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L’élection générale de 2018 a consacré plusieurs changements importants sur la scène politique québécoise[1]. À gauche, c’est incontestablement la victoire de dix candidates et candidats de Québec solidaire (QS), dont quatre à l’extérieur de l’île de Montréal, qui a marqué les esprits. Arrivé nez à nez avec le Parti québécois (PQ), qui dominait jusqu’à récemment l’espace progressiste, QS semble témoigner d’une transformation de la gauche parlementaire québécoise qui n’est pas sans rappeler des mouvements de recomposition partisane autour de la crise de la social-démocratie observés ailleurs dans le monde dans les dernières décennies.

Au Québec comme dans la plupart des pays industrialisés, la gauche s’est traditionnellement appuyée sur un acteur politique particulier afin de mobiliser sa base électorale : le mouvement syndical. Ayant lui-même exercé une certaine hégémonie au sein des mouvements sociaux du fait de son positionnement central dans le mode de production capitaliste, celui-ci est également entré dans une période de remise en question avec l’avènement de l’ère néolibérale. Il reste toutefois, en particulier au Québec, un joueur majeur des dynamiques politiques au sein et en dehors des joutes parlementaires. Les réalignements partisans à gauche le concernent donc au premier chef, tant en amont qu’en aval de ces transformations.

Cet article propose une première analyse en deux volets des changements récents apparus au sein de la gauche québécoise. Nous interrogeons d’abord le rôle politique du syndicalisme dans son rapport à la sphère partisane afin de voir dans quelle mesure celui-ci a contribué à, et a été affecté par, la montée en puissance de QS. Nous analysons par la suite la création et la consolidation de QS non seulement dans le contexte de la réarticulation du rapport entre question sociale et question nationale, mais aussi comme manifestation d’un mouvement plus large de restructuration de la gauche partisane occidentale. Pour ce faire, nous adoptons une perspective d’économie politique critique, présentée dans la première section, qui nécessite une mise en perspective historique profonde des différents acteurs concernés.

Nous mobilisons à la fois la littérature scientifique sur les partis de gauche et le syndicalisme, des sources secondaires notamment issues de la presse généraliste, des sources primaires tirées de la documentation officielle produite par les organisations, et des données préliminaires originales issues d’un projet de recherche sur les organisations syndicales régionales au Québec. Cette recherche exploratoire étudie les dimensions politiques de l’action des structures régionales des deux plus grandes centrales syndicales québécoises. Elle vise à identifier dans quelle mesure celles-ci constituent des espaces de création de solidarité de classe et de mobilisation politique, du fait de leur nature interprofessionnelle. Les données présentées ont été recueillies lors de 21 entrevues menées avec des responsables élus ou permanents de ces structures syndicales entre 2018 et 2021, ainsi que par le biais de questionnaires remis aux personnes déléguées aux congrès de trois conseils centraux de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)[2] et portant sur les parcours militants, orientations politiques et affinités partisanes des répondants. Ces données sont donc loin d’être exhaustives mais elles permettent, dans l’esprit de cet article, de jeter un premier regard sur le rapport de QS à certains secteurs du mouvement syndical, souvent considérés comme étant les plus politisés, et ainsi de poser les jalons pour de futures recherches sur le lien entre les syndicats et la politique institutionnelle.

Syndicalisme et politique

Nés avec la Révolution industrielle au courant du 19e siècle, les syndicats se sont progressivement imposés comme des interlocuteurs tant du capital que de l’État au sein des démocraties libérales industrialisées. Ce positionnement aux confins des sphères économique et politique les distingue notamment d’autres groupes de pression ou mouvements sociaux dont le rapport à l’espace public est plus uniforme (Collombat et Noiseux, 2016). Il est aussi porteur de tensions voire de contradictions, l’action syndicale pouvant tantôt contribuer à la régulation (et donc au maintien) du capitalisme, tantôt en remettre en cause les fondements et s’y opposer de façon frontale (Hyman, 1975).

Le rapport du syndicalisme à la politique est donc un champ contesté, sur le plan tant empirique qu’analytique. Le capital promeut en général l’idée que si le fait syndical existe, celui-ci devrait se cantonner à la sphère économique, et donc, en particulier dans le contexte nord-américain d’encadrement des relations du travail, à la négociation et à l’application de conventions collectives. Le rôle du syndicat n’est en somme que de représenter ses membres au sens strict du terme, et ce uniquement au sein de leurs milieux de travail, dans leurs relations avec leurs employeurs respectifs. Cette approche est reflétée dans les courants d’analyse du syndicalisme, notamment en relations industrielles, qui se concentrent sur les mécaniques de la négociation collective et sur ses aspects techniques, dans un contexte de judiciarisation croissante des relations du travail, pouvant laisser penser à une dépolitisation de ces dernières (Savage et Smith, 2017). Concrètement, les lois du travail ayant permis au syndicalisme de consolider voire d’institutionnaliser son rôle dans les milieux de travail ont également eu tendance à limiter sa capacité d’action politique, par exemple en interdisant les grèves dites « sociales » ou de solidarité, ou encore en permettant de rendre optionnelle une partie de la cotisation syndicale qui serait identifiée aux activités strictement « politiques » du syndicat (Edelman, 1993; Panitch et Swartz, 2003; Petitclerc et Robert, 2018).

L’économie politique critique adopte une perspective différente. Le syndicalisme y est avant tout considéré comme un acteur de classe jouant un double rôle : il ne s’agit pas uniquement de défendre les intérêts de la classe ouvrière mais également de définir ces intérêts, constamment et de façon simultanée (Gagnon, 1991; Offe et Wiesenthal, 1980). Diversifié et dynamique, le collectif salarial n’est en effet ni homogène ni figé dans le temps, et la logique d’action collective induite par sa représentation n’en est que plus complexe. Ceci implique que la séparation entre sphères « économique » et « politique » n’a pas lieu d’être, non seulement parce que le syndicalisme est pleinement légitime pour incarner les intérêts du travail dans l’arène politique mais aussi parce que ses activités en milieu de travail, par exemple la négociation de conventions collectives, sont également profondément politiques (Wood, 1995). Comme reflets des antagonismes de classes, ces activités répondent aux mêmes logiques de pouvoir et font l’objet des mêmes débats sur la production et la répartition de la richesse que celles pouvant avoir lieu dans la sphère partisane ou parlementaire. Plutôt que de voir les milieux de travail et la société comme des espaces étanches, il convient plutôt de reconnaître que « [t]out ce que les syndicats font – et ne font pas – est bel et bien de l’ordre du politique » (Gagnon, 2003, p. 27).

Trois implications importantes découlent de cette approche pour l’analyse des liens entre syndicalisme et politique. Premièrement, il n’y a pas nécessairement adéquation entre collectif salarié et organisation syndicale. Le lien entre l’appareil syndical et les travailleuses et travailleurs qu’il représente est au contraire en recomposition permanente, tantôt en phase, tantôt en décalage avec ces derniers. Cela signifie par exemple que les positions et consignes déterminées par l’organisation syndicale ne sont pas nécessairement suivies par l’ensemble des membres, ni même par leur majorité. Ceci invite à contextualiser et relativiser les actions politiques des syndicats vis-à-vis des ensembles qu’ils représentent formellement.

