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Paru peu après la décision de remplacer le cours d’Éthique et Culture Religieuse (ÉCR), l’ouvrage dirigé par Hirsch et Jeffrey vise à « contribuer à la réflexion collective sur le programme qui remplacera ÉCR » (p.5). Il se compose de contributions rappelant les différentes critiques adressées au programme d’ÉCR au fil du temps, de textes présentant des analyses déjà parues, et de contributions originales, le tout proposant parfois des solutions à différents problèmes du programme.

Le premier chapitre de l’ouvrage, utile à l’ensemble mais peu original, discute des différentes critiques souvent adressées au programme. Si Jeffrey et Hirsch en proposent un panorama assez exhaustif, ils ne sont pas toujours transparents quant aux critiques qu’ils endossent, ce qui entraîne une disparité dans leur présentation. Bouchard étudie la divergence entre les orientations ministérielles ayant mené à la création du programme d’ÉCR et le programme qui a été appliqué par la suite, qui est souvent montrée du doigt. L’autrice met en lumière l’affaiblissement de l’approche éthique et culturelle proposée au départ, et note que celui-ci pourrait être compensé par un meilleur arrimage de la compétence « Pratiquer le dialogue » avec les deux autres compétences visées par le programme. Bourgeault insiste quant à lui sur les difficultés propres à l’association de l’éthique et de la culture religieuse dans un même programme. L’apprentissage visé par le programme d’ÉCR – soit la poursuite du bien commun et le vivre-ensemble – doit selon lui être rattaché à l’ensemble de la vie de l’école et à sa mission propre. Il remarque enfin la nécessité d’améliorer la formation des maîtres en ÉCR par l’intégration de cours de philosophie pour enfants, ou mieux, par l’arrimage d’un baccalauréat disciplinaire avec une maîtrise en enseignement secondaire, formation qui existe pour toutes les spécialités en enseignement au secondaire… sauf l’ÉCR.

Les deux chapitres suivants ont le mérite de proposer des solutions aux problèmes du programme d’ÉCR. Rondeau défend ainsi l’idée que le programme d’ÉCR propose une véritable éducation à la citoyenneté, à laquelle la composante « culture religieuse » du programme n’est pas un véritable obstacle. Il suggère de réévaluer les compétences visées par le programme, la pratique du dialogue et la compréhension de phénomènes religieux devant dans cette perspective se subordonner à la réflexion éthique. Franken souligne que la perspective « objective » sur la religion rend difficilement compte du sentiment religieux dans l’approche culturelle retenue par le programme. L’autrice propose d’y intégrer une approche interprétative inspirée de l’anthropologie des sciences religieuses, qui permet de réfléchir aux vérités religieuses et d’en discuter autant que des faits observables.

Les chapitres 6 et 7 concernent les inégalités de sexe. Charron et Steben-Chabot reprennent une étude du Conseil du Statut de la Femme (CSF) sur les manuels d’ÉCR. Ceux-ci, qui réduisent souvent l’égalité à sa dimension juridique et l’inégalité, à la notion de stéréotype, reflètent peu l’état de la connaissance scientifique sur le genre; ils abordent peu la contextualisation historique de récits religieux sexistes, l’exclusion des femmes de certaines fonctions religieuses, le contrôle des corps ou le rôle des institutions religieuses dans la légitimation d’une hiérarchie de genre. Estivalèzes prête elle-même le flanc à certaines des critiques qu’elle adresse au CSF, puisque le manque de contextualisation historique qu’elle déplore chez ses adversaires est précisément ce que le CSF reproche aux manuels. Plus intéressantes sur le plan scientifique, ses remarques sur l’usage réel des manuels scolaires permettent de nuancer les conclusions de Charron et Steben-Chabot.

Les trois dernières études du recueil traitent de l’impartialité des enseignant.e.s. Maxwell, qui examine le cadre juridique, montre que si le cours doit être neutre pour préserver le droit constitutionnel à la liberté religieuse, l’impartialité exigée d’eux par le programme empiète sur l’autonomie professionnelle des enseignant.e.s et sur leur droit à la liberté d’expression. Il observe que l’impartialité n’est pas toujours la meilleure posture à adopter pour promouvoir les intérêts éducatifs ou sociaux des élèves. Gravel propose une étude sur la vision que les enseignant.e.s d’ÉCR ont de l’objectivité et sur la manière dont ils l’appliquent. Elle constate une disparité entre la manière dont le programme conçoit l’impartialité, attachée surtout à l’enseignant.e, et l’insistance des enseignant.e.s sur le rapport entre objectivité et qualité des contenus enseignés. Jeffrey fait un survol – parfois à la limite du lieu commun – du processus de laïcisation au Québec. Alors qu’on voit très bien le rapport avec le projet de loi 21 lorsque Jeffrey distingue la neutralité de l’État de la neutralité des personnes et examine le concept de discrétion, le lien entre l’article et la refonte d’ÉCR n’est pas évident.

Comme il arrive souvent, ce livre collectif est inégal. Certaines contributions sortent du lot par leur nouveauté (Rondeau, Franken) et par leur rigueur (Maxwell, Charron et Steben-Chabot). Il ne reste plus qu’à souhaiter qu’elles soient prises en compte dans la réflexion collective sur le programme qui remplacera ÉCR.