Corps de l’article

Nous vous présentons un numéro thématique sur les relations école-familles immigrantes. Face aux multiples défis auxquels doit répondre l’école dans nos sociétés, l’intérêt pour la persévérance et la réussite scolaire des élèves est manifeste, autant à travers les énoncés de politique qu’à travers les thèmes de recherche. Ces derniers portent sur les conditions d’efficacité des politiques éducatives, de la gestion scolaire, de l’enseignement, de l’apprentissage, des environnements scolaires, de la socialisation familiale, des relations entre protagonistes institutionnels et individuels, etc., parmi ces relations, celles entre l’école et les familles, ou les acteurs scolaires et les parents font l’objet d’une attention particulière.

Pour un élève, l’apprentissage est un processus de construction de sens pour lire, interpréter et interagir avec son environnement. Cependant, l’élève-enfant se meut dans des espaces de socialisation divers, dont la famille et l’école, qui influencent cette construction de sens. Donc faire avec l’élève se décline en parallèle avec faire avec sa famille. Se pose ainsi la nécessité pour l’école de transiger avec ce qu’on pourrait appeler la double culture de l’élève-enfant. Au Québec, par exemple, à la suite d’une réforme des programmes de formation des maîtres, le nouveau référentiel des compétences en formule une de cette façon : Établir des relations entre la culture seconde prescrite dans le programme de formation et celle des élèves (ministère de l’Éducation du Québec, 2001).

La complexité de la relation institutionnelle école-famille a été très largement documentée (Bourdieu et Passeron, 1970) et continue à l’être (De Queiroz, 2005). Souvent, les attentes de l’école vis-à-vis de l’engagement des parents se posent plus en termes de soutien du parent à l’action de l’école. Si la recherche de ce soutien est légitime et nécessaire à la réussite scolaire de l’enfant, l’invitation du parent à la prise de parole ne devrait pas être que pure courtoisie mais nécessité (Favre et Montandon, 1989 ; Migeot-Alvarado, 2000). L’étude de la relation école-famille considère de plus en plus l’impact des autres espaces professionnels de prise en charge des besoins des familles et des enfants (Santé et services sociaux ; milieu communautaire et mouvement associatif) (Falconnet et Vergnory, 2001 ; Glasman, 2001). Cette relation se complexifie davantage dans le cas des familles immigrantes ou de minorités ethnoculturelles.

L’école joue dans l’activation, la désactivation ou la modification de l’ethnicité et de ses frontières (Banks, 1988 ; Lorcerie, 2003 ; McAndrew 2001, Verhoeven, 2002). Également, la construction de sens pour l’élève immigrant, afin d’appréhender le monde à travers l’apprentissage, puise en partie dans son histoire migratoire, sa trajectoire scolaire et sa culture familiale, plus ou moins éloignées de la culture scolaire de la société d’accueil. Cette différence a été souvent interprétée sous l’angle du différend, de l’inconciliable, qui expliquerait les difficultés scolaires chez ces élèves. Lahire (1995) insiste cependant sur la possibilité pour les enfants de vivre ce qu’il appelle une schizophrénie heureuse, c’est-à-dire une articulation réussie entre ces deux cultures. Les conditions de cette réussite sont certainement liées à la reconnaissance et au respect mutuel des deux milieux en présence, qui font l’économie d’un jeu de disqualification réciproque (Kanouté, 2002 ; Bouteyre, 2004), à la concertation sur des balises éthiques, psychopédagogues et parfois juridiques (Hohl et Normands, 1996), tout autant qu’aux capacités adaptatives des enfants en question. En effet, la collaboration familles-écoles n’est pas qu’un duo : elle se joue dans un triangle où l’enfant acteur a une place essentielle, mais aussi dans un contexte où la communauté locale, sociale et politique colore les univers de possibles (Dagenais, 2003 ; Lorcerie, 2001 ; Manço, 2006 ; Vatz-Laaroussi, 2001 ; Verhoeven, 2002).

Il existe de multiples façons familiales de se comporter face à l’école, qui s’articule aussi aux diverses manières dont les écoles voient les parents et leur place dans l’éducation de l’enfant et dans l’institution scolaire. Les familles immigrantes déclinent leur relation avec l’école dans une partition intégrée, faite de demande de reconnaissance, d’intégration et de réussite. Mieux comprendre les stratégies des familles immigrantes et des écoles, ainsi que leurs articulations possibles, permettra non seulement d’améliorer les partenariats, mais aussi de mieux soutenir les élèves immigrants dans leur cheminement scolaire. C’est l’objectif de ce numéro thématique de réunir des expertises différentes (éducation, travail social, sociologie psychologie, psychiatrie) s’exerçant dans des contextes sociaux divers (Québec, Ontario et Colombie-Britannique au Canada ; Suisse ; Belgique).

