Notes critiques

Le Québec, les États-Unis et IsraëlJacques Beauchemin, Une démission tranquille : la dépolitisation de l’identité québécoise, Québec, Boréal, 2020, 205 p.[Notice]

  • Richard Handler

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Au début de son essai Une démission tranquille, Jacques Beauchemin exprime sa consternation face au mode actuel de relecture de « l’histoire du Québec à la recherche des crimes dont se seraient rendus coupables les premiers colons ». Dans une telle lecture, « l’implantation des colons de la Nouvelle-France constitue (…) une forme d’occupation illégitime » et « la ville de Montréal se trouve sur un “territoire non cédé” » (p. 11). Beauchemin rejette une telle « réorientation de la conscience historique » pour deux raisons. Premièrement, si l’histoire du Canada français et du Québec devient une histoire dans laquelle les colons français et leurs descendants jouent le rôle d’oppresseurs, que restera-t-il de l’histoire nationale plus ancienne, dans laquelle le Canada français joue le rôle de l’opprimé vis-à-vis du Canada anglais – un rôle qui a légitimé la résistance politique du Canada français contre la mainmise des Canadiens anglais sur le projet politique de fonder une confédération d’abord, et le mouvement d’indépendance du Québec ensuite? Deuxièmement, privés de « l’histoire ancienne et valorisante de leur présence en Amérique », les Québécois de demain se trouveront « démunis devant la nécessité (…) de se donner à eux-mêmes une représentation positive de l’aventure qui les a conduits jusqu’ici ». À une époque où tant de « traits de l’identité » traditionnels, ou du moins anciens, disparaissent de la vie des Canadiens français et des Québécois, Beauchemin se demande ce qu’il adviendrait de la nation si elle perdait la représentation traditionnelle qu’elle se fait de son histoire (p. 11-12). La version de l’histoire nationale que Beauchemin veut préserver est celle qui présuppose l’existence de la nation en tant qu’entité transhistorique cohérente. Le récit et l’entité se justifient l’un l’autre, de façon circulaire : l’existence de la nation (continue, depuis le moment de sa « naissance ») peut être démontrée par l’histoire qu’elle « possède » ; et l’histoire peut être écrite parce qu’il existe un sujet – « la nation » – sur lequel elle porte (Handler, 1988). Mais il existe d’autres façons d’écrire l’histoire des « colons de la Nouvelle-France » (p. 11). David Austin, par exemple, soutient que « le récit-maître du Québec (…) embrasse des notions donquichottesques de pureté raciale » (suggérées par des ethnonymes comme « Québécois de souche ») tout en ignorant « le fait que les Québécois français sont le produit de siècles de cohabitation et de métissage avec les peuples autochtones, ainsi qu’avec les Britanniques, les Écossais, les Irlandais et les Noirs » (Austin, 2010, p. 25). Le récit a également du mal à accepter le fait que plusieurs milliers de colons français et leurs descendants ont émigré du territoire qui est devenu la province de Québec pour s’installer ailleurs au Canada et aux États-Unis. En effet, la deuxième partie d’Une démission tranquille porte sur les possibilités et les dangers politiques du renouvellement des liens entre la nation québécoise et les minorités francophones ailleurs au Canada. Le récit, dont les nationalistes ont raconté la version classique, revient sans cesse sur la résistance héroïque des Canadiens français contre l’oppression des Canadiens anglais tout en ignorant « les détails sordides » de « la colonisation française des peuples autochtones et la pratique de l’esclavage en Nouvelle-France » (Austin, 2010, p. 25) – ce sont ces détails mêmes que Beauchemin souhaite éluder. Plus près de nous, les tenants du récit préféré de Beauchemin n’ont jamais voulu se confronter à l’antisémitisme virulent de certains de ses plus grands héros, tels que Lionel Groulx et Maurice Duplessis. En effet, les travaux révolutionnaires d’Esther D …

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