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Dans L’école du racisme, Catherine Larochelle remonte aux origines du racisme systémique dans l’institution scolaire, en montrant que les « deux solitudes » ont une responsabilité commune dans la construction et la transmission du racisme et ne se différencient que rarement.
Larochelle distingue d’abord l’Autre fini et l’Autre absolu, le premier correspondant à l’autrui de la pensée éthique et le second se situant hors de la relation éthique. Or cette incapacité de voir l’autre comme un sujet éthique est au centre de la violence intrinsèque aux représentations de l’Autre dans le discours scolaire, ce dernier y apparaissant comme un objet de connaissance. Le discours scolaire repose sur la double individualisation de personnages (blancs, masculins) et essentialisation des altérités, qui évacue celles-ci hors du temps historique.
Cette essentialisation des altérités, remarque Larochelle, s’inscrit dans un contexte impérial. Périodiques spécialisés et manuels scolaires circulent d’un pays à l’autre et forgent une identité occidentale qui repose sur des savoirs communs : narration des exploits des explorateurs européens, catégorisation du monde, affirmation de la mission civilisatrice des colons européens. L’école consolide d’abord la culture occidentale, avant l’identité nationale, et amène les Canadiens à s’identifier au haut de la hiérarchie du monde civilisé.
Cette hiérarchie se vérifie visuellement, comme le montre l’étude de la place du corps racialisé dans la rhétorique scolaire de l’altérité. Sur le plan pédagogique, la reproduction des représentations de corps-autres par l’institution scolaire est justifiée par le désir de stimuler l’intérêt des enfants et de développer leur capacité d’observation. Or cette différenciation des corps dans les représentations scolaires permet au premier chef de déshumaniser les Noirs. L’idéologie raciste diffusée par le système scolaire s’appuie sur une multiplicité de théories scientifiques issues de la linguistique ou de l’ethnologie. L’Amérique du Nord y est décrite comme un territoire blanc, et les manuels gardent un silence très parlant au sujet de l’esclavage et de la responsabilité des Européens et Nord-Américains dans la traite des esclaves.
Dans le corpus scolaire, l’Amérique du Nord est aussi blanche en raison de l’essentialisation des Indiens : les élèves acquièrent un savoir ethnographique réifiant et déshumanisant qui nie la contemporanéité des peuples autochtones, les situant plutôt dans le paysage du Canada à l’arrivée des explorateurs européens et donc hors de l’histoire. Les manuels, note Larochelle, indiquent la disparition des Premiers Peuples en faisant l’économie des explications, aussi les élèves, ignorants du « génocide » autochtone, s’attendrissent-ils sur leur fin, ce qui entraîne une appropriation de la parole autochtone tant en milieu scolaire que dans la littérature nationale. L’autrice défend ici la thèse d’une histoire d’abord coloniale plutôt que nationaliste. Aux descriptions détaillées des tortures infligées aux martyrs jésuites répondent de pudiques allusions aux actions violentes des colons, qui légitiment la violence coloniale et l’occupation du territoire. En outre, les connaissances des populations autochtones transmises dans les manuels deviennent de plus en plus caricaturales au fil du temps : les élèves qui jouent à l’Indien acceptent implicitement l’ordre colonial.
Larochelle montre d’ailleurs comment la répétition des images et gravures incluses dans différents manuels scolaires tant québécois que canadiens, américains ou européens, contribue à une représentation de l’Autre homogène dans le monde occidental. Cette homogénéité des images contribue à la construction de stéréotypes visuels racistes d’autant plus forts qu’en raison de la fascination pour l’altérité qui accompagne l’idéologie raciste, celle-ci est hypervisible dans le matériel pédagogique.
Enfin, l’autrice aborde la mobilisation missionnaire des enfants canadiens qui s’organise dans les milieux éducatifs tant protestants que catholiques. En articulant altérité et enfance par le biais d’une théorie des émotions, Larochelle rend visible le lien entre l’action de l’enfant catholique et la passivité de l’Autre lointain dans le récit. Le discours missionnaire, souligne-t-elle, est aussi important pour les enfants en raison des loisirs auxquels il donne lieu et qui sont l’occasion d’exercer une agentivité qui leur est rarement reconnue, en particulier pour les jeunes filles.
On soulignera la grande qualité du travail de recherche, tant dans les trouvailles archivistiques et le souci de donner une identité aux enfants dont elle cite les compositions, que dans son analyse rigoureuse des images, et la diversité des disciplines scolaires étudiées : la dissimulation de l’altérité dans des énoncés aux visées pédagogiques variées la rend d’autant plus efficace. L’ouvrage est riche sur le plan théorique : altérité, historicité, et émotions sont finement conceptualisées et articulées de manière originale; l’approche intersectorielle montre une fracture qui est d’abord raciale et culturelle avant de toucher le genre et la classe sociale. Enfin, alors que le racisme systémique demeure un sujet sensible, l’autrice reste loin de la polémique, notant avec habileté les trop rares occasions dans lesquelles les auteurs de manuels scolaires donnent une voix aux Autres. Une sobriété de ton qui contribue à l’efficacité du message.