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Introduction

L’évaluation sommative des apprentissages, soit la fonction de l’évaluation rattachée à la sanction des études, s’inscrit dans une longue tradition, au sein de l’école québécoise. Depuis la parution du premier curriculum en 1841, l’évaluation des apprentissages est généralement associée aux décisions administratives, telles que le doublement ou la promotion. Cette tradition est maintenue dans la récente politique d’évaluation des apprentissages (ministère de l’Éducation du Québec[1] – MÉQ, 2003) et se nomme fonctionde reconnaissance des compétences, en cohérence avec le renouvellement du curriculum actuel (MÉQ, 2001). Par ailleurs, l’idée de l’évaluation formative des apprentissages, dont la fonction est le soutien de la progression des élèves dans une démarche d’enseignement/apprentissage, n’est apparue dans le discours officiel qu’au début des années 1980. Dans le récent discours ministériel (MÉQ, 2003), cette fonction de l’évaluation est nommée fonction d’aide à l’apprentissage. Le Ministère propose que l’évaluation des apprentissages ne se limite plus à la sanction des acquis mais soutienne aussi la réussite des élèves. Cet article vise à rendre compte d’une analyse de l’évolution de la fonction de l’évaluation formative des apprentissages dans le discours ministériel québécois entre 1981 et 2002. Il propose une lecture des principaux indicateurs[2] de cette évolution. La discussion qui y fait suite met en relief les implications de l’évolution de la fonction de l’évaluation formative pour la pratique enseignante.

Problématique

Le questionnement à l’origine de l’étude du discours ministériel québécois sur l’évaluation formative des apprentissages émane de ce que plusieurs auteurs, dont Bain (1988) et Scallon (2000), appellent une distance entre la théorie et les pratiques d’évaluation formative, notamment au primaire. Bien que l’on puisse déceler des indicateurs d’une fonction de l’évaluation formative dans le discours ministériel, selon les auteurs, le soutien à l’apprentissage apparaît difficile à réaliser dans le contexte de la classe. En effet, ils affirment que l’utilisation souhaitée de l’évaluation formative en classe demeure problématique. En fait, les auteurs soutiennent qu’il existe un problème d’articulation entre les deux fonctions de l’évaluation, dans la mesure où, dans la pratique, la signification de l’évaluation formative est souvent synonyme d’évaluations micro-sommatives continues. Il semble, en effet, que la méthodologie retenue depuis plusieurs années soit centrée sur des préoccupations de nature docimologique plutôt que didactique. Cette inquiétude est reprise par le Conseil supérieur de l’Éducation (1992, p. 14) qui déplore que l’évaluation formative soit quelquefois contaminée par l’évaluation sommative. Ces éléments indiquent une certaine confusion entre ce qui est pensé et souhaité, d’une part, et le contexte des pratiques professionnelles, d’autre part.

Dans la communauté scientifique, le concept d’évaluation formative des apprentissages s’est précisé au cours des 35 dernières années. Bloom, Hastings et Madaus (1971) sont les premiers à l’appliquer à l’évaluation des apprentissages des élèves. Ils emploient le concept en référence aux actions de l’enseignant qui tente d’adapter ses stratégies d’enseignement aux difficultés ou aux progrès d’apprentissage observés chez les apprenants. À cette époque, l’évaluation formative est conçue comme une des composantes essentielles de la pédagogie de la maîtrise (Bloom, 1968), et donc associée à la vérification des acquis et à la progression des apprenants dans le but d’atteindre une performance. À la suite des travaux de Bloom et collab. (1971), l’idée de soumettre toute démarche d’apprentissage à une vérification continue et à des ajustements appropriés se répand rapidement dans le monde de l’éducation durant les années 1970 et s’étend à toutes sortes d’approches. Au Québec en particulier, l’intérêt pour l’évaluation formative, alors rattachée à une idée d’amélioration de l’enseignement et des apprentissages, peut être observé dans la première politique d’évaluation des apprentissages du ministère de l’Éducation du Québec (1981).

Pour la première fois, Allal (1979) propose un rapprochement entre l’idée d’amélioration et celle de régulation, la régulation renvoyant à une mise au point, à un ajustement et à la modification d’un processus. Cette association entre l’évaluation formative et la régulation est reprise et renforcée par Scallon : L’évaluation formative a pour fonction exclusive la régulation des apprentissages pendant le déroulement même d’un programme d’études, d’un cours ou d’une séquence d’apprentissage (2000, p. 16). Selon l’auteur, le rapprochement avec la notion de régulation permet d’élargir le concept d’évaluation formative à d’autres formes d’application que celles relatives à un enseignement correctif. Dans sa deuxième politique d’évaluation des apprentissages, le MÉQ (2003) reprend la notion de régulation pour expliciter la fonction d’aide à l’apprentissage.

C’est donc depuis bientôt quatre décennies que les chercheurs développent le concept d’évaluation formative. Presque concomitamment avec les grandes étapes de ce développement, le discours ministériel sur l’évaluation des apprentissages trouve place dans le cadre des éditions successives du curriculum formel. Ainsi, au début des années 1980, le MÉQ propose des programmes d’études structurés autour d’objectifs d’apprentissage centrés sur un contenu notionnel découpé et délimité par le biais d’habiletés hiérarchisées à développer. La parution d’une première politique générale d’évaluation pédagogique (MÉQ, 1981) accompagne ce curriculum ; on y distingue alors deux fonctions de l’évaluation : la traditionnelle fonction sommative et la fonction formative. À cette époque, le Ministère affirme que l’évaluation sommative intervient à la fin d’une série de tâches d’apprentissage et qu’elle sert à informer l’élève et l’enseignant sur la maîtrise d’un ensemble d’objectifs. Quant à l’évaluation formative, elle est alors vue comme une démarche amenant l’enseignant à situer l’élève dans ses apprentissages et à diagnostiquer ses forces et ses faiblesses afin de lui offrir un enseignement correctif pertinent et différencié.

