Comptes rendus

Pierre B. Berthelot, Duplessis est encore en vie, Québec, Septentrion, 2021, 408 p.[Notice]

  • Éric Bédard

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Cet ouvrage révèle une nouvelle voix dans le champ historiographique québécois. Dans ce premier livre, Pierre B. Berthelot fait montre d'une connaissance très étendue de l’histoire politique québécoise de la seconde moitié du 20e siècle, ainsi que d'une maîtrise impressionnante des travaux consacrés à l’Union nationale et à la Révolution tranquille. Dès les premières pages, on est frappé par l’élégance du style, la justesse du ton. Issu d’un mémoire de maîtrise, ce livre, cela se sent à chaque page, est le fruit d’un long travail de recherche et de réflexions sur un sujet ô combien explosif : Maurice Duplessis. S'y attaquer demandait une certaine audace, de la témérité, de l’ambition même. L'auteur étant l'arrière-petit-fils de Camille Pouliot, un ancien ministre de l’Union nationale (une filiation révélée lors d’une entrevue), cette première oeuvre a clairement des intentions réparatrices, du moins dans les deux dernières parties d’un ouvrage qui en compte quatre. La première partie offre une sorte de revue politique des années soixante que l’auteur aurait pu intituler « Naissance du mythe de la Grande noirceur ». Après l’élection des Libéraux de Jean Lesage, Maurice Duplessis devient une figure maudite, son régime en venant à incarner tout ce que les Québécois « modernes » rejettent du vieux Canada français traditionnel avec ses moeurs électorales étriquées, ses liens troubles entre l’Église et l’État, son autoritarisme. Berthelot, qui ne manque pas de références littéraires, donne à voir l’émergence du « meilleur des mondes » après que l’Union nationale eut enfoncé la province de Québec « au coeur des ténèbres »! Si l’auteur montre une bienveillance certaine pour cet ancien régime, il évite les tournures polémiques ainsi que les caricatures du nouveau régime libéral même s’il assimile la Commission Salvas à une opération partisane et jette un nouvel éclairage sur le patronage libéral – dès l’été 1960, les Libéraux délivrent 470 permis d’alcool et placent leurs partisans dans plusieurs ministères (p. 38). Il soutient même que si Maurice Duplessis devient le « vilain » de l’histoire durant les années mouvementées de la Révolution tranquille, c’est en partie la faute de la propagande de l’Union nationale qui présentait le chef tel un bon père qui « donnait à sa province » et qui, pour assurer l’ordre et la prospérité, devait absolument « continuer son oeuvre ». Cette personnification du pouvoir, cette réduction d’un régime à une figure omnisciente se seraient retournées contre l’Union nationale durant les années 1960. Sur la défensive, le parti modernisé de Daniel Johnson a bien du mal à formuler un nouveau programme sans pour autant renier l’héritage de son défunt chef historique. En 1964, Jean-Noël Tremblay soutient que le nationalisme de Duplessis aurait préparé les esprits aux grandes réformes de la « Révolution tranquille » (p. 70), une thèse qui se défend aujourd’hui avec le recul du temps mais qui était totalement inaudible à l’époque. La seconde partie de l’ouvrage, consacrée aux deux grandes biographies du chef de l’Union nationale et à la série télévisée Duplessis, est la plus riche et la plus fouillée. Comme le montre Berthelot, ces trois oeuvres diffusées durant les années 1970 témoignent d’une reconfiguration de la mémoire collective des Québécois, mieux disposés à découvrir d’autres points de vue sur l’ancien premier ministre. Ces années sont celles de la redécouverte du patrimoine et du folklore, mélange de contre-culture et d’une volonté de se réenraciner après des années de frénésie moderniste. Porté au pouvoir en 1976, le Parti québécois de René Lévesque espère rallier à la cause de la souveraineté-association les vieux nationalistes bleus de l’Union nationale alors dirigée par Rodrigue Biron. Formé en littérature, l’auteur …