Deuxièmement, le syndicalisme dans son ensemble n’est pas un acteur homogène ni uniforme. S’il est très rare de trouver deux conventions collectives identiques, il en va de même pour les positions et actions plus explicitement politiques. Celles-ci relèvent en grande partie des caractéristiques professionnelles des travailleuses et travailleurs membres du syndicat, mais aussi de la culture organisationnelle de celui-ci. C’est ainsi que, par exemple, les syndicats représentant les employées et employés de l’État ont historiquement été limités dans leur capacité d’action politique (afin de préserver une « neutralité partisane » de la fonction publique vis-à-vis du gouvernement élu) et que certains d’entre eux ont ensuite eu tendance à intégrer cette dimension dans leurs statuts et leurs pratiques (Ross et Savage, 2013; Savage et Smith, 2013).

Cette diversité représente aussi un défi pour le syndicalisme comme mouvement. Si, dans un système capitaliste, le rapport de force du travail est établi grâce à sa force numérique et sa position stratégique dans le mode de production, il est largement dépendant de la capacité d’unité du mouvement syndical, tant face au capital qu’à l’État. Or, le syndicalisme est particulièrement susceptible de divisions sectorielles, professionnelles ou corporatistes (Swartz et Warskett, 2012). Ce risque représente un défi particulièrement important lorsque vient le temps d’analyser l’action politique des syndicats, dans la mesure où leurs positionnements et stratégies peuvent relever tant de réflexes corporatistes que d’ambitions de solidarité de classe. À cet égard, il est donc important de distinguer les organisations entre elles et notamment de constater que celles dites « interprofessionnelles », regroupant les syndicats sur une base territoriale (municipalité, région, province) plutôt que par secteur d’activité ou métier, ont une tendance plus forte à favoriser une solidarité de classe. Ces divergences recoupent également certains archétypes présents dans la littérature distinguant notamment un syndicalisme « d’affaires », centré sur les intérêts immédiats de ses membres et donc peu porté à une action politique de classe, d’un syndicalisme « social » ou « de mouvement social », plus concerné par des enjeux socio-politiques larges et donc plus susceptible d’investir le champ politique et d’y exprimer des revendications de solidarité interprofessionnelle forte (Black, 2012; Ross, 2012).

Finalement, cette approche implique que les activités politiques des syndicats ne se réduisent pas à leurs rapports avec les partis. La façon d’influencer l’arène parlementaire fait certes régulièrement débat au sein du mouvement ouvrier, mais elle reste une dimension fortement stratégique qui ne résume pas à elle seule l’engagement politique du syndicalisme. Non seulement les relations du travail comme telles peuvent être considérées comme politiques, mais les organisations syndicales ont également une longue tradition d’implication politique autonome, impliquant notamment la construction de coalitions avec d’autres mouvements sociaux mais aussi l’élaboration de plates-formes revendicatives, voire de projets de société existant indépendamment des propositions faites par les partis politiques (Ross et Savage, 2012).

Les liens entre syndicats et partis politiques restent malgré tout une dimension importante, largement couverte dans les médias et débattue dans les instances syndicales. Ils peuvent faire l’objet de configurations variées, et nous nous attarderons ici plus spécifiquement sur celles ayant cours au Canada. La recherche sur les liens entre syndicats et partis politiques au Canada accorde une large place au Nouveau parti démocratique (NPD) (Savage, 2010). Fondé en 1961 par différents groupes dont un grand nombre de syndicats, le NPD avait pour ambition de devenir l’incarnation politique du mouvement ouvrier au Parlement, à l’image du Parti travailliste britannique. Si plusieurs grands syndicats canadiens se sont fortement impliqués au NPD et continuent à le faire aujourd’hui, il faut toutefois noter que ce ralliement n’a jamais été unanime et que de nombreuses organisations sont restées à l’extérieur du parti. C’est notamment le cas de plusieurs syndicats du secteur public, pour les raisons mentionnées plus haut, qui ont aujourd’hui intériorisé l’idée que leur lien à la sphère partisane dépassait un appui potentiel au NPD (Warskett, 2013). Cet appui syndical a également pu pâtir des résultats électoraux du parti. D’une part, sur le plan fédéral, le NPD n’a jamais réussi à former le gouvernement, ce qui limite l’intérêt stratégique de l’appuyer pour des organisations cherchant à influer durablement la direction de l’État. D’autre part, quand le NPD a réussi à prendre le pouvoir dans certaines provinces, c’est au contraire le fait qu’il se soit alors éloigné des positions et revendications syndicales qui a nui à sa base d’appui au sein du mouvement ouvrier (Evans, 2012; McGrane, 2019). À cet égard, le mandat de Bob Rae comme premier ministre de l’Ontario est souvent donné comme exemple pour illustrer l’affaiblissement du soutien syndical au NPD en raison d’un « recentrage » politique trop important de ce dernier. Finalement, les modifications progressivement imposées aux lois de financement politique, tant au niveau fédéral que provincial, ont altéré la relation entre certains syndicats et le NPD. Alors que le soutien syndical s’exprimait souvent par un appui financier direct au parti, les limites voire les interdictions mises en place pour les personnes morales ont affaibli ce canal de solidarité. Plusieurs études ont toutefois montré que les affinités idéologiques et les liens historiques avaient permis de faire survivre le lien entre plusieurs syndicats et le parti au-delà de l’aspect financier (Jansen et Young, 2009; Pilon, Ross, et Savage, 2011). A contrario, l’appui d’un syndicat au parti est loin d’être garant d’un vote en bloc des membres en faveur de ce dernier. Si les syndiquées et syndiqués ont tendance à voter plus fortement que la population générale en faveur du parti soutenu par leur syndicat, l’ordre de leurs préférences partisanes reste assez similaire à celui du reste de l’électorat. Malgré ces limites, certains auteurs avancent que l’existence du NPD a permis au mouvement syndical canadien de se développer comme acteur de classe, à la différence du syndicalisme états-unien dont l’attitude à l’égard du Parti démocrate s’est plus apparentée à celle d’un lobby (Eidlin, 2018). Ce « travaillisme imparfait » constituerait donc un marqueur identitaire distinct de la scène politique et syndicale canadienne.

L’appui au NPD n’est toutefois pas la seule stratégie en vigueur au sein des syndicats canadiens. On retrouve également de nombreuses organisations qui, soit de tout temps, soit à la suite d’une désaffection pour le NPD, ont opté pour d’autres voies. Celles-ci consistent notamment à faire campagne autour des priorités et des revendications du syndicat plutôt qu’en faveur d’une organisation partisane, ou encore à appeler au « vote stratégique » visant à bloquer le parti considéré comme le plus dangereux pour l’organisation plutôt qu’à n’en favoriser qu’un seul, en l’occurrence le NPD (Savage, 2012). Cette dernière option a connu un regain d’intérêt notamment en Ontario à la suite des mandats conservateurs de Mike Harris, qui ont été particulièrement néfastes au mouvement ouvrier. Le fait que les Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA, devenus depuis Unifor) aient notamment décidé de soutenir ponctuellement les Libéraux afin de bloquer l’élection de Conservateurs a particulièrement marqué la gauche canadienne, ce syndicat ayant longtemps été l’un des piliers de l’appui syndical au NPD. L’efficacité de cette stratégie est toutefois remise en cause (Savage et Ruhloff-Queiruga, 2017). Elle implique en effet une discipline et une homogénéité du vote syndiqué qui n’a pas été observée. En outre, il a été montré que l’électorat du NPD a encore moins tendance à suivre les consignes de vote stratégique qu’un électorat plus centriste, de tendance libérale ou conservatrice (Blais, 2002).