À l’aube des années 2000, le MÉQ propose un curriculum centré sur des compétences à développer, objet d’apprentissage défini comme des savoir-agir fondés sur la mobilisation et l’utilisation efficaces d’un ensemble de ressources (MÉQ, 2001, p. 4). C’est dans ce contexte de réforme que paraissent une nouvelle politique de l’évaluation des apprentissages (MÉQ, 2003) et un cadre de référence en évaluation (MÉQ, 2002), deux documents qui présentent également une fonction de l’évaluation en relation avec la sanction des études, et une fonction formative de l’évaluation. Dans ces documents, celle-ci est désignée comme la fonction d’aide à l’apprentissage qui vise à soutenir l’élève dans l’acquisition de ses connaissances et dans le développement de ses compétences.

Bref, depuis un peu plus de 35 ans, la question de l’évaluation formative des apprentissages fait l’objet de travaux de recherche et de réflexion, et est aussi mobilisée dans le discours ministériel québécois depuis plus de 25 ans. Afin de mieux comprendre en quoi consiste l’évolution de ce discours sur la fonction de l’évaluation formative des apprentissages depuis 1981 jusqu’en 2002, nous avons réalisé une analyse de contenu de documents ministériels publiés sur le sujet au cours de cette période. Une partie des résultats de cette étude est présentée ici, précédée d’une définition opérationnelle du concept d’évaluation formative des apprentissages ainsi que des indicateurs d’évolution utilisés pour l’analyse du discours ministériel. 

Cadre conceptuel

Les dimensions conceptuelles retenues aux fins d’analyse du discours ministériel sur l’évaluation formative des apprentissages sont la finalité, les objets, le processus en lui-même et les principaux acteurs qui interviennent lors de sa mise en oeuvre. Ces dimensions conceptuelles sont définies ici principalement en référence aux travaux de Scallon (1988, 2000) ainsi qu’à ceux d’Allal (1979)[3].

La finalité de l’évaluation formative des apprentissages représente une première dimension du concept. Selon Scallon (2000), l’évaluation formative a pour fonction exclusive la régulation des apprentissages en cours d’acquisition du contenu d’un programme d’études. L’auteur considère que les visées de la régulation sont essentiellement de nature didactique ou pédagogique ; elles s’actualisent par un traitement immédiat de toute difficulté qui surgit. Les objets de cette régulation sont, d’une part, la pédagogie et, d’autre part, l’élève dans son cheminement. Ainsi, la progression des apprentissages de l’élève est objet de régulation, de même que les moyens mis en oeuvre pour favoriser cette progression, tels que les tâches qui lui sont proposées et le fonctionnement de la classe. Ces deux objets sont soumis à des ajustements constants lors du déroulement des activités d’enseignement et d’apprentissage. Selon Laveault (2004) et Scallon (2000), la régulation peut être effectuée soit par l’enseignant, soit par l’élève lui-même, ces deux formes de soutien à la progression des apprentissages étant complémentaires.

Côté (1998) soutient que la régulation qui peut être accomplie par l’enseignant peut porter sur des éléments relevant de trois dimensions : la dimension de la gestion de la classe (ex. : l’environnement matériel), la dimension relationnelle (ex. : le climat du groupe-classe) et la dimension du développement personnel (ex. : le rythme d’apprentissage). L’auteure précise que les modalités de régulation du parcours de l’élève peuvent consister notamment en des suggestions de stratégies d’apprentissage et leur enseignement explicite, en des exercices correctifs et en des questions pour stimuler son activité métacognitive afin d’agir sur la régulation qu’il opère lui-même. Pour Allal (1979, 1984) et Cardinet (1986), ces différentes façons de réguler les apprentissages seraient tributaires du moment de la mise en oeuvre de l’évaluation formative. Par conséquent, les auteurs distinguent trois types de régulation : proactives, interactives et rétroactives. Les régulations proactives sont des ajustements qui interviennent de façon ponctuelle avant une séquence d’apprentissage et qui visent à adapter la planification des activités d’apprentissage selon les besoins des élèves. Les régulations interactives constituent plutôt des ajustements continus qui se produisent en cours même d’apprentissage, et qui visent le traitement immédiat de toute difficulté qui survient. Quant aux régulations rétroactives, elles interviennent après une séquence d’apprentissage, dans le cadre d’un retour sur les tâches non réussies qui permet à l’enseignant de modifier ses interventions par la suite, selon les problèmes relevés. Ainsi, les auteurs attribuent des visées différentes à l’évaluation formative selon le moment où elle est mise en oeuvre.

Plusieurs spécialistes du domaine de l’évaluation, tels que Perrenoud (1991) et Scallon (2000), soutiennent que ce sont les régulations interactives qui doivent occuper une place prépondérante dans l’activité de la classe. Les auteurs reconnaissent que ces mises au point continues en situation permettent d’adapter chaque activité pédagogique, afin que le décalage entre la structure de la situation et les caractéristiques de l’élève soit ajusté de façon optimale, c’est-à-dire de telle sorte que la situation puisse être traitée par l’élève (Scallon, 2000, p. 26).

On retrouve chez Butler et Winne (1995) des précisions au sujet de la régulation qui peut être accomplie par l’élève, régulation qui peut être vue comme une forme d’engagement de sa part dans la tâche à accomplir et qui s’exerce par le biais de différentes activités : déterminer un but d’apprentissage, planifier les activités à comprendre, contrôler les activités en cours de réalisation, vérifier et ajuster ses résultats en fonction de critères. La régulation effectuée par l’élève implique sa participation active et des dispositions métacognitives qui favorisent la mise en oeuvre de processus d’autorégulation. Aux dires des auteurs, c’est justement l’évaluation formative qui stimulerait l’activité métacognitive de l’élève, l’amenant à réguler son processus d’apprentissage.

En somme, l’évaluation formative a pour finalité la régulation des apprentis-sages de l’élève en vue de l’amener à respecter les normes de compétence identifiés au curriculum ; elle peut intervenir à différents moments dans une séquence d’enseignement/apprentissage, selon le but visé, et peut être accomplie par l’enseignant ou par l’élève.

