèle très profitable : les ressorts intimes de cette réalité, largement applicable à l’ensemble de la bourgeoise canadienne-française, sont richement détaillés. C’est toutefois l’entreprise de colonisation agricole du sociologue qui occupe une place de choix au fil des différents chapitres. La gestion du cheptel, celle des ouvriers et de la production laitière et fromagère occupent l’esprit de Gérin et les échanges avec la famille. L’importance que prend ce projet, dans l’ouvrage et pour Gérin, serait attribuable à la perspective scientifique – « particulariste » – du sociologue canadien et à la valeur accordée à l’accomplissement et à l’autonomie individuelle. De façon générale – c’est la thèse de Parent – cette posture théorique ne serait pas étrangère à la proximité des Canadiens anglais qui est celle, plus largement, de l’élite canadienne-française de l’époque. Pour Gérin, il vaudrait mieux « […] faire [du rapport de domination entre Canadiens français et Canadiens anglais] en quelque sorte une question d’initiative individuelle qu’une question collective de domination » (p. 129). Cette approche « particulariste », Gérin entend la préciser à son retour d’Europe grâce à un réseau de collaborateurs canadiens-français qu’il anime autour de ses écrits publiés dans La Science sociale, la revue fondée par Edmond Demolins. L’étude de la correspondance avec ces derniers …