Fasal Kanouté, Michèle Vatz-Laaroussi, Lilyane Rachédi et Madeleine Tchimou présentent une partie des résultats d’une recherche qui a permis d’analyser les conditions générales de la réussite scolaire d’élèves immigrants à Montréal et à Sherbrooke. L’article s’intéresse particulièrement au lien entre les profils familiaux et la réussite scolaire d’élèves immigrants. Selon les auteures, pour soutenir la persévérance de ceux qui réussissent et aider ceux qui sont en difficulté scolaire, il est nécessaire de comprendre les différents niveaux de mobilisation (personnel, familial, communautaire, scolaire) qui agissent sur le vécu socioscolaire de l’élève immigrant. Les chercheuses abordent quelques enjeux autour de la scolarisation des élèves immigrants, particulièrement le rôle des conditions d’actualisation du capital social de la famille pour soutenir la réussite, et l’impact des conditions d’accueil et d’accompagnement de l’école et de ses acteurs. Grâce à des études de cas où les regards sont croisés (élève, parent, enseignant), les auteures dégagent une typologie des profils familiaux en lien avec la réussite, typologie qui se décline en trois catégories : réussite-continuité, réussite pour la famille, réussite-promotion.

Michèle Vatz-Laaroussi, Lilyane Rachédi et Fasal Kanouté s’intéressent aux relations, rapports et collaborations entre les familles immigrantes et l’école, et dressent un inventaire des modèles de collaboration à partir d’études de cas de réussite scolaire au Québec. Si l’interdépendance entre les familles et les écoles est historique, elle a été instituée de diverses manières et les auteures s’interrogent sur le sens de ces collaborations et partenariats, tant pour le milieu scolaire de la société d’accueil que pour les familles immigrantes. Elles défendent l’hypothèse qu’il existe des bricolages inédits qui articulent les stratégies des familles et celles du milieu scolaire, et qu’il est essentiel, pour les institutions sociales et scolaires, de mieux comprendre ces bricolages pour les accompagner et favoriser ainsi la réussite des jeunes. Plus spécifiquement, les chercheuses identifient des modèles de collaboration dans lesquelles les familles immigrantes peuvent être partenaires à part égale, distantes ou encore intégrées au milieu communautaire dans leurs rapports avec l’école. Dans tous les cas, les auteures insistent sur l’importance et les forces des familles, du milieu scolaire et des réseaux pour l’intégration et la réussite des jeunes.

Maryse Benoit, Cécile Rousseau, Pauline Ngirumpatse et Louise Lacroix présentent l’analyse d’une partie des données d’une recherche plus large portant sur une comparaison internationale (Québec, Angleterre, Belgique et Pays-Bas) de programmes de prévention et d’intervention pour les enfants immigrants et réfugiés. Toutefois, dans leur article, les auteures analysent seulement les données du Québec, recueillies auprès de parents et d’enseignants d’un quartier de Montréal où immigration récente et défavorisation se chevauchent. Leur analyse vise à documenter les perceptions de deux groupes d’acteurs en ce qui concerne leurs relations : les parents immigrants et les enseignants. Quelles perceptions ces parents ont-ils de leur place à l’école, de leur implication dans le scolaire ? Quels sont leurs sources de satisfaction et d’insatisfaction, leurs critiques, leurs questionnements et leurs souhaits ? Quant aux enseignants, que formulent-ils en termes de gratifications ou de défis dans leur travail avec une clientèle pluriethnique ? À partir des recommandations faites par les enseignants et les parents immigrants, les auteures proposent des axes pour repenser les échanges entre les écoles et les communautés et générer des domaines de compréhension partagée.