Les objets de l’évaluation formative des apprentissages constituent une deuxième dimension qui contribue à définir de façon opérationnelle le concept. La recension des écrits met en évidence l’idée selon laquelle l’avènement d’un nouveau curriculum amène des changements au niveau des cibles de l’évaluation. D’ailleurs, comme le précise Isabel (2000), les objets de l’évaluation formative constituent un point central, puisque l’ensemble du processus d’évaluation s’organise autour de ceux-ci. Les objets d’évaluation concernent la progression de l’élève, c’est-à-dire le développement de l’ensemble de ses potentialités au regard du contenu d’apprentissage spécifié au curriculum. Isabel (2000) et Scallon (1988) conçoivent qu’un objet d’évaluation est composé de deux éléments entre lesquels s’établit un rapport : d’une part, le référentiel, c’est-à-dire des données de l’ordre de l’idéal identifiées par l’évaluateur et généralement établies dans le curriculum formel et, d’autre part, le référé, c’est-à-dire des données concernant l’évalué (l’élève) en situation d’apprentissage.

Le référé est observé chez l’élève par l’enseignant. Selon Allal (1979), il représente la performance de l’élève ou le processus menant à cette performance à un moment précis, lors d’une situation d’apprentissage. De fait, l’auteure associe le référé ou la performance à des aspects cognitifs, c’est-à-dire aux produits de l’apprentissage en cours : connaissances, habiletés, attitudes ou compétences. Quant au processus menant à cette performance, Allal l’associe à des aspects d’ordre métacognitif, c’est-à-dire à des démarches entreprises par l’élève pour acquérir et construire ses connaissances, ou à des stratégies qu’il utilise pour résoudre un problème. Pour Tombari et Borich (1999), le référé correspond à différents éléments que les auteurs considèrent comme faisant partie du processus d’apprentissage : le contenu d’apprentissage, les stratégies cognitives spécifiques et transversales, l’activité métacognitive de l’élève et même ses dispositions d’esprit (habits of mind), tel que le degré d’engagement dans une tâche (Figure 1). Selon ces auteurs, tous ces éléments sont susceptibles de faire l’objet d’évaluation formative.

Figure 1

Le processus d’apprentissage (modèle inspiré de Tombari et Borich, 1999)

Le processus d’apprentissage (modèle inspiré de Tombari et Borich, 1999)

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Bref, les objets de l’évaluation formative des apprentissages renvoient à la progression de l’élève, c’est-à-dire à l’évolution du développement de l’ensemble de ses potentialités. L’enseignant observe cette progression sur le plan des produits et des processus de l’apprentissage.

Le processus de l’évaluation formative des apprentissages constitue la troisième dimension conceptuelle retenue. Le processus d’évaluation est mis en oeuvre dans un contexte et implique l’adoption d’une démarche par l’enseignant.

Le contexte dans lequel se déroulent les activités d’évaluation formative est compris comme étant les circonstances générales dans lesquelles se déroule l’évaluation, les conditions concrètes auxquelles l’élève est soumis au moment des situations d’évaluation et les caractéristiques relatives aux tâches qui lui sont présentées. Comme le mentionne Legendre (1993), le contexte peut influencer la compréhension et la production de l’élève au moment des activités d’évaluation formative.

Quant à la démarche d’évaluation formative qui se déroule dans un contexte donné, elle est envisagée différemment selon les auteurs. Pour Isabel (2000), toute démarche d’évaluation doit, indépendamment de sa fonction, comporter les trois phases suivantes : recueillir, interpréter et communiquer l’information. Pour sa part, Nizet (1999), s’appuyant sur De Landsheere (1979), conçoit la démarche d’évaluation formative comme s’opérant en deux temps : d’abord un diagnostic est posé en fonction des informations recueillies et de l’interprétation qui en a été faite, puis la régulation s’effectue à la suite de l’identification des actions à mener. À l’instar d’Allal (1991) et de Scallon (1988), Nizet insiste sur l’importance d’un cadre de référence qui aide l’évaluateur à choisir les instruments pour recueillir des informations et à choisir des principes pour interpréter les données qu’il recueille en contexte.

En résumé, le processus de l’évaluation formative des apprentissages est défini par le contexte dans lequel se déroule l’évaluation ainsi que par la démarche adoptée par l’enseignant qui évalue dans un but formatif.

La quatrième dimension retenue pour compléter la définition opérationnelle de l’évaluation formative des apprentissages concerne les acteursprincipaux engagés dans sa mise en oeuvre, l’enseignant et l’élève. Selon Legendre (1993), la position occupée par un acteur dans un ensemble interactionnel lui confère des responsabilités qui définissent les particularités des rôles attribués. Le choix d’examiner les rôles des acteurs est donc fondé sur l’hypothèse qu’une modification apportée à un contenu curriculaire occasionne une configuration différente des rôles des divers acteurs de la relation éducative.

Au sujet du rôle de l’élève dans l’évaluation formative des apprentissages, Scallon (1988) précise qu’il peut être gradué en intensité, depuis la passivité la plus totale, en passant par des degrés divers de participation ou de collaboration pour arriver enfin à des démarches d’autonomie, c’est-à-dire des démarches d’autoévaluation (p. 137). Ainsi, si l’enseignant peut évaluer le travail accompli par l’élève, il peut également créer des occasions qui permettent à ce dernier d’apprécier certains aspects de son travail, voire l’ensemble de sa performance.

Au sujet du rôle de l’enseignant, Deslauriers (1998) et Scallon (2000) mentionnent qu’il ne saurait être réduit à une fonction passive d’observateur. Ces auteurs soutiennent en effet que la notion même d’évaluation formative renvoie à l’idée d’une intervention ; autrement dit, d’une action permettant d’assurer la progression de l’élève.