L’exemple canadien est donc celui d’une opérationnalisation convaincante du cadre théorique de l’économie politique. Il met en évidence la diversité du mouvement syndical dans son rapport à la sphère partisane, montre la dimension stratégique du lien au NPD qui peut s’en trouver fragilisé, et révèle les limites de l’influence que peut exercer la structure syndicale sur les membres. Les spécificités de l’environnement politique et du mouvement ouvrier québécois font toutefois en sorte que la configuration des rapports entre syndicats et partis politiques diffère sensiblement de celle présente au Canada anglais.

Les liens entre syndicats et partis politiques au Québec

Le Québec se distingue du reste de l’Amérique du Nord par son pluralisme syndical. On y compte quatre centrales syndicales et une myriade de syndicats dits indépendants, c’est-à-dire non affiliés. Aux fins de cet article, nous nous concentrerons essentiellement sur les deux plus importantes centrales, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et la Confédération des syndicats nationaux (CSN). La première est l’incarnation au Québec du syndicalisme nord-américain majoritaire, et est affiliée au Congrès du travail du Canada (CTC) tout en y bénéficiant d’une grande autonomie. La seconde est l’héritière du syndicalisme catholique mais s’est totalement détachée de l’influence du clergé à partir des années 1960. Elle est particulièrement présente dans le secteur public.

Contrairement au reste du Canada, le NPD n’a non seulement pas réussi à consolider une base électorale solide au Québec lors des scrutins fédéraux, mais il n’y développa non plus jamais de branche provinciale durable, malgré de multiples tentatives. Plusieurs de celles-ci, concernant par exemple l’éphémère Parti socialiste du Québec, furent le fait de militants syndicaux en provenance de divers horizons (depuis Fernand Daoust, qui deviendra secrétaire général puis président de la FTQ, jusqu’à Michel Chartrand, actif à la CSN) (Rouillard, 2011). Une autre tendance importante existait toutefois dès cette époque, particulièrement au sein du syndicalisme catholique, proche de certains secteurs du Parti libéral. Cette proximité a ainsi joué dans le changement de cap du gouvernement Lesage à l’égard de la syndicalisation du secteur public (alors qu’il y était initialement opposé, il l’autorise en 1964 à la suite des pressions du mouvement syndical), mais aussi dans la décision de ce gouvernement d’interdire aux employées et employés de l’État de se joindre à un syndicat formellement lié à un parti politique. La FTQ étant alors affiliée au NPD, cela a permis de laisser le champ libre à la CSN, qui est rapidement devenue l’organisation la plus représentative du secteur public.

Comme à bien d’autres égards, la fondation du Parti québécois (PQ), en 1968, vint brasser les cartes des stratégies et alliances syndicales. Disposant d’un programme combinant revendications nationalistes et en faveur des travailleuses et travailleurs, le PQ devient rapidement un véhicule politique séduisant pour les organisations syndicales. La FTQ, en particulier, va se révéler une alliée précieuse pour le parti. Largement présente dans le secteur privé, où des enjeux linguistiques importants se jouent dans certaines entreprises, la centrale est particulièrement sensible au fait que les éléments du programme du PQ favorables aux syndicats incluent une ambition de francisation des milieux de travail. Comme affiliée du CTC, elle avait contribué à la fondation du NPD et n’était donc pas opposée à l’idée d’apporter un appui formel à un parti politique. Traversée par des courants nationalistes et indépendantistes forts, elle cherche toutefois assez tôt à s’autonomiser du mouvement syndical pancanadien, et se tourne donc vers le PQ comme allié privilégié sur la scène politique parlementaire. Elle appuiera ce parti à presque toutes les élections générales jusqu’au début des années 2000, à l’exception de celle de 1985 (Rouillard, 2012; Savage, 2008).

L’adhésion fut moins forte à la direction de la CSN et de la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ, devenue en 2000 la Centrale des syndicats du Québec – CSQ). Non seulement ces deux centrales sont majoritairement présentes dans le secteur public, mais elles ont également conservé, malgré leur déconfessionnalisation, une caractéristique forte du syndicalisme catholique, celle de ne pas apporter de soutien explicite à un parti politique. Par ailleurs, les courants d’extrême gauche plus « radicaux » qui connaissent un certain succès dans le Québec des années 1970 trouvent à la CSN et à la CEQ des espaces d’implantation fertiles. Ce « syndicalisme de combat » (Piotte, 1977, 1998) duquel se réclament alors de nombreux militants et militantes ne fait pas pour autant l’unanimité. La CSN en paiera le prix et sera le théâtre de plusieurs scissions, des syndicats ne se reconnaissant plus dans la direction politique prise par la centrale. La plus retentissante sera celle de 1972, conduisant à la création de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), formée essentiellement de syndicats du secteur privé ayant quitté la CSN.

C’est également à cette époque que, à l’initiative du Conseil central de Montréal de la CSN, la gauche sociale et communautaire de la métropole s’unit pour mettre sur pied le Front d’action politique des salariés à Montréal (FRAP), désigné comme première étape vers la formation d’un parti provincial. Le FRAP présente plus d’une trentaine de candidatures pour les postes de conseillers municipaux aux élections montréalaises de 1970, dont plus de la moitié est issue du mouvement syndical, mais voit son élan stoppé par la Crise d’octobre, qui éclate en pleine campagne. Le parti municipal de gauche obtient tout de même 15,6 % des suffrages. Délaissé par la FTQ et la direction de la CSN qui avaient refusé de l’appuyer, le parti décide toutefois de se retirer de la politique électorale, avant de se dissoudre en 1974 (Rouillard, 2011, p. 173-174; Saillant, 2020, p. 86-87, 90-91).

L’arrivée au pouvoir du PQ, et en particulier sa gestion dans les années 1980, n’aide pas les relations avec la CSN et la CEQ. Le parti est alors associé à l’État, employeur de la vaste majorité des membres de ces centrales, et décide d’imposer des politiques d’austérité salariale rencontrant l’opposition frontale des membres. Bien qu’elle émette également des réserves, la FTQ profite tout de même de ses affinités avec le gouvernement souverainiste de l’époque pour obtenir une loi permettant la création de fonds de travailleurs, donnant lieu à la fondation du Fonds de solidarité.