Geneviève Audet s’intéresse à la relation entre enseignant et parent d’un élève d’une autre culture. L’originalité de sa démarche est à la fois théorique et méthodologique. Cette relation est posée comme une compétence, un savoir d’action, et analysée à travers des récits de pratique enseignante. L’auteure a invité des enseignants de maternelle à reconstruire leur expérience de l’interculturel en classe et elle analyse les différentes déclinaisons de cette relation, les conditions d’accès à l’altérité en acte : un souci de l’Autre, une quête de l’Autre et une rencontre de l’Autre. La perspective de l’auteure invite les formateurs d’enseignants sur les enjeux de la diversité à prendre appui sur la réalité du quotidien scolaire comme l’appréhendent les enseignants.

Diane Dagenais met l’accent sur les enjeux relatifs aux pratiques langagières dans la relation école-familles. L’auteure fait une recension d’écrits qui montrent clairement que l’école valorise certaines pratiques langagières et en disqualifie certaines autres, surtout celles de familles de minorités ethnoculturelles. Ainsi, les enfants de ces dernières se trouvent défavorisés dans leurs interactions linguistiques à l’école. À travers les études de cas de deux élèves plurilingues suivies durant sept ans, l’auteure analyse la prise en compte, à l’école, des connaissances langagières acquises au foyer. Plus précisément, dans chaque cas, l’auteure confronte la socialisation langagière acquise à la maison et le vécu scolaire. Cet article pose la nécessité d’une plus grande équité d’expression pour tous les élèves comme un facteur de renforcement des liens entre l’école et les familles.

Diane Farmer et Normand Labrie se posent la question de savoir comment se structurent les rapports entre les institutions, les parents et le monde communautaire dans le secteur de l’éducation francophone en Ontario dans la prise en compte de la diversité. À majorité anglophone, l’Ontario est la première province canadienne, du point de vue démographique et de l’établissement des immigrants. Selon les auteurs, la question n’est pas simple, car si le modèle d’institutions homogènes de langue française a été au coeur de la revendication sociale des francophones, leurs écoles sont aujourd’hui très hétérogènes, avec des élèves d’origine haïtienne, somalienne, djiboutienne, etc. Les résultats présentés ont été recueillis grâce à une étude ethnographique combinée à une analyse de discours réalisée dans 15 écoles réparties entre deux conseils scolaires d’une grande ville, en collaboration avec une association locale de femmes issues de l’immigration internationale. Les auteurs appellent à un examen critique des espaces de médiation entre l’école et les familles émigrées et à une ouverture du dialogue.

Altay Manço et Fabienne Freyens présentent un texte qui permet de suivre le cheminement de chercheurs-formateurs qui, en Belgique francophone, ont mené des recherches sur les jeunes musulmanes pour en arriver à mettre en oeuvre des actions scolaires pertinentes et originales. Menées auprès de ces jeunes filles issues de l’immigration et de leurs parents, les recherches montrent les principaux enjeux de leur développement identitaire, soit leur connaissance-reconnaissance et le renforcement par l’environnement de leurs ressources identitaires. Pour cela, le rôle de l’école et des communautés est essentiel. C’est pourquoi les auteurs présentent l’action scolaire préventive comme une pratique intensive, visant à contribuer au développement des stratégies identitaires positives auprès de jeunes filles musulmanes scolarisées en Belgique, pour prévenir et dépasser les divers types de violences au sein des établissements scolaires et autres institutions d’accueil, ainsi qu’au sein des familles. Finalement, la modélisation de cette action préventive représente une innovation dans le champ de l’intervention scolaire tout comme dans le domaine de la prévention sociale.

Nilima Changkakoti et Abdeljalil Akkari dressent, à partir de la Suisse, un portrait international des recherches sur les relations famille-école dans le cas de cultures différentes. Ils proposent une méta-analyse des données issues de recherches menées dans des contextes politiques, sociaux et culturels différents comme les États-Unis, le Québec, la France et la Suisse. Selon ces contextes, ils identifient différentes conceptions de la mission de l’école et diverses visions de l’intégration des gens venus d’ailleurs. Selon les auteurs, une caractéristique de ces recherches est de mettre en évidence la nécessité d’une (re)connaissance réciproque. Dans cette optique, ils présentent ensuite des expériences dans ces différents contextes, qui ont pour visée de soutenir les familles et les communautés scolaires dans leurs relations. De la médiation à la formation interculturelle des enseignants, en passant par les groupes d’éducation familiale et les transformations de la culture organisationnelle scolaire, ces diverses expériences montrent l’importance de diffuser le plus largement possible les résultats des recherches, tant dans les milieux scolaires que dans les milieux qui rejoignent les familles migrantes.

Bonne lecture !