Finalement, Laveault (2004) soutient qu’une forme de régulation s’opère entre les rôles de l’élève et de l’enseignant lors de l’évaluation formative. Selon lui, chaque acteur contribue autant à définir son propre rôle que celui de l’autre. En effet, ils doivent ajuster leurs rôles respectifs, c’est-à-dire coordonner leurs représentations de l’objectif à atteindre, discuter des moyens à entreprendre pour l’atteindre, et s’entendre sur des critères indicateurs de l’atteinte de l’objectif. Bref, les principaux acteurs de l’évaluation formative des apprentissages sont l’enseignant et l’élève. Dans le contexte de notre cadre d’analyse, ceux-ci se définissent par l’identification de leurs responsabilités et de leurs rôles respectifs.

La définition opérationnelle de la fonction de l’évaluation formative des apprentissages constitue un cadre d’analyse du discours ministériel québécois de 1981 à 2002, et permet d’en cerner l’évolution au cours de cette période. Dans cette perspective, la question de recherche se pose dans les termes suivants : Quelle est l’évolution de la fonction de l’évaluation formative des apprentissages à travers le discours ministériel québécois entre 1981 et 2002 ? Une meilleure connaissance de cette évolution devrait permettre d’en questionner plus précisément les implications pour les enseignants sur le plan des objets, de la démarche d’évaluation formative en elle-même et de la nécessaire contextualisation de celle-ci, ainsi que de leurs rôles et responsabilités en tant qu’acteurs premiers de l’évaluation formative des apprentissages auprès des élèves.

Méthodologie

La méthodologie employée consiste en une analyse de contenu thématique d’un corpus composé de 10 documents représentatifs du discours ministériel sur l’évaluation formative des apprentissages entre 1980 et 2002. Le corpus à l’étude est divisé en trois sous-corpus nommés respectivement période 1980, période 1990 et période 2000 (Tableau 1).

Tableau 1

Corpus documentaire retenu à des fins d’analyse

Corpus documentaire retenu à des fins d’analyse

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Les données sont recueillies suivant le processus proposé par Bardin (1996) : découpage des textes en unités, détermination des modalités de codage, réalisation d’un pré-test pour vérifier la fiabilité des indicateurs, et puis codage des textes. De plus, quelques suggestions proposées par Van der Maren (1995) sont mises en oeuvre afin d’assurer la fidélité des données, comme la technique du double codage intra-codeur, ainsi que la validité des données, comme la rédaction d’un journal de bord quotidien.

L’analyse des données permet de faire ressortir des indicateurs de l’évolution de la fonction de l’évaluation formative des apprentissages à travers les quatre dimensions conceptuelles retenues par la mise en relation des trois sous-corpus, soit sur le plan de la finalité, des objets, du processus et des principaux acteurs. Cette évolution est comprise en tant que continuités, ruptures, nouveautés et éléments de prospective contenus au discours analysé au cours des différentes périodes à l’étude.

Les indicateurs de continuité sont des éléments de contenu présents dans le discours ministériel des trois périodes à l’étude. Les indicateurs de rupture renvoient aux discontinuités du discours, aux changements de perspective ou encore à l’abandon de certaines orientations au profit de nouvelles en matière d’évaluation formative. Des indicateurs de nouveauté sont dégagés du discours ministériel lorsque la mise en relation des périodes à l’étude provoque l’apparition d’un élément qui n’a pu être repéré dans le ou les discours précédent(s). Quant aux indicateurs de prospective, ils constituent des éléments de contenu desquels semble se dégager une tendance générale au fil des périodes étudiées.

Résultats[4]

L’analyse des données de recherche met au jour des indicateurs d’évolution de la fonction de l’évaluation formative des apprentissages à travers le discours ministériel. La sélection des indicateurs d’évolution présentés dans les limites de cet article est fondée sur un critère de pertinence, eu égard au questionnement de leurs implications de mise en pratique par les enseignants.

Les indicateurs de continuité

Quatre indicateurs de continuité se dégagent du discours ministériel ; parmi ceux-ci, deux ont trait à la finalité de l’évaluation formative et deux autres à la démarche.

Un premier indicateur de continuité est relatif au lien établi entre l’évaluation formative et la régulation du processus d’apprentissage de l’élève et du contexte pédagogique. Au cours des trois périodes à l’étude, cette association est toujours présente dans le discours, et ce, même si le vocable régulation n’est pas explicitement employé par le MÉQ au début des années 1980. En fait, c’est surtout dans les plus récents documents qu’il est employé, et que le rôle de la régulation dans la progression de l’élève est explicité.

Un deuxième indicateur de continuité a trait à la reconnaissance du rôle de l’évaluation formative dans l’activation du processus métacognitif de l’élève. Le discours associé à la période 2000 se distingue, cependant, par la présence d’une explicitation de l’articulation entre l’activité métacognitive de l’élève et l’évaluation formative des apprentissages : la prise de conscience de son processus d’apprentissage, suscitée par la fonction d’aide à l’apprentissage, permet à l’élève de construire sa connaissance et ainsi d’assurer la progression de ses apprentissages. Un feedback rapide est reconnu comme une forme de mise en oeuvre de l’évaluation formative des apprentissages au cours des trois périodes étudiées. De plus, l’importance d’un feedback hâtif dans la régulation du processus d’apprentissage est soulignée dans l’ensemble du discours ministériel, et ce, même si les documents associés à la période 1980 sont moins explicites à ce propos.

Un troisième indicateur de continuité est rattaché à la démarche d’évaluation, plus précisément à la planification de l’évaluation. D’abord, l’importance de la planification de l’évaluation formative dans une perspective de systématisation de la démarche est mise en relief dans l’ensemble du discours ministériel. Il en va de même en ce qui concerne l’importance de planifier l’évaluation formative en concomitance avec l’enseignement. Finalement, au cours des trois périodes étudiées, le discours insiste sur l’importance d’une planification souple de l’évaluation formative, une planification qui s’adapte aux besoins rencontrés en classe.