Dès lors, les débats quant aux stratégies partisanes ayant lieu au sein du mouvement syndical québécois ne vont pas être sans rappeler ceux ayant lieu au sein de l’ensemble de la social-démocratie occidentale (Graefe, 2012). Pour certaines et certains, le PQ reste l’outil le plus efficace pour promouvoir à la fois la cause nationale et la cause ouvrière. Le fait que plusieurs avancées sociales aient pu avoir lieu sous des gouvernements péquistes malgré le contexte néolibéral (équité salariale, centres de la petite enfance, assurance parentale…) est souvent présenté comme la preuve de la pertinence de cette option. Pour d’autres, les politiques du PQ lorsqu’il est au pouvoir attestent d’un recentrage trop important et de la nécessité de créer un véhicule politique alternatif à gauche (Saillant, 2020). Alors que les directions syndicales se sont fortement rapprochées du PQ à la veille du référendum de 1995 (Savage, 2008), le virage néolibéral plus assumé par le parti sous la direction de Lucien Bouchard entraine une rupture avec une partie de la gauche sociale et communautaire (Raymond, 2013), qui s’engage dans une dynamique d’unification de la gauche politique québécoise. Le NPD-Québec, qui était devenu indépendant du NPD fédéral en 1989 et avait pris position pour l’indépendance du Québec l’année suivante, devient le Parti de la démocratie socialiste (PDS) en 1995 (Saillant, 2020, p. 152-162). Trois ans plus tard, en 1998, le Rassemblement pour une alternative politique (RAP) voit le jour (Saillant, 2020, p. 162-170). Le RAP se veut une « coalition arc-en-ciel » de militants souverainistes de gauche. Il s’oppose aux politiques d’austérité du premier ministre Lucien Bouchard, mais hésite au départ à rompre complètement avec le PQ en formant un nouveau parti pérenne – plusieurs de ses militants sont aussi au PQ et souhaitent le pousser plus à gauche (Lavallée, 2011, p. 204; Saillant, 2020, p. 168). À la suite des piètres résultats du PDS et du RAP aux élections de 1998, ce dernier décide finalement d’avancer vers la fondation d’un parti, ce que le PDS souhaitait explicitement depuis un moment.

Le RAP, le PDS et le Parti communiste du Québec entament en 2000 des pourparlers pour une fusion, et travaillent ensemble à soutenir la candidature de Paul Cliche (ancien dirigeant du FRAP) lors de l’élection partielle de 2001 dans la circonscription de Mercier. Le bon résultat de Cliche, qui obtient 24,2 % des votes, conforte les trois formations qui l’ont appuyé dans leur projet de fusion au sein de ce qui devient l’Union des forces progressistes (UFP), créée en juin 2002 (Lavallée, 2011, p. 204-205; Saillant, 2020, p. 169, 175-176). L’UFP s’oppose à la mondialisation néolibérale, reconnaît le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, et est indépendantiste, écologiste et féministe. La nouvelle formation unitaire se construit comme parti « des urnes et de la rue », participe à diverses luttes sociales, mais obtient des résultats modestes aux élections de 2003, se hissant tout juste au-dessus de la barre de 1 % des suffrages (Lavallée, 2011, p. 207; Saillant, 2020, p. 178, 182-186).

Quelques mois avant l’élection de 2003, D’abord solidaire, un regroupement de militantes et militants des mouvements communautaire et féministe dirigé par Françoise David est mis sur pied. Son but est de conscientiser l’électorat aux effets néfastes des politiques néolibérales prônées par les trois principaux partis provinciaux – le Parti libéral du Québec (PLQ), le PQ et l’Action démocratique du Québec (ADQ). L’expérience débouche l’année suivante sur la création d’Option citoyenne (OC), qui se veut une passerelle vers la formation d’un nouveau parti de gauche. Des négociations sont entamées alors avec l’UFP en vue d’une fusion. Après une dizaine de rencontres préparatoires (lors desquelles le contentieux principal porte sur la question nationale puisqu’OC hésite à prendre position pour l’indépendance), la fusion de l’UFP et d’OC donne lieu, en janvier 2006, à la naissance de Québec solidaire, parti écologiste, de gauche, féministe, altermondialiste et souverainiste (Lavallée, 2011, p. 207-208; Saillant, 2020, p. 201-203).

Québec solidaire : une réalité québécoise inscrite dans un contexte international

La recomposition et l’unification de la gauche politique québécoise ne peuvent réellement s’opérer qu’au moment où une partie de la gauche sociale se détourne du PQ, pour développer une alternative partisane de gauche, à partir de la deuxième moitié des années 1990 (Dufour, 2009; 2012). Ce réalignement s’ancre dans une transformation des clivages politiques. La question nationale demeure décisive, mais prend une nouvelle forme qui permet l’expression parallèle et plus affirmée d’un clivage socio-économique (Bélanger et Daoust, 2020; Daoust et Jabbour, 2020; Nadeau et Bélanger, 2013). Cette évolution des clivages, qui s’accompagne d’une volatilité du vote croissante et d’une fragmentation de l’offre politique (Bodet et Villeneuve-Siconnelly, 2020), débouche sur l’élection décisive de 2018, qui consacre l’essor du multipartisme et met fin au duopole PLQ-PQ en portant la Coalition Avenir Québec (CAQ) au pouvoir, alors que QS obtient 10 députés.

Les partis participent activement à cette reconfiguration politique, pendant plusieurs décennies. L’ADQ, puis la CAQ (qui l’absorbe en 2012) arriment un nationalisme identitaire à un programme économique de droite, contribuant ainsi à étioler l’impact du clivage souveraineté-fédéralisme au profit d’un nouveau clivage, qui oppose une posture autonomiste au statu quo fédéraliste. Le PQ, qui associe lui aussi de plus en plus son projet souverainiste au nationalisme identitaire, adopte des politiques d’austérité néolibérales, ce qui contribue directement à faire éclater la grande coalition gauche-droite qu’il avait réussi à cimenter autour du projet souverainiste (Bodet et Villeneuve-Siconnelly, 2020; Dufour et Montigny, 2020).

L’UFP et les composantes qui l’ont précédée se construisent en opposition directe aux politiques d’austérité liées au « déficit zéro » du PQ (Dufour, 2009; Dufour, 2012). De même, les militants des mouvements féministe et communautaire Françoise David et François Saillant claquent la porte des sommets socio-économiques de 1996 lorsque Lucien Bouchard refuse d’adjoindre le principe de « pauvreté zéro » à sa politique de « déficit zéro ». David explique que c’est lorsque ce même premier ministre péquiste refuse de répondre favorablement aux revendications de la Marche mondiale des femmes de 2000 qu’elle envisage la mise sur pied de ce qui devient D’abord solidaire, puis Option citoyenne, dont les membres appartiennent très largement à la gauche sociale, communautaire, et féministe (Saillant, 2020, p. 186, 200). Cette rupture de la gauche avec le PQ se cristallise en opposition aux politiques de droite de l’ADQ (et plus tard de la CAQ). Amir Khadir et Françoise David collaborent ensuite pour l’écriture du Manifeste pour un Québec solidaire, en réponse au Manifeste pour un Québec lucide, tout juste avant la fondation de QS.

Le nouveau parti fondé en 2006 investit, mais façonne aussi activement, l’espace qui s’ouvre sur la gauche du système partisan québécois. QS oppose un nationalisme inclusif au nationalisme identitaire, il brise le monopole du PQ sur l’indépendance (Dufour et Montigny, 2020) et oppose l’élection d’une Assemblée constituante lors d’un premier mandat à la stratégie référendaire du parti fondé par René Lévesque. QS refuse aussi une alliance électorale avec le PQ et développe un programme socio-économique clairement à gauche et écologiste, tout en donnant voix au « malaise démocratique » d’une fraction croissante de l’électorat (Nadeau et Bélanger, 2013, p. 204). Cette approche générale permet à QS de faire élire un premier député, Amir Khadir, dans Mercier, en 2008. Françoise David (élue dans Gouin, 2012) et Manon Massé (élue dans Sainte-Marie–Saint-Jacques, 2014) le rejoignent ensuite à l’Assemblée nationale. Une percée significative se produit finalement en 2018, alors que le parti fait élire 10 députés, dont quatre dans des circonscriptions situées à l’extérieur de Montréal (à Québec, Sherbrooke, et Rouyn-Noranda). Comme le résume Pascale Dufour (2012, p. 334), l’émergence de QS « et sa trajectoire depuis 2006 sont intrinsèquement liées à la transformation du projet souverainiste et sa médiation par le biais du Parti québécois; elles sont également parties prenantes d’un mouvement que l’on observe ailleurs dans les pays du Nord au sein des partis politiques de gauche et des milieux progressistes, qui propose de “faire de la politique autrement” ».

