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Le bouleversement des repères avec lequel les personnes engagées en éducation doivent composer est passé dans l’ordre des choses. Le titre de cet ouvrage est révélateur de cela, car autant il laisse voir l’étendue de la formation fondamentale en l’associant aux éléments non exclusifs que sont la culture, la compétence et le contenu, autant il expose l’imprécision de cette formation, composite dans les interstices de ces mêmes éléments, mal définie sans doute si elle appelle une redéfinition.

L’ouvrage compte onze chapitres et se divise en deux parties. Dans la première partie, on examine les notions de formation fondamentale, de culture, de compétence et de contenus disciplinaires. Au premier chapitre, C. Gohier et S. Grossman analysent la notion de formation fondamentale, en retracent l’origine québécoise et ses mutations, la mettent en rapport avec les notions de culture générale et de compétence. Tenant compte des discours et des contextes, elles parviennent à faire ressortir le sens et les enjeux de l’option actuellement dominante en faveur de la compétence. Les chapitres de J.-C. Forquin et de F. Audigier ajoutent des compléments fort utiles à la réflexion, le premier traitant de la culture scolaire et le second approfondissant la problématique des contenus d’enseignement, entre autres, leur légitimité scientifique, sociale, pédagogique et axiologique. Ph. Perrenoud, pour sa part, souligne les enjeux de formation et de socialisation de la formation scolaire ; on reconnaîtra des idées qui ont marqué la réforme. Enfin, D. Simard, C. Gauthier et S. Martineau réfléchissent à la formation fondamentale en enseignement ; ils placent l’exercice du jugement professionnel au centre de la pratique enseignante, voient la culture comme « facteur de jugement », tout en la définissant comme « contenu substantiel de l’éducation ». Ainsi lient-ils formation fondamentale et pédagogie de la culture.

Dans la seconde partie, les auteurs approfondissent l’enseignement des contenus scolaires à partir des domaines qui sont les leurs : la géographie, la philosophie, les technosciences, l’éducation relative à l’environnement, l’éducation à la citoyenneté. Dans l’ensemble, ils veillent à rattacher ce questionnement à la problématique du « fondamental ». Évidemment, les questions sur ce qu’on enseigne, comment et pourquoi on l’enseigne s’entrecroisent dans un contexte où les balises offertes par les traditions disciplinaires ne sont plus acceptées d’emblée et où l’on tente de recomposer des domaines d’enseignement et d’apprentissage significatifs autour de priorités de formation de nature complexe, à caractère social entre autres. À cet égard les chapitres de L. Sauvé sur l’éducation à l’environnement et celui de C. Tessier et M. Mc Andrew sur l’éducation à la citoyenneté sont révélateurs des enjeux de savoirs et de valeurs qui se profilent dans des domaines nouveaux affirmant une identité propre.

Le plaidoyer de L.-M. Vacher au sujet de l’enseignement de la philosophie n’est pas nouveau dans l’histoire de l’éducation, mais la démocratisation de l’enseignement l’a rendu acceptable jusqu’au postsecondaire. L’idée centrale est celle-ci : « La formation fondamentale ne saurait consister en l’assimilation de contenus réputés valides au nom d’une autorité culturelle, mais seulement dans la découverte de l’importance des contenus par rapport à la fois à une problématique vivante, à une méthode fructueuse et à une dynamique créatrice » (p. 250). Le chapitre sur la géographie comme lieu de l’éducation à la pensée de S. Laurin apporte une contribution substantielle au collectif. L’autrice préserve ce qui est fondamental en éducation, à savoir la formation à la pensée ; elle en donne une définition programmatique (p. 209) qui peut servir de repère à d’autres domaines d’enseignement et précise les exigences propres à la géographie, lesquelles peuvent être transposées dans ces autres domaines. Il manque au chapitre de R.-M. Fountain sur les technosciences en éducation un tel ancrage ; le sujet nécessite pourtant qu’on se penche sérieusement sur les contenus à étudier et les valeurs à discuter, ce que des expériences de l’approche culturelle dans l’enseignement des sciences ont déjà amorcé. Enfin, Y. Gingras expose au dernier chapitre la difficile réalité des champs d’études multidisciplinaires qui cherchent leur place au soleil à l’université, lieu par excellence des cloisonnements disciplinaires depuis le XIXe siècle.

Cet ouvrage adopte un regard critique par rapport à la radicalisation possible de la vision utilitaire et instrumentale de la connaissance qui prévaut actuellement en éducation ; il se montre réaliste et soucieux des finalités éducatives. Il reconnaît aussi que les transformations de société présentent de nouveaux défis pour les enseignants et que, en bout de piste, on ne peut pas faire l’économie des normes lorsqu’il est question de culture scolaire. Il offre donc une référence sûre à qui cherche à comprendre la portée des réformes éducatives et la complexité du discours qui les accompagne, ou d’évaluer l’importance à attacher aux apprentissages essentiels et aux stratégies d’enseignement idoines.