Un quatrième indicateur de continuité, également lié à la démarche d’évaluation, concerne le jugement que pose l’enseignant sur la situation de l’élève. Cette étape est toujours reconnue comme très importante, voire prépondérante, par rapport aux autres étapes de la démarche qui consistent, sommairement, en une prise d’information sur la progression de l’élève, à l’interprétation de cette information et à la décision qui fait suite au jugement. De plus, la nécessité de prendre en compte un ensemble de renseignements complémentaires à l’étape du jugement, autres que les renseignements fournis lors de l’étape de la prise d’information, est mise en relief au cours des trois périodes à l’étude, dans un souci de justice envers l’élève.

Les indicateurs de rupture

Les deux indicateurs de rupture qui retiennent l’attention concernent les objets de l’évaluation formative ainsi que les tâches d’évaluation.

Le premier indicateur de rupture a trait à la relation établie entre l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation. Dans le discours associé à la période 1980, les éléments identifiés comme des objets d’évaluation correspondent à ce qui doit être enseigné et à ce qui doit être appris par les élèves. Cette observation a d’ailleurs été exposée dans le cadre d’un regard rétrospectif que pose le MÉQ au sujet de cette relation. En raison de l’introduction de la compétence en tant que nouveau produit de l’apprentissage, cette relation linéaire, traditionnellement établie par l’enseignant entre les objets de l’enseignement, de l’apprentissage et de l’évaluation, ne serait désormais plus possible. En effet, selon le MÉQ, la compétence ne s’enseigne pas directement, car elle n’est pas de l’ordre d’un savoir ou d’un savoir-faire bien délimité, mais bien d’un savoir-agir complexe qui mobilise une diversité de ressources, et qui se développe tout au long de la scolarité.

On peut identifier un second indicateur général de rupture sur le plan des tâches d’évaluation formative que conçoit et pilote l’enseignant. En effet, un curriculum structuré autour de compétences amènerait à favoriser des tâches d’évaluation complexes plutôt que des tâches relativement simples et formalisées sur papier, comme les examens écrits et les tests, souvent mentionnés dans les documents des périodes 1980 et 1990. Selon le discours associé à la période 2000, ce type de tâches n’est plus compatible avec les nouvelles orientations ; en raison de la nature complexe des compétences, les tâches proposées aux élèves doivent également être complexes (ex. : la mise en oeuvre d’un projet). De plus, selon le MÉQ, les tâches d’évaluation peuvent se dérouler sur une période de plusieurs jours, voire plusieurs semaines, et elles doivent être souples pour permettre à l’élève de proposer des réponses variées aux tâches qui lui sont soumises.

Les indicateurs de nouveauté

Deux indicateurs de nouveauté sont présentés ; ils concernent respectivement les produits de l’apprentissage et l’acquisition des connaissances.

Le premier indicateur de nouveauté s’inscrit dans le prolongement de l’un des indicateurs de rupture explicité précédemment, soit les compétences en tant qu’objets d’évaluation formative. Le MÉQ les décrit comme complexes, globales, évolutives et intégratives, et il en distingue deux types : les compétences disciplinaires et les compétences transversales. Ces nouveaux produits de l’apprentissage constituent un défi de conceptualisation pour l’enseignant.

Le deuxième indicateur de nouveauté est relatif aux connaissances - identifiées comme des objets d’évaluation formative au cours des trois périodes - et plus particulièrement, à la façon de les acquérir. En effet, au cours de la période 1980, il est question d’activités d’acquisition de connaissances, mais le MÉQ ne fournit pas davantage de précisions à leur sujet. Durant la période 1990, les connaissances sont traitées selon une logique inhérente au contenu d’apprentissage. Par ailleurs, dans le discours associé à la période 2000, en raison de la nouvelle définition de l’apprentissage retenue, il est question de construction de connaissances ; par conséquent, d’une appropriation personnelle de la connaissance par l’élève. De plus, le MÉQ affirme maintenant que les activités d’acquisition de connaissances sont conçues par l’enseignant dans la mesure où elles répondent à un besoin des élèves en cours de réalisation des tâches d’apprentissage.

Les indicateurs de prospective

Les indicateurs de prospective issus de l’analyse du discours ministériel sont au nombre de neuf. Le premier est relatif à la finalité de l’évaluation formative, le deuxième concerne les produits de l’apprentissage et le processus d’apprentissage de l’élève en tant qu’objets d’évaluation formative. Les troisième et quatrième indicateurs de prospective présentés se rattachent au processus d’évaluation formative, plus spécifiquement aux circonstances générales de celle-ci. Les cinquième et sixième ont plutôt trait à la démarche d’évaluation. Les trois derniers indicateurs de prospective concernent les acteurs principalement concernés par l’évaluation formative, c’est-à-dire l’élève et l’enseignant.

Au fil des périodes étudiées, il se dégage un premier indicateur de prospective qui concerne la finalité de l’évaluation formative. De fait, cette finalité évolue d’une vérification du degré d’atteinte des objectifs d’apprentissage spécifiés dans le curriculum formel vers un soutien à l’apprentissage. En outre, l’ensemble du discours ministériel évolue également vers une reconnaissance de plus en plus marquée du rôle prépondérant des ajustements suggérés par l’évaluation formative mobilisée pendant le déroulement des activités d’apprentissage, laquelle permettrait à l’enseignant de réagir aux besoins immédiats et individuels qui surgissent.

Un deuxième indicateur de prospective lié aux objets de l’évaluation formative des apprentissages est relatif à la présence d’objets d’évaluation de plus en plus complexes, identifiés de façon explicite dans le discours formel (se rapporter à la Figure 1). Ainsi, durant la période 1980, l’évaluation formative des apprentissages semble être associée presque exclusivement aux contenus d’apprentissage, c’est-à-dire aux connaissances rattachées aux diverses matières scolaires identifiées dans le programme. Durant la période 1990, le MÉQ identifie des cibles d’évaluation un peu plus complexes, telles les démarches employées par l’élève pour atteindre les objectifs d’apprentissage fixés. Durant la période 2000, les objets d’évaluation semblent se complexifier davantage, comme en témoigne l’identification par le MÉQ de la démarche de structuration des connaissances en tant que cible à évaluer. Également, le nouveau curriculum qui accompagne ce discours s’articule autour de compétences à développer, un produit de l’apprentissage complexe qui vient soutenir la tendance dégagée du discours ministériel à l’effet qu’une complexification des objets d’évaluation s’est opérée au cours de la période couverte par l’analyse.