Les turbulences partisanes et électorales qui secouent le Québec se retrouvent au sein des plusieurs autres démocraties libérales. À travers l’Europe occidentale, tout comme en Amérique du Nord, on constate une intensification de la volatilité électorale et de la fragmentation de l’offre politique qui laissent poindre de nouveaux clivages (Bélanger et Daoust, 2020; Ford et Jennings, 2020; Martin, 2018). Comme le soulignent Ford et Jenning (2020, voir aussi Gethin, Martinez-Toledane et Piketty, 2021), ceux-ci touchent notamment aux enjeux migratoires et identitaires, écologiques, ou relatifs à la croissance des inégalités ou aux disparités économiques régionales (centres urbains en croissance vs régions rurales et désindustrialisées), et sont intrinsèquement reliés aux mutations contemporaines des économies capitalistes et industrielles avancées (Ford et Jenning, 2020, p. 309; voir aussi Martin, 2018).

Cette évolution des clivages fournit des opportunités que saisissent de nouveaux partis, alors que l’appui aux partis de gouvernement de centre gauche et de centre droit est en déclin (Ford et Jennings, 2020, p. 296; Martin, 2018, p. 146). Une partie de l’électorat qui subit les contrecoups des tendances économiques contemporaines abandonne les partis de centre gauche au profit des partis de droite radicale qui déploient un nationalisme identitaire face à l’accélération migratoire. Ce réalignement électoral est de plus relié au recentrage des programmes socio-économiques des partis sociaux-démocrates sous l’influence du néolibéralisme, qui s’amorce dans les années 1980 et s’accélère au cours de la décennie suivante (Denis, 2003; Lavelle, 2008; Mudge, 2018). Parallèlement, les partis sociaux-démocrates ont tendance à se dissocier des organisations syndicales qui avaient formé leur base traditionnelle (Denis, 2003, p. 137-156; Moschonas, 2002, p. 253). Ce tournant vers la droite des partis de centre gauche s’accompagne d’une chute de leur support électoral moyen à partir des années 1980 – chute qui s’accélère aux cours des années 1990 et 2000 (Moschonas, 2002; Mudge, 2018).

Différents auteurs et autrices ont noté que cette baisse de l’appui apporté aux partis sociaux-démocrates crée un espace à leur gauche (Lavelle 2008; Mudge 2018). C’est dans ces espaces qu’ont émergé de nouveaux partis de gauche (NPG), parfois nommés partis de la « gauche radicale », à partir des années 1990 (Ducange, Marlière et Weber, 2013; March, 2011; Keith et March, 2016a). Une part substantielle de leur électorat est en effet formée de sociaux-démocrates désabusés (March, 2016, p. 34).

Bien que leur poids demeure faible dans les systèmes partisans de la plupart des pays occidentaux, il varie beaucoup d’un pays à l’autre, et est aujourd’hui à son niveau le plus important depuis la chute du mur de Berlin (Keith et March, 2016a; March, 2016). Certains NPG font l’expérience de percées électorales substantielles, et parfois impressionnantes, depuis la crise économique de 2008, notamment en Grèce, en Espagne, au Portugal et aux Pays-Bas. Alors que c’était beaucoup plus rare pour les partis communistes avant 1989, 17 de ces partis situés à « gauche de la gauche » participent à des gouvernements européens, ou leur apportent un appui leur permettant d’exercer le pouvoir, de 1990 à 2012. Deux de ces partis ont dirigé des gouvernements de coalition en Grèce et à Chypre au cours des dernières années (Bale et Dunphy, 2011; March et Rommerskirchen, 2015).

Les NPG regroupent parfois des petites organisations d’extrême gauche et d’ex-militants maoïstes ou trotskystes qui travaillent en coalition avec des militants de divers mouvements sociaux au sein d’un nouvel espace organisationnel considérablement moins sectaire, et sont donc plus flexibles et moins homogènes au plan idéologique et programmatique que ne l’étaient plusieurs partis de gauche des années 1970 (Ducange, Marlière et Weber, 2013, p. 95-96; Keith et March, 2016a, p. 8; March, 2011, p. 19-20). Ce caractère moins idéologiquement rigide s’accompagne d’un plus grand pragmatisme et d’une conscience plus aiguisée de l’importance d’une stratégie communicationnelle et électorale efficace (March, 2016). Sous l’influence du mouvement altermondialiste, ces NPG adoptent des pratiques organisationnelles démocratiques qui permettent l’implication active de leurs membres (March, 2016).

Les NPG formulent une critique modérée du capitalisme et convergent vers une opposition affirmée au néolibéralisme. Ils visent des transformations profondes du système, sans toutefois adopter une posture révolutionnaire (Keith et March, 2016a, 2016b; March, 2011). Leur offre programmatique est altermondialiste, internationaliste et antiraciste. Ces partis sont aussi écologistes, féministes et soutiennent les droits des personnes LGBTQ.

Ces nouveaux partis enclenchent régulièrement des campagnes qui visent le développement des rapports avec les mouvements sociaux afin de consolider leur base, de former et recruter cadres et militants, et d’obtenir la mise en application des politiques qu’ils soutiennent (Keith, 2018; March, 2018; Tsakatika et Lisi, 2013). Ils sont généralement soucieux d’éviter un rapport descendant et de cooptation des mouvements sociaux, et préfèrent établir des liens ascendants et démocratiques de coopération. Les NPG ont aussi tenté de profiter de la dissociation progressive des partis sociaux-démocrates avec les organisations syndicales pour se rapprocher de ces dernières, mais le plus souvent avec un succès limité.

Émergence et consolidation de Québec solidaire

Québec solidaire représente une expérience québécoise de construction d’un nouveau parti de gauche qui comporte ses spécificités (notamment liées à la question nationale et constitutionnelle), mais qui s’inscrit aussi clairement dans la mouvance internationale qui vient d’être décrite (Fidler, 2012). Le programme de QS appelle de ses voeux des transformations en profondeur du système et « entend, à terme, dépasser le capitalisme », mais le parti propose aussi une « économie plurielle » qui laisse place au secteur privé (Québec solidaire, 2018, p. 22). Le parti s’oppose au néolibéralisme, est féministe et antiraciste, et propose une stratégie indépendantiste qui vise la démocratisation des institutions politiques par l’entremise de l’élection d’une Assemblée constituante.

Tout comme un grand nombre de NPG européens, QS fait preuve de flexibilité idéologique (notamment en permettant l’existence de collectifs organisés en son sein), regroupe d’anciens militantes et militants trotskystes et maoïstes (dont plusieurs ont joué un rôle clé dans la construction du parti), et s’éloigne clairement du sectarisme de l’extrême gauche des années 1960 et 1970 (Saillant, 2020, p. 235-236, 238). Le programme et les plates-formes électorales du parti mettent de l’avant des propositions concrètes, et QS mise davantage sur le développement de son appareil électoral et d’une expertise communicationnelle que sur un travail d’agitation idéologique (Saillant, 2020, p. 240-242). Sous l’influence du mouvement altermondialiste, QS a aussi développé un type d’organisation plus fortement démocratique que les principaux partis politiques québécois, qui s’incarne notamment dans un mode de direction collégial – avec un Conseil de coordination national formé de 14 membres, dont deux porte-paroles, plutôt qu’une direction exercée principalement par un chef (Dufour, 2009, p. 74; Fidler, 2012, p. 168; Saillant, 2020, p. 206, 237).

