Comptes rendus

Patrick Imbert, Les histoires qui nous sont racontées : de l’exclusion par les causalités narratives au transculturel dans les littératures des Amériques, Québec, Presses de l’Université Laval, 2020, 254 p.[Notice]

  • Nadine Boucher

…plus d’informations

L’ouvrage de Patrick Imbert propose une réflexion sur les narrativités telles qu’elles sont articulées dans les romans des Amériques. Imbert y suggère de nouvelles perspectives comparatistes et transdisciplinaires sur les narrativités des Amériques à travers l’exploration de deux types de narrativité : l’une reposant sur l’exclusion et l’autre déconstruisant les narrativités et les thématiques dans le dessein de ne plus justifier l’exclusion. La réflexion suggérée se décline en cinq chapitres. Imbert propose trois positions narratives à considérer face au pouvoir des narrativités. Tout d’abord, l’imposition des grands récits de légitimation dominants (notamment les récits des origines, tels la Bible ou la Torah par exemple); ensuite, la réaction à ces récits, prenant la forme de contre-récits; enfin, les récits liés à des perspectives multiculturelles qui tentent d’éviter une causalité qui exclut et qui ferait le transfert d’une violence sur les autres par l’entremise de grands récits de légitimation repris ou renouvelés (p. 34). La théorie mimétique de l’anthropologue et théoricien René Girard (1923-2015) « affirme que chaque personne se construit dans le rapport avec un autre (intérieur/extérieur) dans une narrativité orientée par un objet de désir (richesse, pauvreté) indiqué comme désirable » (p. 45). Alors que chez le linguiste et sémioticien Algirdas Julien Greimas (1917-1992), les bases culturelles d’un récit sont établies en fonction d’une éthique renvoyant à bon/méchant et vie/mort, chez Girard, « on nous montre la manière dont se génèrent les bases d’une culture et de sa narrativité en fonction d’une violence omniprésente qui joue de l’exclusion sélective » (p. 52). Au Canada français, les romans, nouvelles et autres fictions porteront essentiellement sur les populations d’origine européenne qui forment la communauté canadienne-française. Jusque dans les années 1950, les Autochtones, les Noirs et les immigrants seront absents des narrativités ou stéréotypes (p. 61). Cependant, les dynamiques socioculturelles récentes illustrent une « agentivité des exclus qui parviennent à produire des narrativités rédemptrices » (p. 84). Les narrativités nouvelles des Amériques qui émergent peu à peu vers la fin du 20e siècle et au début du 21e siècle reposent sur le polysémique et « proposent une réflexivité sur le chaotique de rencontres qui ne reposent pas toujours sur le causal ou sur une chaîne historique inventée » (p. 126). Désormais, les textes littéraires des Amériques ne produisent plus des personnages qui seront conformes à une identité établie. Il s’agit maintenant « d’explorer les multiples potentiels des individualités sollicitées par des récits qui pourraient les engager dans des voies inconnues » (p. 150). Imbert fait remarquer qu’au Canada comme dans toutes les Amériques, les langues autochtones « échappent au processus d’attribution (…) qui figent les relations et les identités dans un système binaire statique ancré dans la structure grammaticale des langues indo-européennes » (p. 207). Dans ce contexte, les identités autochtones esquiveraient le déterminisme des attributions essentialistes (chapitre 5). L’ouvrage de Patrick Imbert ouvre la réflexion sur la transformation des narrativités dans les Amériques. L’articulation de la relation entre les narrativités justifiant l’exclusion et celles valorisant le multiple permet au lecteur de mieux saisir la nature contingente du discours narratif en Amérique. Bien que s’inscrivant de prime abord dans le champ des études littéraires, ce livre trouve une place tout indiquée dans celui de la sociologie de la littérature. L’accent de l’ouvrage étant mis sur les théories de la narrativité et de l’exclusion (chapitre 2) de même que sur les techniques et thématiques ouvertes aux textes inclusifs (chapitre 4), le lecteur souhaiterait en lire davantage dans le chapitre consacré au polyculturel et aux textes des penseurs autochtones du Canada (chapitre 5). En effet, la dizaine de pages qui constitue ce …