L’explicitation graduelle d’un cadre de référence pour guider le milieu scolaire en matière d’évaluation des apprentissages représente un troisième indicateur de prospective. Ainsi, certaines remarques, observées dans le discours de la période 1980, évoquent de manière implicite un cadre de référence en évaluation. Une décennie plus tard, le MÉQ présente deux conceptions de l’apprentissage, mais sans favoriser l’une d’elles. Néanmoins, il souligne l’importance de clarifier le cadre de référence sur lequel s’appuie l’enseignant pour interpréter les informations réunies sur la performance de l’élève. Avec l’avènement de la réforme, le MÉQ (2002) propose un premier cadre de référence explicite en évaluation des apprentissages qui s’appuie sur les conceptions psychopédagogiques qui sous-tendent la réforme en cours.

Un quatrième indicateur de prospective émerge du discours officiel, soit une évolution en faveur d’une évaluation continue des apprentissages dans une perspective de soutien à ceux-ci. En effet, si le discours de la période 1980 ne fournit aucune indication quant à la fréquence de l’évaluation, celui de la période1990 propose une évaluation fréquente des apprentissages. Dans le discours de la période 2000, le MÉQ (2003) fait de l’évaluation une préoccupation de tous les instants dans une perspective de soutien au développement des compétences : […] évaluer constamment et périodiquement les besoins et l’atteinte des objectifs par rapport à chacun des élèves (p. 61). L’emploi des termes constamment et périodiquement renforce la tendance observée, d’une évaluation continue des apprentissages par l’enseignant.

Un autre indicateur de prospective dégagé du discours ministériel concerne la démarche d’évaluation, qui semble s’assouplir au fil des périodes étudiées. Au cours de la période 1980, la démarche d’évaluation proposée semble linéaire, opérant selon une série d’étapes consécutives : enseignement d’une notion, proposition d’exercices d’apprentissage, évaluation des apprentissages réalisés et, le cas échéant, enseignement correctif selon les besoins identifiés. Le discours de la période 1990 est similaire au précédent, bien qu’on puisse y relever la conception d’une démarche moins rigide. En effet, il semble que l’enseignant puisse suspendre son jugement afin d’aller chercher plus d’informations. Dans le discours de la période 2000, la démarche d’évaluation, constituée de cinq étapes, est dite plus souple ; d’après le Ministère, les étapes suivraient une logique itérative plutôt que séquentielle.

Le sixième indicateur de prospective est relatif à la possibilité, pour l’enseignant, d’employer et de varier les moyens pour recueillir des informations sur la progression de l’élève. Durant la période 1980, le MÉQ propose l’utilisation de moyens instrumentés, tels les tests et les examens, afin de se renseigner sur la performance de l’élève. L’utilisation de grilles d’observation, d’examens maison ou de feuilles de route est également proposée. À cette époque, les moyens non instrumentés, tel le questionnement oral, sont aussi suggérés. Durant la période 1990, le MÉQ propose également l’emploi de moyens instrumentés, tels que l’examen écrit à réponses choisies et construites, ainsi que l’utilisation de grilles d’observation, d’accompagnement ou d’appréciation. Les moyens non instrumentés semblent alors également considérés comme pertinents. Le discours associé à la période 2000, quant à lui, reconduit aussi la pertinence de l’ensemble de ces moyens, mais en propose d’autres : entrevues, réseaux de concepts, listes de vérification, etc. Précisons que les moyens non instrumentés sont l’objet d’un intérêt particulier durant la période 2000, et ce, en raison de l’importance que le MÉQ accorde à l’ajustement in situ, par l’enseignant, des tâches d’apprentissage proposées aux élèves.

Un septième indicateur de prospective concerne l’engagement de l’élève dans la démarche d’évaluation : au fil du temps, les décisions prises au terme de la démarche d’évaluation formative font de plus en plus appel à une action possible de l’élève, et cette action est mieux documentée. Durant la période 1980, le MÉQ affirme que l’élève doit s’impliquer dans la démarche d’évaluation, mais alors il ne précise pas quel type d’engagement est souhaité. Durant la période 1990, le discours devient un peu plus explicite : l’élève est partie prenante dans l’évaluation de ses apprentissages par le biais de procédés d’autoévaluation, tels que des listes de vérification, des grilles d’accompagnement ou encore d’autres outils lui permettant de se corriger par lui-même. Une ouverture est également manifestée quant à une possible action de l’élève au regard du choix des stratégies d’apprentissage. Le discours associé à la période 2000 attribue beaucoup d’importance à l’engagement actif de l’élève dans la démarche d’évaluation de ses apprentissages. Ce dernier doit notamment comparer les démarches qu’il a suivies et les résultats qu’il a obtenus à différents moments, identifier les progrès qu’il a accomplis en faisant ressortir les réussites et les difficultés, et confronter son interprétation à celle de l’enseignant lors d’échanges sur son cheminement. Bref, l’enseignant sollicite la participation de l’élève dans la régulation de sa démarche d’apprentissage en soutenant l’analyse des réalisations de celui-ci.