Autre similitude importante avec les NPG : QS se présente comme parti « des urnes et de la rue », c’est-à-dire que le parti souhaite que son travail électoral s’accompagne d’une implication dans les mobilisations extraparlementaires. QS se veut donc le porte-voix des mouvements sociaux et syndicaux dans l’arène électorale et parlementaire, tout en faisant « le choix de se situer à la confluence des différents courants politiques et sociaux et de se laisser influencer par eux » (Saillant, 2020, p. 238; Dufour, 2012). Des débats ont toutefois cours sur la façon dont le rapport aux mouvements sociaux doit se construire et sur les pratiques que cela doit impliquer, mais prennent le plus souvent la forme d’interventions dans des publications qui se sont développées en parallèle du parti (sans lui être formellement rattachées), plutôt qu’au sein des instances formelles[3].

Peu après la fondation de QS, cependant, un projet de résolution de sa Commission politique (qui coordonne la production du programme, de documents de réflexion et de propositions portées en instances) affirmait la nécessité de développer des liens avec les mouvements sociaux et le mouvement syndical, notamment en encourageant les membres du parti actifs dans ces mouvements à se réseauter afin d’y agir collectivement. La résolution insistait sur l’importance des liens avec le mouvement syndical, en tant que secteur clé de la gauche québécoise, mais n’a pas eu de répercussions immédiates dans le parti (Fidler, 2012, p. 167-168). Ce n’est que près d’une décennie après sa fondation que des réseaux militants (le Réseau intersyndical et le Réseau militant écologiste) sont mis sur pied au sein de QS et sont formellement reconnus par les instances du parti, à la suite d’initiatives de sa base (Rioux, 2019). La direction de QS consacre toutefois peu de ressources et d’énergie aux activités de ces réseaux et entretient un rapport tendu avec le Réseau intersyndical. Ceci découle entre autres d’une crainte de voir ses membres accusés d’un « entrisme » visant à contrôler les mouvements sociaux et le mouvement syndical de l’extérieur, ainsi que d’une priorisation croissante des activités électorales du parti (Fidler, 2012, p. 167; Rioux, 2019; Saillant, 2020, p. 239).

Craignant lui aussi les accusations de cooptation des mouvements, Amir Khadir (2015) souhaite une alliance « par le haut » entre QS et les organisations syndicales, et appelle les directions de ces dernières à réaliser que leur volonté de préserver leur autonomie ne devrait pas être synonyme de neutralité politique. Selon lui, cette autonomie implique justement de choisir librement quel parti politique mérite d’être appuyé, et ce libre choix devrait amener les directions syndicales à se détourner du PQ pour se rapprocher de QS. Simon Tremblay-Pepin (2016), militant de longue date et candidat électoral de QS, propose lui aussi ce qui se veut une alternative à l’« entrisme », mais cette fois en préservant un rôle actif pour la base du parti. Plutôt que d’appuyer des mobilisations de l’extérieur, ou d’intervenir au sein des mouvements en réseautant les membres du parti qui y sont actifs, QS devrait user de ses ressources pour lancer lui-même des campagnes de mobilisation impliquant directement ses membres, non pas simplement pour faire un travail de sensibilisation, mais afin de réaliser des gains concrets à partir d’objectif précis. Selon François Saillant (2020, p. 239-240), c’est cette approche des activités extraparlementaires que QS a fait sienne au cours des dernières années, notamment par la mise en branle de la campagne Ultimatum 2020, qui visait à forcer le gouvernement caquiste à se doter d’un plan crédible de transition vers les énergies renouvelables.

À travers ses débats et expériences pratiques, QS cherche toujours à moduler son rapport aux mouvements sociaux et au mouvement syndical. Les tensions récentes entre le Collectif anti-colonial de QS et la direction du parti autour d’enjeux liés à la lutte et au mouvement anti-raciste illustrent les difficultés qui peuvent découler de ce rapport aux mouvements, notamment en ce qui a trait à la vie démocratique interne, mais aussi aux pouvoirs et responsabilités des collectifs organisés au sein du parti (Presse-toi à gauche!, 2021; Radio-Canada, 2021).

Québec solidaire et le syndicalisme

L’évolution du PQ et ses impacts sur la gauche québécoise, incluant la création de QS, ne furent pas sans conséquences sur le positionnement et les stratégies politiques du mouvement syndical. Des tentatives de ramener le PQ vers la gauche et de le mettre en phase avec ses soutiens syndicaux eurent lieu. C’est ainsi que le collectif Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre) fut fondé en 2005, profitant de la décision du PQ d’autoriser les clubs politiques en son sein. On y comptait notamment Marc Laviolette, ancien président de la CSN, ainsi que Pierre Dubuc, qui briguera la direction du parti la même année avec le soutien du collectif, mais n’atteindra pas 2 % des voix. L’expérience fut de courte durée puisque le SPQ Libre est exclu du PQ en 2010 avant que le principe même des clubs politiques ne soit abandonné par le parti (Radio-Canada, 2010).

D’autres personnes ayant occupé la présidence de la CSN se sont également impliquées dans des organismes soutenant la cause souverainiste et cherchant à créer de vastes coalitions en sa faveur. Gérald Larose, président de la CSN de 1983 à 1999, a ainsi été le premier président du Conseil de la souveraineté, tandis que Claudette Carbonneau, à la tête de la CSN de 2002 à 2011, présida les Organisations unies pour l’indépendance du Québec (OUI Québec), qui succédèrent au Conseil de la souveraineté, de 2015 à 2021 (OUI-Québec, 2021). Le fait que la CSN ait eu une attitude plus distante que celle de la FTQ à l’égard du PQ ne signifie donc pas pour autant que le courant nationaliste y est moins actif.

Toutefois, même l’alliance de longue date entre la FTQ et le PQ a été sérieusement ébranlée dans les années 2000. La dernière élection lors de laquelle la FTQ a apporté son soutien au PQ fut celle de 2007 (FTQ-Construction, 2007). Le parti était alors dirigé par André Boisclair, qui avait pourtant expressément indiqué son intention de dissocier le PQ des organisations syndicales. La centrale avait toutefois estimé que le parti souverainiste représentait encore la meilleure alternative tant au PLQ de Jean Charest, qui avait adopté plusieurs mesures auxquelles s’opposaient les syndicats depuis 2003, qu’à l’ADQ de Mario Dumont, dont le discours antisyndical s’était radicalisé (Collombat et Gagnon, 2003). Au final, c’est cette dernière qui deviendra l’opposition officielle aux Libéraux, entrainant notamment le départ d’André Boisclair. Dès lors, la stratégie de la FTQ durant les campagnes électorales québécoises se mit plutôt à ressembler à celle de la CSN : adopter une plate-forme mettant de l’avant les priorités de l’organisation, et inviter ses membres ainsi que l’électorat dans son ensemble à comparer ces positions avec celles des principaux partis en lice, et à faire leur choix en fonction de cette comparaison. Outre l’ADQ, qui a été particulièrement ciblée jusqu’en 2008, le Parti libéral resta le principal adversaire du mouvement syndical, en particulier à la suite du Printemps érable de 2012 (Agence-QMI, 2012). La montée en puissance de la CAQ, bien que celle-ci ait absorbé l’ADQ et intégré plusieurs éléments de son programme, ne figura pas vraiment en tête des priorités des centrales.

