Notes critiques

Sortir du paradigme de la Révolution tranquille?Jacques Beauchemin, Une démission tranquille : la dépolitisation de l’identité québécoise, Québec, Boréal, 2020, 205 p.[Notice]

  • Jean-Philippe Carlos

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Le dernier livre de Jacques Beauchemin, Une démission tranquille. La dépolitisation de l’identité québécoise est un essai important qui dresse un bilan éclairant de l’évolution de la conscience historique au Québec, et qui propose une analyse sociologique originale sur la tendance à l’évitement politique qui animerait le subconscient de la collectivité québécoise. Ce livre s’inscrit par ailleurs dans une lignée d’essais publiés dans la dernière décennie, qui tentent de comprendre les tenants et aboutissants de l’échec du mouvement souverainiste québécois constitué durant le cycle politique 1945-1995 (Jacques, 2008; Livernois, 2014). Il traduit une préoccupation manifeste observée dans les milieux intellectuels et universitaires par rapport au devenir de la nation québécoise, dans une époque marquée par la polarisation des débats idéologiques (Bouchard, 2020). Dans Une démission tranquille, Beauchemin propose des réflexions sur les racines d’une certaine dépolitisation du sujet québécois observable depuis la seconde défaite référendaire de 1995 et marquée, notamment, par l’affirmation d’un individualisme exacerbé qui engendrerait une fragmentation et un affaiblissement de l’identité collective, mais aussi le désintérêt de la population envers la question de la souveraineté politique du Québec. Selon Beauchemin, cette dépolitisation serait attestée par la foi des Québécois en ce que Jonathan Livernois appelle une « permanence tranquille » (Livernois, 2014), la certitude qu’ils ont de former une collectivité originale en Amérique du Nord qui ne disparaîtra jamais. De même, la volonté de certains intellectuels de renouer des liens – politiques et historiographiques – avec le Canada français témoignerait d’un retour à l’ancienne identité canadienne-française, vue comme étant apolitique et peu susceptible d’assurer la survivance du fait français sur le continent américain à long terme. En somme, Beauchemin s’inscrit comme héritier de certains grands penseurs de la condition québécoise, dont Fernand Dumont et Pierre Vadeboncoeur, pour qui l’aboutissement logique de la Révolution tranquille devait être l’accession de la nation québécoise à la souveraineté politique. Dépourvu d’un État politiquement indépendant du reste du Canada, le Québec serait condamné à jouer « le rôle qu’on nous a assigné dans le cadre politique canadien : celui, bien illusoire, de peuple fondateur, de minorité nationale ou, plus prosaïquement, de citoyens canadiens » (p. 26). Pour résumer simplement la thèse de Beauchemin, étant incapable d’assumer les exigences de sa souveraineté politique, le Québec serait ainsi condamné à un avenir sombre, marqué par un dépérissement culturel qui aboutira, à long terme, à notre infériorisation graduelle, puis à notre assimilation. S’inspirant de Hannah Arendt, il estime que « l’avancée du “désert” [dans un Canada postnational] est ce qui guette un monde sans politique […] un monde sans délibération sur les fins de la collectivité » (p. 25). Le Québec serait donc entré dans un cycle politique duquel il lui sera extrêmement difficile de s’extirper. Selon Beauchemin, le champ de ruines hérité de la défaite référendaire de 1995 est tel qu’il engendre un sentiment de découragement et de renonciation chez une large part des intellectuels québécois actifs dans les débats de la cité, un phénomène inédit dans l’histoire récente du Québec (p. 19). L’ouvrage met ainsi en lumière certaines des racines historiques et sociologiques du malaise identitaire québécois observable depuis le tournant des années 2000, phénomène qui fut notamment analysé par le sociologue Mathieu Bock-Côté dans ses essais La Dénationalisation tranquille et Fin de cycle (Bock-Côté, 2007, 2012). Partageant plusieurs des idées émises par Beauchemin, je proposerai dans cette note critique quelques pistes de réflexion, en rapport avec l’apolitisme des idéologies canadiennes-françaises, mais aussi en lien avec le retour au Canada français. Plus largement, j’aborderai aussi la question de la politique partisane et de ses …

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