Un autre indicateur de prospective est relatif au développement d’une reconnaissance de plus en plus affirmée de l’expertise de l’enseignant en matière d’évaluation des apprentissages. Durant la période 1980, le MÉQ affirme que l’évaluation formative est la responsabilité première de l’enseignant, notamment en raison de la position privilégiée qu’il occupe auprès de l’élève. C’est au cours de la période 1990 que le terme professionnel est associé à l’enseignant pour la première fois dans les documents analysés. À cette époque, le MÉQ lui reconnaît une large part d’autonomie en matière d’évaluation formative, notamment en ce qui concerne le choix des instruments de mesure. Plus récemment, au cours de la période 2000, le MÉQ fait un pas de plus : il affirme le caractère professionnel de l’acte d’enseigner lorsqu’il aborde la question du jugement de l’enseignant et, du même coup, reconnaît son expertise en matière d’évaluation, une expertise qu’il considère comme une des marques de ce professionnalisme. En le reconnaissant comme un professionnel, notamment sur le plan de l’évaluation, les documents analysés précisent que l’enseignant doit assumer en contrepartie les responsabilités inhérentes à ce statut.

Finalement, et toujours lié à la conception de l’enseignant véhiculée dans le discours, un neuvième indicateur de prospective peut être dégagé : au fil du temps, le MÉQ affirme d’une façon de plus en plus soutenue que l’enseignant doit se préoccuper de l’impact de ses pratiques d’évaluation pour des considérations éthiques. Dès le discours de la période1980, la mise en relief des effets de l’évaluation sur l’élève est présente : l’enseignant est explicitement invité à réfléchir aux décisions qu’il prend lorsqu’il évalue les apprentissages d’un élève, compte tenu des conséquences de cette pratique sur son cheminement. Cette invitation est réitérée dans le discours de la période 1990 : le MÉQ soutient que l’enseignant doit réfléchir à ses pratiques, voire accepter de les remettre en question, le cas échéant. Dans le discours associé à la période 2000, réfléchir aux impacts des pratiques évaluatives est qualifié de responsabilité éthique partagée découlant de la reconnaissance du caractère professionnel de l’acte d’enseigner. En effet, selon le MÉQ, l’enseignant doit pouvoir reconnaître les limites de son jugement et accepter de le remettre en question, en collégialité, ce qui constitue une marque tangible de professionnalisme.

En résumé, il appert que certains indicateurs de continuité renforcent ceux de prospective qui abondent dans le sens d’une finalité de l’évaluation formative orientée vers le soutien à l’apprentissage. Le tableau 2 permet de constater plus aisément ce lien entre les indicateurs.

Tableau 2

Principaux indicateurs d’évolution de la fonction de l’évaluation formative des apprentissages dans le discours ministériel entre 1981 et 2002

Principaux indicateurs d’évolution de la fonction de l’évaluation formative des apprentissages dans le discours ministériel entre 1981 et 2002

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La tendance du discours ministériel à recentrer la finalité de l’évaluation formative sur le soutien à l’apprentissage représente une donnée jugée particulièrement significative, en raison de ses implications sur la mise en pratique de celle-ci par les enseignants.

Discussion et conclusion

Les résultats de recherche permettent d’affirmer qu’il y a bien une évolution de la fonction formative de l’évaluation des apprentissages à travers le discours ministériel entre 1981 et 2002, soit jusqu’à la plus récente réforme curriculaire. Le soutien à l’apprentissage des élèves est la finalité de l’évaluation formative explicitement annoncée. Dans ce contexte, soutenir l’apprentissage signifie, pour les enseignants, accompagner leurs élèves et favoriser le développement des compétences définies dans le nouveau curriculum (MÉQ, 2001). Les implications de cette évolution pour la pratique enseignante actuelle sont nombreuses. Nous concluons en initiant quelques pistes de réflexion à cet égard.

Les travaux de Maheux (1995) sur la représentation de leur pratique, par les enseignantes de l’école primaire, ont mis en relief des aspects complexes, voire confus, de l’évaluation des apprentissages. De plus, la problématique de recherche présentée ci-haut fait état d’un problème soulevé par plusieurs auteurs (Bain, 1988 ; Scallon, 2000), ainsi que par le Ministère (MÉQ, 1992), soit la contamination dans la pratique de l’évaluation formative par des habitudes associées à l’évaluation sommative, héritées de la fonction de contrôle social, traditionnellement assumée par l’école. Par ailleurs, l’analyse du discours ministériel a mis en évidence l’absence d’un cadre de référence clair en évaluation des apprentissages au cours des années 1980. Ce vide référentiel aurait-il contribué à la confusion et, dans une certaine mesure, à la contamination de l’évaluation formative telle qu’identifiée par d’aucuns ? L’analyse réalisée a aussi permis de constater l’effort d’explicitation d’un cadre de référence formel en évaluation des apprentissages (MÉQ, 2002) depuis le début des années 1980. Cependant, deux préoccupations demeurent : celle du caractère pratique de ce cadre de référence et celle de son appropriation par les enseignants. S’agit-il d’un référentiel facile d’interprétation, de contextualisation et d’opération par les enseignants ? Qu’en est-il dans la pratique quotidienne de l’évaluation formative des apprentissages ?

Le phénomène de contamination (Conseil supérieur de l’Éducation, 1992) de l’évaluation formative des apprentissages peut aussi être mis en relation avec la conception du statut des enseignants, comme l’a véhiculée le discours institutionnel au début des années 1980, et antérieurement, selon laquelle ils étaient vus comme des exécutants des prescriptions du programme de formation. En effet, selon Tardif et Lessard : […]les enseignants ont toujours été un corps d’exécutants qui n’a jamais en tant que tel participé à la sélection de la culture scolaire et à la définition des savoirs nécessaires à la formation des élèves (1999, p. 77). Les résultats de notre étude vont dans le même sens. De fait, la définition des actes des enseignants proposée par le MÉQ au cours des années 1980 et 1990 semble fondée sur une conception techniciste : ils enseignent les apprentissages ciblés dans le curriculum au moyen de séries d’activités d’apprentissage, au terme desquelles ils procèdent à la mesure des acquis. Les enseignants jugent alors des résultats de leurs élèves à l’aune de critères préétablis et relativement uniformes, selon le modèle prévalant de l’évaluation sommative. Dans ce contexte, les gestes d’évaluation formative qu’ils posent relèvent d’un enseignement correctif en vue de pallier les lacunes des élèves.