L’élection générale de 2018 constitua une bonne illustration de ces stratégies. Du côté de la FTQ, on adopta une plate-forme mettant de l’avant des priorités reflétant les luttes des dernières années : la hausse du salaire minimum à 15 $ de l’heure, la création d’une assurance-médicaments universelle, la revalorisation des services publics ou encore la transition écologique (FTQ, 2018). La centrale a ensuite sollicité les quatre partis représentés à l’Assemblée nationale afin de voir dans quelle mesure ils adhéraient à ces engagements. Le résultat fut sans équivoque : le PQ et QS répondent favorablement à la quasi-totalité des revendications, tandis que la CAQ et le PLQ s’opposent à plusieurs d’entre elles. Le tout s’accompagne d’un bilan fort peu reluisant du gouvernement sortant, invitant donc clairement les membres à ne pas appuyer les Libéraux.

La CSN a quant à elle profité de son congrès triennal, tenu en 2017, pour adopter un manifeste qui serait la base de ses interventions lors des élections de 2018 (CSN, 2018). On y retrouve des thèmes similaires à ceux mis de l’avant par la FTQ, notamment autour des enjeux liés aux emplois et aux salaires, aux services publics, au développement durable et à la démocratie. La centrale a ensuite décidé de confier à ses conseils centraux, qui rassemblent ses syndicats affiliés par région, la tâche de bonifier cette plate-forme par l’ajout de revendications locales, et d’en faire la promotion auprès des populations et candidats locaux en organisant des rencontres au cours desquelles les représentants des différents partis devraient se prononcer sur les demandes de l’organisation syndicale.

Tant la CSN que la FTQ disposent en effet de structures régionales qui rassemblent leurs syndicats locaux d’un même bassin géographique, quel que soit leur secteur d’activité. Les frontières des conseils régionaux de la FTQ et des conseils centraux de la CSN recoupent en grande partie celles des dix-sept régions administratives du Québec. Ces organisations sont particulièrement intéressantes à observer pour analyser l’implication politique du mouvement syndical. Comme structures interprofessionnelles, elles ne sont pas directement impliquées dans la négociation collective, mais ont plutôt un mandat de développement des solidarités entre syndicats locaux de différents secteurs, et de représentation politique de la centrale aux niveaux local et régional (Collombat, 2018). Une différence notable entre les conseils des deux centrales est que l’affiliation des syndicats locaux aux conseils centraux de la CSN (et le paiement d’une cotisation proportionnelle au nombre de membres) est obligatoire tandis qu’elle est volontaire à la FTQ. Ceci donne aux conseils de la CSN une plus grande stabilité financière et une capacité d’action relativement plus importante. Les conseils de la FTQ doivent quant à eux consacrer une partie de leur temps à recruter des affiliés et convaincre les sections locales de les rejoindre. Tant à la CSN qu’à la FTQ, les conseils bénéficient d’un certain degré d’autonomie politique (encadrée par les valeurs et principes fondamentaux de chaque centrale), et pourraient notamment appuyer des candidatures aux élections générales. Même à la CSN, la règle voulant que la centrale n’appuie aucun parti ne s’applique pas à ses organismes affiliés, incluant les conseils centraux.

L’enquête menée auprès de trois conseils centraux de la CSN et de deux conseils régionaux de la FTQ indique toutefois qu’ils se prévalent rarement de cette prérogative à l’extérieur de Montréal. Dans le cas d’un conseil FTQ dont le conseiller régional s’est présenté à deux reprises comme candidat lors d’une élection générale, celui-ci a même refusé de demander l’appui du conseil, afin de ne pas créer de tension entre la centrale, qui n’appuyait aucun parti, et le conseil régional (Entrevue 10). Dans le cas d’un conseil central de la CSN en région, l’exécutif du conseil avait décidé lors d’un scrutin fédéral de soutenir deux candidatures, issues de deux partis différents, dans deux circonscriptions de la région. La proposition a toutefois été rejetée par l’assemblée générale du conseil, plusieurs délégués faisant valoir leur attachement au fait que la CSN, comme centrale ou comme conseil, n’avait pas à dire aux membres comment voter (Entrevue 20).

La situation est passablement différente dans la région du Montréal métropolitain, où le conseil de la CSN et celui de la FTQ ont tous les deux développé une plus forte tradition d’autonomie politique. Concernant les élections, le conseil FTQ du Montréal métropolitain reçoit habituellement en assemblée générale les personnes candidates souhaitant solliciter son soutien. La plupart du temps, ce sont des membres issus des sections locales affiliées au conseil, et il s’est agi historiquement essentiellement de candidats se présentant pour le PQ. Toutefois, lors des scrutins de la dernière décennie, certains candidats de QS provenant de syndicats FTQ de Montréal ont demandé et obtenu l’appui du conseil. L’un d’entre eux fait partie du groupe de nouveaux députés élus lors de l’élection générale de 2018 (Entrevues 14 et 15).

Toutefois, c’est le Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN (CCMM) qui peut être considéré comme l’entité syndicale la plus impliquée dans la vie partisane, notamment en lien avec le lancement de QS. Non seulement le CCMM appuie des candidatures lors de scrutins généraux ou locaux (rappelant ainsi son implication dans le FRAP, évoquée précédemment), mais il a également explicitement encouragé et accompagné la fondation de QS. Ainsi, dès son congrès de 2001, il « appuie activement la constitution et le développement d’une alternative politique de gauche, qui correspondent aux orientations syndicales et sociales du conseil central, dans le but d’en faire la promotion et de l’appuyer lors des prochaines élections provinciales et municipales » (CCMM, 2016, p. 12). Son congrès de 2004 demande « que le conseil central s’implique activement dans les débats qui auront lieu au sein de la gauche, particulièrement à l’Union des forces progressistes et au groupe issu de D’abord solidaires, favorisant l’option de politique partisane » (CCMM, 2016, p. 14), et celui de 2007 « [a]ppuie le programme de Québec solidaire dans la mesure où celui-ci correspond aux orientations sociales et syndicales du conseil central », tout en reconnaissant que « Québec solidaire est une organisation politique qui se situe vraiment en rupture avec les partis traditionnels et invite ses membres à militer en son sein » (CCMM, 2016, p. 15). Cette proximité entre le CCMM et QS s’est également manifestée lorsqu’un ancien élu du conseil central est devenu secrétaire général du parti. Il a toutefois tenu à ce que ses deux mandats ne se chevauchent pas, afin de ne pas créer de confusion entre fonction syndicale et fonction politique (Entrevue 19).

