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Gérard Fourez, chercheur reconnu pour ses travaux sur l’enseignement des disciplines scientifiques, et deux de ses collaborateurs, qui enseignent dans des classes terminales de l’enseignement secondaire, soumettent à l’attention des lecteurs leur projet fondé sur des perspectives constructivistes. Il s’agit d’un recours à une approche interdisciplinaire en tant que démarche intellectuelle autre pour construire la réalité humaine, sociale et naturelle dans sa complexité. Le livre est organisé en quatre parties. La première, intitulée « Dépasser les frontières disciplinaires » et formée de trois chapitres, fait état de ce que les auteurs qualifient de « mutation culturelle et cognitive » qui réclame une autre façon d’aborder le réel : l’interdisciplinarité. Celle-ci est alors conceptuellement définie et caractérisée en première approximation et est surtout distinguée de la transdisciplinarité.

Ces clarifications conceptuelles sont reprises et approfondies dans les deux premiers chapitres de la deuxième partie, « Articuler des disciplines ou l’interdisciplinarité dans tous ses états ». Elles fondent la présentation d’une méthode originale qui vise à construire des îlots interdisciplinaires de rationalité. Cette méthode, qui s’actualise à partir d’un outil didactique, la pédagogie du parcours, est ensuite illustrée en fonction d’une perspective socioconstructiviste et accompagnée de propositions d’évaluation. La troisième partie, « Transférer des apprentissages ou les chemins de la transdisciplinarité », aborde le transfert des apprentissages, celui-ci étant fondé sur le concept de transdisciplinarité, c’est-à-dire sur la capacité de faire appel à des concepts, à des modèles théoriques, à des méthodes, à des techniques, etc., dans des contextes disciplinaires distincts. La perspective adoptée requiert l’usage du concept de compétence et se concrétise à travers une pédagogie coopérative du projet. Pour finir, cette partie présente des scénarios d’activités et des propositions de stratégies d’évaluation de la démarche transdisciplinaire.

Quant à la quatrième partie, « Ouvrir des perspectives à la mise en réseau des disciplines », elle conclut l’ouvrage en mettant en évidence, d’une part, certaines conditions favorables à la mise en oeuvre par les enseignants d’une approche didactique à la fois interdisciplinaire et transdisciplinaire, et, d’autre part, quelques enjeux d’un enseignement que le décloisonnement des matières scolaires implique.

Cet ouvrage s’inscrit dans la continuité des travaux sur la question interdisciplinaire menés par Gérard Fourez et ses collaborateurs depuis plus de quinze ans. Ils les systématisent et les synthétisent, tout en ajoutant des illustrations concrètes d’une actualisation de la méthode interdisciplinaire proposée. La perspective adoptée, solidement appuyée sur des bases épistémologiques explicites, ouverte et dynamique, constitue un réel apport à la compréhension et à l’actualisation de l’interdisciplinarité, en particulier par la proposition d’une méthodologie qui maintient les aspects disciplinaires, mais en les situant dans un processus de formation, non pas comme les finalités de ce processus, mais bien comme des outils médiateurs indispensables pour considérer le réel et construire la réalité naturelle, humaine et sociale. Il s’agit d’un livre au contenu clair et bien articulé, dont la lecture s’avère riche en propositions opérationnelles pour l’enseignement.

L’unique regret suscité par la lecture du livre concerne l’absence de toute référence aux travaux anglo-saxons, américains tout particulièrement (exception faite d’un article d’un numéro thématique de la Revue des sciences de l’éducation). Compte tenu de leur importance historique, conceptuelle et opératoire, ces travaux sont incontournables pour qui veut porter son regard au-delà de son univers familier et ouvrir son intelligence à d’autres perspectives qui puissent conduire à cerner les dimensions et les enjeux socioéducatifs de l’interdisciplinarité dans toute leur ampleur et leur richesse. Dans le contexte d’une internationalisation croissante et nécessaire des échanges entre les différents acteurs intervenant dans le champ de l’éducation, il est tout fait regrettable que des comportements archaïques se maintiennent et que les chercheurs se contentent de ne se référer qu’à des écrits rédigés dans leur langue maternelle. Ce comportement est encore beaucoup trop fréquent tant dans l’Amérique anglophone que dans l’Europe francophone où les systèmes référentiels se ferment à d’autres univers culturels et conceptuels, ce qui paraît pour le moins étonnant lorsqu’il s’agit d’interdisciplinarité. Bref, avoir pris en compte ces publications étrangères n’aurait pu que bonifier ce livre déjà excellent.