Par ailleurs, le discours curriculaire formel des années 2000 confère une marge de manoeuvre aux enseignants sur le plan de la mise en oeuvre de l’évaluation formative, qui serait maintenant conçue comme un acte professionnel (MÉQ, 2003). Les nombreuses implications des orientations du curriculum, dont celles liées au soutien à l’apprentissage, mettent en évidence la reconnaissance du caractère professionnel de l’enseignement et des responsabilités qui y sont rattachées. D’ailleurs, plusieurs éléments constitutifs du discours institutionnel vont dans le sens d’une complexification du travail d’évaluation des apprentissages des élèves. D’abord, le MÉQ affirme qu’il n’y aurait plus de temps dévolu spécifiquement à l’évaluation. La conception d’une évaluation intégrée à l’apprentissage exige des enseignants qu’ils envisagent des façons de suivre la progression de leurs élèves dans le cours même des activités d’apprentissage, tout en posant des gestes pour soutenir cette démarche. De plus, les enseignants sont maintenant invités à cibler des objets d’évaluation complexes, comme le représente le modèle inspiré de Tombari et Borich (1999 ; voir Figure 1), à inférer les démarches d’apprentissage des élèves et à cumuler un grand nombre d’informations dégagées de la réalisation de tâches complexes privilégiées pour le développement des compétences. La nature même des compétences exige que les enseignants portent attention aux ressources déployées par leurs élèves, afin de tracer un portrait de leur capacité à les mobiliser, selon un parcours qui est propre à chacun. Ils sont donc amenés à porter un jugement sur le développement des compétences, en tenant compte d’un ensemble d’éléments, y compris des besoins qui émergent dans l’action, ce qui aurait comme conséquence de rendre impossible la planification préalable complète de l’évaluation. L’ensemble de ces considérations conduit à conclure à une proposition de changement de posture professionnelle majeure, laquelle soulève des questions : Quelles sont les stratégies d’interprétation et d’appropriation du cadre de référence en évaluation à développer de la part des enseignants ? Quelles sont les conditions professionnelles et institutionnelles de mise en application de cette proposition au regard de la réussite scolaire des élèves d’un groupe donné dans le contexte d’une classe ?

L’évolution de la finalité de l’évaluation formative vers le soutien à l’apprentissage dans le discours ministériel soulève d’autres implications, notamment l’exigence d’une grande capacité de réflexion, de remise en question et d’adaptation de la part des enseignants. On leur demande d’inscrire leur pratique dans une démarche individuelle et collégiale d’analyse réflexive axée sur l’apprentissage et sur la réussite des élèves ; on suppose, en effet, du même souffle, que la culture organisationnelle de l’établissement scolaire dans lequel ils travaillent les soutient quotidiennement à cet égard. Si on retient cette perspective d’autonomie professionnelle, la question des stratégies individuelles et collégiales d’analyse, voire de recherche-action, de même que celle des conditions concrètes d’exercice de la pratique et de son analyse se posent en raison des particularités des situations de travail des enseignants. Selon les observations des chercheurs du Laboratoire d’analyse de données et de formation en mesure et évaluation (Labform, 2001), cette même perspective peut se traduire en une tendance à faire reposer le poids d’une responsabilité sociale sur les seules épaules des enseignants. En effet, ces spécialistes de l’évaluation estiment que les documents ministériels accompagnant la réforme attribuent aux enseignants la responsabilité de répondre aux exigences sociales des parents et des organismes qui demandent au système scolaire de leur dire ce que valent les apprentissages de chaque élève (p. 11). Ils affirment également qu’il se dégage de ces documents une prémisse à l’effet que tout enfant peut tout apprendre pourvu qu’il en ait le temps et qu’il utilise les méthodes d’apprentissage qui lui sont les plus appropriées (p. 13). Cependant, si les enseignants sont responsables du contexte pédagogique immédiat, ils ne contrôlent pas les ressources de l’environnement institutionnel, encore moins les conditions de vie des élèves. Ces éléments soulèvent la question de l’identification des responsabilités, et aussi des limites et des conditions d’exercice des enseignants par rapport à l’atteinte, par les élèves, des standards de formation prévus au curriculum.

En somme, l’analyse de la fonction de l’évaluation formative des apprentissages dans le discours ministériel québécois entre 1981 et 2002 permet de constater le passage d’une finalité associée à la vérification du degré d’atteinte des objectifs d’apprentissage vers une finalité davantage liée au soutien à l’apprentissage. Ce passage n’est pas sans poser un défi de taille aux enseignants quant à leurs pratiques actuelles, puisqu’il implique notamment que ceux-ci intègrent à leur action quotidienne l’intention et les modalités de lecture et d’appréciation du cheminement différencié des élèves. Il implique également la prise en compte, non seulement du résultat de l’apprentissage, mais aussi celle des processus dits cognitifs et métacognitifs des élèves. Dans cette optique, la mise en pratique de l’évaluation formative dans une perspective de soutien à l’apprentissage appelle l’innovation au plan des cadres de référence et des démarches concrètes d’observation, d’analyse et de réinvestissement en situation de classe. Dans cette optique, l’enjeu de la formation initiale et continue consiste à doter les enseignants d’outils conceptuels et de modèles théoriques de l’apprentissage pour enrichir leur grille de lecture, grille qui permet l’identification et l’interprétation des difficultés d’apprentissage de leurs élèves.

Bref, l’évolution de la fonction de l’évaluation formative dans le discours ministériel, dans le sens d’une centration sur le soutien à l’apprentissage, met en question la portée pratique de cette orientation et sa faisabilité en contexte de classe. Par conséquent, il paraît important d’examiner cette problématique liée au développement d’une culture de collégialité et d’une pratique d’analyse réflexive dans la perspective d’une professionnalisation de l’enseignement et à partir du point de vue des enseignants, acteurs concernés au premier plan par l’évaluation formative des apprentissages.