Ce contraste entre Montréal et les autres régions du Québec s’est également vérifié dans l’enquête menée auprès des personnes déléguées aux congrès de trois conseils centraux de la CSN (Montréal métropolitain, Outaouais, Abitibi-Témiscamingue–Nord-du-Québec) en 2019. Les congrès des conseils centraux se tiennent tous les trois ans (la même année pour tous les conseils) et rassemblent des personnes déléguées issues de chaque syndicat local affilié. Ils constituent donc des moments privilégiés d’observation des dynamiques de l’organisation, ne se limitant pas uniquement aux organes de direction. L’affinité partisane des personnes déléguées a notamment été abordée dans un questionnaire remis à l’ensemble des participants. Les réponses recoupent les constats faits plus tôt quant aux liens historiques établis entre les organisations syndicales et QS, avec une proximité beaucoup plus forte à Montréal qu’ailleurs au Québec.

Tableau 1

Réponses à la question « Parmi ces partis politiques actifs en politique québécoise, duquel vous sentez-vous le ou la plus proche? » Congrès 2019 des Conseils centraux de la CSN

Réponses à la question « Parmi ces partis politiques actifs en politique québécoise, duquel vous sentez-vous le ou la plus proche? » Congrès 2019 des Conseils centraux de la CSN

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On constate que QS arrive premier dans les partis politiques identifiés à Montréal et en Outaouais. L’appui est toutefois beaucoup plus fort dans la métropole. QS n’arrive que deuxième en Abitibi-Témiscamingue, alors que la région a élu l’une des premières députées de QS en dehors de Montréal lors du scrutin de 2018. Finalement, il est marquant de constater le niveau élevé de personnes déléguées ne se reconnaissant dans aucun parti politique provincial, et ce particulièrement au sein des conseils centraux en région.

Le présent article a proposé une première analyse des mutations récentes de la gauche québécoise, et tout particulièrement de l’évolution du rapport entre partis et syndicats en son sein. Cette évolution est appréhendée en considérant à la fois le point de vue des organisations syndicales et celui d’un parti de gauche émergent, Québec solidaire, sur ce rapport partis-syndicats, et ce dans un contexte marqué par une profonde transformation du système partisan québécois, à la lumière de l’élection provinciale de 2018. L’ensemble est traité à partir d’une perspective d’économie politique critique qui problématise le rapport entre le « politique » et le « social », entre partis et mouvement syndical, ainsi que les processus, réflexions et tensions induits par ce rapport au sein des organisations partisanes et syndicales. L’analyse est située dans un contexte historique (évolution du rapport des syndicats au PQ et au NPD) et spatial (évolution des NPG européens) étendu qui permet un recul comparatif et contribue à mieux cerner l’évolution récente de notre objet d’étude, dans le contexte québécois contemporain.

Les résultats demeurent préliminaires et restent à approfondir. L’étude se concentre sur une section seulement du mouvement syndical, et les données présentées n’ont pour l’instant été recueillies que dans trois régions du Québec. Une étude exhaustive nécessitera une couverture plus large et en profondeur du mouvement syndical, mais aussi une extension de la collecte de données au plan partisan de la recherche, en réalisant notamment des entretiens avec des acteurs de Québec solidaire. Malgré ce caractère préliminaire, il est possible de proposer certaines conclusions qui pourront servir d’hypothèses de travail pour d’autres recherches à venir.

Dans l’ensemble, et en pratique, le rapport aux mouvements sociaux et syndicaux des NPG auxquels s’apparente QS demeure souvent ténu (Keith et March, 2016b, p. 356). Ceci s’explique par le dilemme lié à la « double stratégie » adoptée par ces partis. Ils tentent, d’une part, de se rapprocher de l’exercice du pouvoir en cherchant à construire leur crédibilité comme potentiel parti de gouvernement responsable, de façon à séduire l’électorat de centre gauche, et tentent, d’autre part, de se construire comme parti d’opposition par l’entremise de luttes extraparlementaires et perturbatrices afin de gagner l’appui de la partie de la population désillusionnée par les institutions et qui ne se reconnait pas dans les partis politiques (Lafrance et Principe, 2018). Les difficultés qui découlent de ce dilemme sont illustrées par le fait que la participation ou l’appui à des gouvernements de coalition par des NPG entraine souvent une chute de leurs appuis électoraux et un éloignement des mouvements sociaux, alors que ces partis participent directement ou indirectement à la mise en oeuvre de politiques d’austérité et perdent ainsi de leur crédibilité auprès de leur base (March, 2016, p. 41-43). Ceci n’est pas sans rappeler l’expérience de différents gouvernements formés par le NPD dans différentes provinces canadiennes au cours des dernières décennies.

La stratégie actuellement déployée par QS, qui amène le parti à lancer ses propres campagnes extraparlementaires et à garder une certaine distance avec les mobilisations des organisations non partisanes, vise peut-être moins à résoudre qu’à contourner un problème qui demeure important pour le parti. L’établissement d’un rapport plus fort avec les organisations syndicales, notamment, représente un défi pour le développement du parti, et ce depuis sa fondation (Dufour, 2009, p. 73; Lavallée, 2011, p. 213-214). Ceci touche autant au développement électoral qu’au développement extraparlementaire de QS. Se pose d’abord l’enjeu de la difficulté de massifier des campagnes lancées par QS et de faire des gains en l’absence d’un rapprochement avec un mouvement syndical numériquement beaucoup plus important et stratégiquement positionné dans la société québécoise. Se pose ensuite le problème de la crédibilité électorale et programmatique d’un parti de gauche qui se veut le porte-voix d’un mouvement syndical au sein duquel il peine encore à recueillir un appui majoritaire.

Le syndicalisme, quant à lui, a démontré encore une fois qu’il n’est pas un acteur simple ou uniforme. L’attitude face à QS et à ses succès récents varie non seulement en fonction des centrales mais aussi en leur sein, où l’on constate notamment des contrastes importants en fonction de la localisation géographique ou encore du type d’organisation. Au vu des données préliminaires que nous avons exposées, le soutien à QS semble ainsi se concentrer dans la région métropolitaine et au sein de structures syndicales interprofessionnelles, souvent plus portées à l’implication politique active. Par ailleurs, le décalage entre la position des personnes déléguées et celle adoptée par leur organisation tend à confirmer que l’orientation d’une structure syndicale ne garantit pas nécessairement une adhésion massive voire majoritaire de ses membres. Si la position d’un groupe est le reflet des tendances présentes au sein de ce dernier, et qu’elle exerce en retour une certaine influence sur les membres, l’adéquation est loin d’être parfaite et il n’y a pas de ralliement en bloc à la décision majoritaire.

Ceci va également dans le sens de l’idée suivant laquelle le rapport aux partis entretenu par les syndicats est profondément stratégique. Ces derniers n’ont en effet pas « besoin » des partis pour définir ou conduire leur programme politique. Des débats de société larges ont lieu au sein même des organisations syndicales et lorsque celles-ci réfléchissent à leurs alliances dans la sphère partisane, il s’agit bel et bien de conjuguer affinités idéologiques et efficacité politique. Dans ce sens, le « parti des urnes » compte au moins autant que celui de la « rue » dans les réflexions stratégiques du mouvement ouvrier.

Au final, si le PQ n’a plus la mainmise qu’il a pu avoir sur l’espace progressiste québécois, notamment au sein des organisations syndicales, force est de constater qu’aucune nouvelle hégémonie ne se dessine à l’horizon. La diversité et l’autonomie des appuis syndicaux semblent de rigueur et si QS bénéficie d’un large soutien auprès de plusieurs secteurs, le défi de l’articulation entre partis politiques et mouvement syndical reste entier.